François Bayrou, quatrième Premier ministre de l'année
C'est donc François Bayrou qui succède à Michel Barnier. Une courte passation de pouvoir vendredi soir, un premier round de consultations dès samedi, des partis qui posent leurs conditions pour, a minima, une non-censure... Prochaines étapes évidemment urgentes pour le président du Modem et maire de Pau : la constitution d'un gouvernement et la reprise d'un projet de loi de finances pour 2025.
C'est par un communiqué diffusé ce vendredi 13 décembre à 12h40, après une matinée d'intenses spéculations, de bras de fer en coulisses, de rumeurs dissonantes et de directs télévisés tâtonnants, que l'Élysée a annoncé la nomination de François Bayrou pour succéder à Michel Barnier à Matignon. Le dirigeant centriste avait été reçu tôt le matin à l'Élysée pour un entretien de près de deux heures, suivi d'un long silence radio.
À 73 ans - comme son prédécesseur Michel Barnier renversé le 4 décembre par l'Assemblée nationale lors d'une censure inédite depuis 1962 - François Bayrou devient le sixième locataire de Matignon depuis la première élection d'Emmanuel Macron en 2017… et le quatrième en un an.
"Tout le monde mesure la difficulté de la tâche" mais "tout le monde se dit qu'il y a un chemin à trouver qui réunisse les gens au lieu de les diviser. Je pense que la réconciliation est nécessaire", a déclaré François Bayrou à la presse en quittant vendredi ses bureaux du haut-commissariat au Plan.
En fin de journée lors de la passation de pouvoir depuis la cour de Matignon, aux côtés de son prédécesseur resté seulement trois mois en poste, le patron du Modem a brièvement listé ses mantras. La dette et les déficits d'abord, qu'il a rappelé avoir déjà placés au coeur de sa campagne présidentielle de 2007 - "une question qui pose un problème moral, pas un problème financier seulement" : "Nous avons le devoir d'affronter la situation, héritée de décennies entières" et aggravée ces dernières années par "une accumulation de crises".
Deux "obsessions" ensuite. D'une part, s'attaquer au "mur de verre qui s'est construit entre les citoyens et le pouvoir", ce qui passera entre autres par le fait de "débarrasser notre vie publique des paroles artificielles". D'autre part, "rendre des chances à ceux qui n'en ont pas", à ceux qui ne sont "pas maîtres de leur destin" notamment parce qu'ils sont "nés dans un quartier ou dans un village", et n'ont alors "ni les codes ni les réseaux". D'où l'importance de "l'école", a souligné celui qui fut ministre de l'Éducation nationale de 1993 à 1997 (dans le gouvernement Balladur, puis dans les premier et deuxième gouvernements Juppé). Assurant ne rien ignorer de "l'Himalaya qui se dresse devant nous, des difficultés de toute nature", il a assuré vouloir "ne rien cacher, ne rien négliger et ne rien laisser de côté". On n'en saura pas plus sur les grandes lignes de son programme de gouvernement censé, au moins en théorie, tenir deux ans et demi.
Gouvernement : qui est prêt à y participer ?
Le nouveau Premier ministre, qui "s'est imposé" comme "le plus consensuel", "aura pour mission de dialoguer" avec les partis, des communistes à la droite, "afin de trouver les conditions de la stabilité et de l'action", a déclaré l'entourage d'Emmanuel Macron. Ce dernier l'a chargé de former un "gouvernement d'intérêt général", "resserré".
Afin de s'atteler sans tarder à la composition de ce gouvernement, qu'il veut lui-même compact et dominé par des personnalités d'expérience, François Bayrou a entamé samedi ses consultations. Il a reçu successivement samedi matin le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, puis la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet. Son homologue du Sénat, Gérard Larcher, était à son agenda ce samedi soir. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, était aussi attendu à Matignon après la dégradation de la note souveraine de la France dans la nuit de vendredi à samedi par l'agence de notation Moody's qui redoute que la "fragmentation politique" du pays soit peu propice au rétablissement rapide des finances publiques.
François Bayrou devra s'accommoder d'une Assemblée qui peut le faire tomber si les voix de la gauche devaient de nouveau s'unir à celles du Rassemblement national. La plupart des partis politiques, y compris le RN, ont demandé à être reçus à Matignon pour parler de la feuille de route du prochain exécutif.
Le Nouveau Front populaire, qui a d'ores et déjà annoncé qu'il ne participerait pas au gouvernement, se divise sur son attitude vis-à-vis du nouvel occupant de Matignon. LFI déposera ainsi dès que possible une motion de censure, probablement après la déclaration de politique générale. Pour prix d'une non-censure, les socialistes demandent de leur côté à François Bayrou à s'engager à renoncer au 49.3 et à procéder à une "réorientation de la politique gouvernementale". Les communistes ont exprimé une position voisine. Pour sa part, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, a affirmé samedi qu'elle ne souhaitait pas "censurer a priori" le gouvernement, mais qu'elle commençait déjà "à avoir des a priori de censure".
