Archives

PLF 2016 / Logement - Foncier d'Etat : les sénateurs demandent un rapport annuel sur les décotes "Duflot" consenties

Dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, les sénateurs ont adopté un amendement de Michel Bouvard et Thierry Carcenac demandant au gouvernement de faire chaque année un rapport retraçant les décotes consenties par l'Etat lors de la cession de biens immobiliers du domaine public, en application de la loi "Duflot 1". Tout porte à croire que ce n'est qu'une première étape pour "nettoyer" plus en profondeur la décote "Duflot".

"Tout ce qui contribue à nettoyer la décote 'Duflot' va dans le bon sens !", avait lâché Michel Bouvard, sénateur (LR) de Savoie, le 24 novembre, lors de l'adoption en séance d'un amendement visant à assouplir les règles de la décote "Duflot" (*) pour le parc immobilier du ministère de la Défense, dans le cadre de la discussion en séance du projet de loi de finances pour 2016 (voir notre article du 1er décembre 2015). Plus précisément, l'amendement adopté en PLF limite à 30% maximum la décote "Duflot" sur les immeubles de la Défense.
Nouvelle petite griffe de Michel Bouvard à la décote "Duflot" : l'adoption en séance, le 3 décembre, d'un amendement qu'il a rédigé avec son collègue PS Thierry Carcenac, au nom de la commission des finances, demandant au gouvernement de faire un rapport, qui sera annexé au projet de loi de finances de chaque année, et qui retracera les décotes consenties par l'Etat à l'occasion de la cession de biens immobiliers du domaine public, en application de la loi Duflot. Il s'agit pour Michel Bouvard de bien mettre en évidence le fait que "tout comme les dépenses fiscales, il s'agit de 'moindres recettes'" pour l'Etat.

Une décote moyenne de 61% sur les 26 biens cédés

L'article additionnel (aujourd'hui situé après l'art.63) exige que ce rapport présente, "pour chaque opération, le site concerné, le ministère occupant, le nombre de logements et de logements sociaux programmés, la date de cession effective, la valeur vénale, le prix de cession, le montant et le taux de la décote, ainsi que le zonage de la politique du logement". Aujourd'hui, le rapport de Michel Bouvard et Thierry Carcenac au nom de la commission des finances indique que les décotes "Duflot" en faveur du logement social s'élèvent à 75 millions d'euros depuis 2013, "soit une décote moyenne de 61% sur les 26 biens cédés, représentant au total 3.779 logements (donc 2.889 sociaux)". 26 biens cédés sur les 250 inscrits sur les listes des préfets de région...
"A ce jour, le bilan des cessions 'Duflot' est donc modeste", en ont conclu les rapporteurs. Ils l'expliquent "notamment par les nombreux obstacles rencontrés entre l'inscription d'un foncier sur la liste et sa cession effective : occupation illégale des tènements, nécessité de dépollution ou risque d'inondation, conditions suspensives exigées par l'acquéreur, complexité du financement, recours des riverains etc. De plus, l'Etat exige, pour accorder une décote, un programme précis de construction de logements". Les auditions leur ont confirmé que "ces cessions correspondent généralement soit à des projets engagés depuis plusieurs années, soit à des programmes d'ampleur limitée".

Opérations "particulièrement coûteuses"... à l'Etat

Dans le rapport, Michel Bouvard s'interroge également sur "la pertinence de certaines opérations particulièrement coûteuses". Il a été particulièrement choqué par le prix de cession de l'ancienne bibliothèque de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), situé rue de Lille dans un quartier prestigieux du VIIe arrondissement de Paris : "1,4 million d'euros, alors que sa valeur vénale était estimée à 6,2 millions d'euros", soit une décote de 77% (4,8 millions d'euros)". Le montant de la décote a permis de réaliser 18 logements sociaux, "soit une subvention très importante de 267.000 euros par logement, entièrement supportée par le CAS (compte d'affectation spéciale), mais correspondant à un programme de la mairie de Paris", s'offusque Michel Bouvard.
Il pose également la question de l'"équité entre collectivités locales, dans la mesure où les territoires où l'Etat dispose d'un foncier cessible important sont avantagés par rapport aux territoires où l'État dispose de peu d'immeubles, sans que cela ait un quelconque rapport avec les besoins en logements et en logements sociaux". Pour lui, "les cessions 'Duflot' ne doivent pas correspondre à un 'droit de tirage' de certaines collectivités territoriales sur les ressources de l'Etat".

