Projet de loi spéciale : ce à quoi les collectivités doivent s'attendre
Le gouvernement Barnier a présenté ce 11 décembre le projet de loi spéciale qui permettra de garantir "la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics" à partir du 1er janvier prochain et jusqu'à la promulgation - par un futur gouvernement - des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2025. Un décret allouant des crédits à "l'exécution des services publics" sera pris dans la foulée de la promulgation de la loi, attendue en fin d'année. Ce que les collectivités doivent retenir au sujet de ce dispositif juridique quasi inédit.
Trois courts articles : c'est tout ce que contient le projet de loi spéciale, présenté ce 11 décembre en conseil des ministres, par Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, les ministres de l'Économie et du Budget dans le gouvernement chargé de gérer les affaires courantes. Mais le texte, que le président de la République avait évoqué lors de son intervention télévisée le 5 décembre, est essentiel. Il a en effet vocation, comme l'indique l'exposé des motifs, à porter "les dispositions indispensables au fonctionnement régulier de l’État, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale, nécessaires à la continuité de la vie nationale et au fonctionnement des services publics jusqu’à l’adoption d’une loi de finances initiale pour 2025".
Après le vote le 4 décembre de la motion de censure qui a renversé le gouvernement de Michel Barnier, "le projet de loi de finances pour 2025 ne peut être examiné et adopté de façon définitive par le Parlement dans des délais compatibles avec la promulgation de la loi avant le début du prochain exercice", est-il rappelé en préambule du texte.
Ce projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique d'août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) est le deuxième du genre sous la cinquième République, après un précédent en 1979. Selon la Lolf, il "a le caractère" d'un projet de loi de finances.
La DGF à son montant de 2024
Le premier article du projet de texte a pour but d'autoriser l'État et les autres personnes morales, dont les collectivités et "les organismes publics qui leur sont rattachés", à percevoir les impôts qui leur étaient affectés jusqu'à présent. Par ailleurs, la disposition permet la reconduction des prélèvements opérés sur les recettes de l'État au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, et ce "pour une durée temporaire", à savoir "jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances de l’année". Parmi ces prélèvements figure notamment la dotation globale de fonctionnement (DGF) destinée aux communes, à leurs groupements et aux départements. "Elle sera bien versée par douzièmes dès le début de l'année", sur la base de son montant en 2024 - soit 27,2 milliards d'euros – et des règles de répartition valables également en 2024, précise le cabinet du ministre du Budget. En sachant que ce montant "sera régularisé lorsque le projet de loi de finances [pour 2025] sera voté". Mais les montants de DGF versés aux collectivités ne seront pas nécessairement identiques à ceux de 2024, puisque "certaines variables de la DGF peuvent bouger, notamment la population et les recettes fiscales", prévient-on.
En outre, d'autres prélèvements sur recettes, comme le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) "sont des crédits purement évaluatifs", complète l'entourage de Laurent Saint-Martin. "Ils dépendent des demandes des collectivités auprès de l'État" et, donc, leur montant pour 2024 "ne sera pas repris".
Examen la semaine prochaine par le Parlement
Les deuxième et troisième articles du projet de loi spéciale autorisent l'État et divers régimes et organismes de sécurité sociale (dont la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL) à avoir recours à l'emprunt dans l’attente de l’adoption d’une loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025 et dans le seul but de couvrir leurs besoins de trésorerie.
Consulté par le gouvernement sur l'option qu'il a prise de déposer un projet de loi spéciale, le Conseil d'État a considéré, dans sa décision du 9 décembre, que ce dernier "est fondé" à initier un tel texte, y compris dans le cadre de la gestion des affaires courantes – un régime auquel il est réduit depuis la démission intervenue le 5 décembre. La juridiction a par ailleurs validé les mesures du projet de loi prévues par le gouvernement, balayant en revanche la possibilité - souhaitée par l'opposition – d'introduire dans le texte une mesure indexant sur l'inflation le barème de l'impôt sur le revenu.
Les parlementaires freineront-ils leur ardeur coutumière à amender les projets de loi de finances ? Réponse dès ce jeudi avec l'examen du texte par la commission des finances de l'Assemblée nationale, avant une discussion dans l'hémicycle le 16 décembre. Le Sénat se saisira du texte en séance le 18 décembre. Si la Chambre haute décide d'amender le projet de loi, une commission mixte paritaire - sept députés et sept sénateurs - devra être réunie. Au gouvernement, on "espère que l'ensemble du processus parlementaire pourra aboutir d'ici la fin de semaine prochaine".
Crédits alloués par décret
La loi devra ensuite être promulguée "quelques jours avant le 31 décembre", de manière à laisser au gouvernement le temps de publier, au plus tard à la Saint-Sylvestre, le décret "ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés", prévu par l'article 45 de la Lolf.
Ce texte réglementaire, qui "n'est pas un décret d'application de la loi spéciale", doit prévoir "le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement". Dans tous les cas, "ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année", en l'occurrence la loi de finances pour 2024.
Ce qui signifie que les recrutements et les rallonges budgétaires prévues pour 2025 par les lois de programmation en faveur des armées, des forces de police et de gendarmerie, ou encore de la justice, ne peuvent être engagés dans l'immédiat. A contrario, les recrutements par les services de l'État ne seront pas totalement suspendus. "Le bon sens s'appliquera aux gestionnaires publics. Ils pourront conduire les recrutements qui sont strictement nécessaires à la continuité des services publics", précise l'entourage du ministre de l'Économie.
Subventions de l'État : le cru 2025 attendra
Du côté des subventions qui leur sont allouées, les collectivités locales devront faire preuve de patience. Ces subventions "ne peuvent pas être engagées sous le régime des services votés, sauf exception qui serait justifiée par un motif d'urgence ou de continuité des services publics et de la vie de la nation", prévient le cabinet d'Antoine Armand. Au titre du fonds vert, les collectivités "recevront le paiement des subventions déjà attribuées, mais il ne pourra pas y avoir de nouvelles subventions attribuées", précise l'entourage de son collègue Laurent Saint-Martin. Le principe sera le même pour les dotations d'investissement (DSIL, DETR) : "Il y aura seulement les paiements pour les engagements réalisés" en 2024, mais "il n'y aura pas de nouveaux engagements."
Il en sera ainsi tant que ne sera pas promulgué un projet de loi de finances pour 2025, sous la responsabilité du prochain gouvernement. En sachant que, "juridiquement et techniquement", deux options se présenteront à ce dernier : soit permettre la poursuite de l'examen parlementaire du projet de loi déposé le 10 octobre par le gouvernement Barnier (sans doute avec la volonté de l'amender), soit repartir de zéro en déposant un nouveau projet de texte.