À droite, Les Républicains ont conditionné leur participation au gouvernement au "projet" que leur présentera le nouveau Premier ministre. "C'est ensuite que nous pourrons décider d'une éventuelle participation", a affirmé le patron du groupe LR, Laurent Wauquiez. "Nous ne nous renierons pas", a prévenu l'eurodéputé LR François-Xavier Bellamy, citant comme priorités l'immigration, la sécurité, l'agriculture, la fiscalité et la dette. Vendredi soir à Matignon, François Bayrou a d'ailleurs reçu le ministre LR de l'Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau pour évoquer "la sécurité". Ce dernier a préparé ces derniers mois un projet de loi contre le narcotrafic et un autre sur l'immigration qu'il prévoyait de présenter au Parlement en début d'année prochaine. Deux textes qu'il pourrait reprendre s'il était reconduit à Beauvau. Côté RN, "il n'y aura pas de censure a priori", a dit son président Jordan Bardella, même si Marine Le Pen a prévenu qu'un "prolongement du macronisme ne pourrait mener qu'à l'impasse".
Le PLF en ligne de mire
Au-delà de la composition d'un gouvernement, la tâche urgente sera celle du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 laissé en suspens par la censure. En attendant, le projet de loi spéciale permettant d'éviter une paralysie de l'État doit être examiné dès ce lundi par l'Assemblée nationale. Sur le PLF, les attentes sont grandes et multiples, entre ceux qui espèrent que certaines des "avancées" prévues par le texte version gouvernement Barnier (ou obtenues lors de sa discussion) seront maintenues... et ceux qui veulent au contraire la disparition de dispositions jugées néfastes voire une remise à plat totale. En sachant que "juridiquement et techniquement", tel que l'indiquait en tout cas la semaine dernière l'entourage des deux ex-ministres de l'Économie et du Budget, le nouveau gouvernement peut soit permettre la poursuite de l'examen parlementaire du PLF déposé en octobre dernier, soit repartir de zéro en déposant un nouveau projet de texte (voir notre article du 11 décembre).
Côté associations d'élus, Régions de France – seule pour l'heure à avoir officiellement réagi la nomination de François Bayrou – estime que "le prochain" PLF devra être l'occasion "d’établir [une] relation de confiance, dans l’élaboration du budget de la France, afin d’éviter la mise en péril des politiques régionales, de l’investissement public et plus largement de l’activité sur les territoires". Et plaide plus globalement pour un "changement profond de méthode de gouvernance" (un peu comme le font toutes les associations d'élus à chaque changement de gouvernement ?). Régions de France met en tout cas l'accent sur l'expérience de François Bayrou ("ancien ministre de l’Éducation nationale et de la Justice, ancien parlementaire français et européen"), y compris en tant qu'élu local, "notamment comme président du département des Pyrénées-Atlantiques et maire de Pau" qui, à ce titre "connaît la réalité des territoires".
Sur X (ex-Twitter), le président LR de Départements de France, François Sauvadet, a estimé que François Bayrou "a les qualités pour rassembler et élargir le socle commun" et a assuré que celui-ci "pourra compter sur un dialogue confiant mais exigeant avec les départements". David Lisnard, le président de l'Association des maires de France, s'est pour sa part autorisé sur son compte personnel un clin d'oeil en imaginant que la "première mesure du nouveau locataire de Matignon" pourrait être de "supprimer le haut-commissariat au Plan"… que François Bayrou dirigeait depuis septembre 2020.
Lors de sa nomination à ce poste de planification, celui qui se décrivait lui-même comme "l'élu de province" avait insisté sur l'importance de l'aménagement du territoire qui devait selon lui répondre à deux priorités : l'enracinement local de la décision publique et l'accès de tous aux services (voir notre article). On sait les critiques ayant, depuis, été émises sur la portée limitée de ce haut-commissariat. Des notes à valeur ajoutée peu probante par rapport à la production d'autres instances (France Stratégie notamment), une vocation planificatrice embryonnaire… Tel fut en tout cas le bilan sévère établi en septembre dernier par un rapport sénatorial (voir notre article).
On se souvient aussi que François Bayrou avait été nommé secrétaire général du Conseil national de la refondation (CNR) en septembre 2022 (voir notre article) - une démarche qui a, sur certaines thématiques, effectivement suscité d'importants travaux, mais dont les participants ont regretté que les gouvernements successifs ne se soient pas davantage saisis. Tel fut notamment le cas pour le CNR Logement - l'un des domaines où les attentes et les besoins sont aujourd'hui les plus manifestes.