France Domaine prévoit en 2016 de céder un terrain situé à Palmyre

Mis à part l'amendement demandant chaque année un rapport du gouvernement sur les décote "Duflot" consenties, les crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) "Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat" ont été adoptés sans modification. Le rapport de Michel Bouvard et Thierry Carcenac réalisé au nom de la commission des finances était pourtant bien sévère.
C'est lui qui a notamment révélé que "France Domaine prévoit en 2016 de céder un terrain situé à Palmyre, ville de Syrie occupée par l'organisation Etat islamique". Une information largement relayée dans la presse, et qui symboliserait la négligence avec laquelle ce sujet est traité. Autre exemple : 716 des 930 biens figurant sur la liste des cessions pour 2016 dressée par France Domaine, soit 77%, figuraient déjà sur cette liste l'année dernière.
Pour les rapporteurs, "la faiblesse de France Domaine complique le pilotage et la bonne gouvernance de la politique immobilière de l'Etat". Ils soulignent que dans la pratique, les ministères "gardent la main" sur l'essentiel des dépenses et des décisions, comme par exemple le choix du régime d'occupation des immeubles (achat, location etc.). "En région, l'autorité hiérarchique appartient au préfet, et non aux responsables régionaux de la politique immobilière de l'Etat (RRPIE). En Ile-de-France, la coordination entre administrations centrales et déconcentrées est insuffisante et entrave des projets de mutualisation pourtant prometteurs", regrettent-ils.

500 millions d'euros en 2016 ?

Au final, les produits de cessions devraient s'élever à 500 millions d'euros en 2016 (sur un patrimoine immobilier de l'Etat estimé à 63,1 milliards d'euros), mais "la raréfaction progressive des biens cessibles de qualité pourrait à terme remettre en cause l'équilibre économique du CAS", alertent les rapporteurs. Car "les biens les plus intéressants ayant pour beaucoup déjà été cédés, le reste du 'portefeuille' est de plus en plus constitué de biens situés hors des zones attractives, en mauvais état ou ne respectant pas les normes récentes en matière d'environnement ou d'accessibilité".
Le montant des cessions effectivement réalisées au 15 septembre 2015 s'élevait à 506 millions d'euros, "ce qui laisse penser que l'objectif de 521 millions d'euros fixé en loi de finances initiale pourra être atteint", espèrent tout de même les rapporteurs. Mais c'est en comptant sur des "gros coups". En 2015, trois opérations représentent à elles seules 79% des cessions : la caserne de la Pépinière à Paris, l'immeuble du ministère de la Justice situé rue Halévy à Paris, et le campus diplomatique de Kuala Lumpur.
L'Etat est propriétaire de 77,2 millions de mètres carrés, soit 55 millions de mètres carrés occupés et 22,2 millions de mètres carrés mis à disposition d'autres personnes à titre onéreux ou gratuit. Par ailleurs, l'Etat est locataire de 12 millions de mètres carrés.

Valérie Liquet

(*) La loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social du 18 janvier 2013, dite loi "Duflot 1", permet d'appliquer une décote pouvant aller jusqu'à 100% de la valeur vénale du prix des terrains cédés par l'Etat quand ils sont affectés à la construction de logements locatifs sociaux (voir notre article "Loi de mobilisation pour le logement : ce qu'il faut retenir" du 25 janvier 2013).

Quand le plafonnement de la décote sur la cession des terrains militaires risque de bloquer certains projets

Simon Molesin, adjoint au délégué interministériel à la mixité sociale dans l'habitat Thierry Repentin, est intervenu le 3 décembre, dans une table-ronde sur la "mobilisation renforcée du foncier en Ile-de-France" organisée dans le cadre du Simi.
L'objectif de cessions de foncier public pour 2015 "devrait être atteint", assure-t-il, espérant pour 2016 "des résultats beaucoup plus significatifs" que pour les années 2013 et 2014. Une ambition qui pourrait selon lui être ternie par le plafonnement de la décote sur la cession des terrains militaires, actuellement débattu dans le cadre du PLF pour 2016 (voir notre article ci-contre du 1er décembre 2015), et que la commission mixte paritaire sera chargée d'arbitrer.
En moyenne, la décote accordée s'établit à 60%. Et "à 30%, quasiment aucune opération ne sort", d'autant que les fonciers de la Défense doivent souvent faire l'objet de dépollution, indique Simon Molesin, qui voit dans ce plafonnement "un bon exemple d'injonction contradictoire". "Il est difficile de dire combien de terrains seraient bloqués" du fait de cette disposition puisqu'"on ne connaît pas les taux de décote envisagés pour ceux dont les études sont en cours", précise-t-il. Mais "le foncier militaire est le premier foncier en nombre de logements" : une quarantaine de ces terrains sont inscrits sur les listes régionales et pourraient donc "potentiellement [être] bloqués par le plafonnement", ce qui représente environ "5.000 logements". Il évoque ainsi le projet de cession de la caserne Guines à Rennes, pour lequel les négociations avaient été menées et un accord avait été trouvé, désormais remis en cause, ou encore celui - "moins avancé" - de la base aérienne 943 à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), qui prévoyaient chacun 500 logements.

AEF