TIC - FNCCR : un livre blanc pour tracer les ambitions numériques des collectivités
Dans son livre blanc "Réussir la révolution numérique" publié fin juin, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) fait un tour d'horizon des problématiques auxquelles sont aujourd'hui confrontées les collectivités et propose ses solutions. Entendant "réfléchir à notre avenir numérique", la FNCCR part des attentes et des craintes du "citoyen-consommateur numérique" pour constater ce qui est - et ce qui pourrait être - en matière d'usages, de politiques de la donnée ou encore d'infrastructures. Tout en remettant les collectivités au cœur du débat ; et en prenant un ton parfois sévère avec l'Etat, ce partenaire pourtant "incontournable".
Un citoyen-consommateur numérique en attente
Description faite des mutations et des transformations induites par le numérique, les auteurs dressent un portrait de cet "être contradictoire" qu'est le citoyen-consommateur numérique. En attente de simplicité et de rapidité, celui-ci "s'approprie les usages qui lui sont utiles et ne se préoccupe qu'ensuite des difficultés éventuelles". Que ce soit en termes de sécurité ou de connectivité. Par ailleurs, l'évolution très rapide des pratiques et des technologies fait naître, selon les auteurs, une crainte "d'être dépassé" : générationnelle, mais également en termes de savoir-faire, alors que la France compte aujourd'hui près de 5 millions d'illettrés numériques (12 à 13%). Enfin, même si "l'action publique dans le numérique est efficiente depuis de nombreuses années", les attentes des citoyens en matière de simplification et de transparence deviennent chaque jour un peu plus pressantes et obligent les administrations à s'adapter (réactivité, personnalisation, …) et à adopter des politiques ambitieuses (infrastructures, ...).
La mutualisation comme solution
Par leurs compétences et leur proximité avec le citoyen, les collectivités sont "au cœur des défis du numérique". Numérique qui ne doit pas être perçu comme une contrainte mais au contraire comme un "outil essentiel d'aménagement du territoire et de modernisation des services publics". Très concrètement, le déploiement d'infrastructures très haut débit couplé au développement de téléservices adaptés (e-administration, e-santé…), ainsi que des choix forts en faveur du télétravail pourraient par exemple permettre de lutter efficacement contre la désertification rurale. Mais s'il existe des stratégies numériques au sommet de l'Etat (1) et dans les grandes collectivités, un bon nombre n'"ont pas encore suffisamment pris conscience de ces enjeux". La solution : la mutualisation des moyens et des services à l'échelle départementale qui apparaît pour la FNCCR comme "la plus adaptée". Ainsi, grâce à des structures de mutualisation informatique (syndicats mixtes), les collectivités pourraient atteindre la taille critique nécessaire pour répondre à leurs besoins, tant sur le volet technique (savoir-faire), que financier ou opérationnel (matériel, répondre aux besoins de formation).
Les collectivités mal armées face aux cyber-menaces
Autre enjeu majeur, celui de la cybersécurité. Et là encore, les collectivités – pourtant des cibles potentielles – "n'ont pas encore suffisamment pris conscience de la nécessité de sécuriser leurs systèmes d'informations". Face au risque croissant de cyber-attaque (terroriste ou criminelle) sur les infrastructures critiques (énergie, télécommunications, alimentation, transports…), l'Europe a fixé un cadre commun pour assurer leur protection (PEPIC). En France, les auteurs notent qu'"il n'a sans doute pas [été] accordé suffisamment d'importance à la sécurité", et "les entreprises et opérateurs d'importance vitale demeurent encore insuffisamment sensibilisés". Nombreux et très divers, ils "ne sont pas organisés pour répondre efficacement à un grave incident informatique" ; quant à l'Anssi, elle "n'a pas les moyens de faire face à une crise générale paralysant un secteur entier du pays". Côté collectivités, on notera qu'elles ne sont qu'un "faible nombre" à organiser des formations pour leurs agents et au moins 15% à n'avoir pas encore pris connaissance du Référentiel général de sécurité (RGS).
Construire une nouvelle gouvernance nationale du numérique
"C'est souvent une relation de type 'maître esclave' qui prend le dessus sans que le pilotage par l'Etat soit très pertinent". La FNCCR se montre très critique de la gestion faite par l'Etat des sujets numériques, tant sur le mobile que sur les déploiements très haut débit (zone AMII, points hauts…). Côté infrastructures, elle propose par exemple de compléter les dispositifs existants (FSN) par un refinancement du Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), de recourir plus massivement aux réseaux aériens électriques (et au génie civile des collectivités) ou encore, sur la commercialisation, de créer un opérateur national de mutualisation des réseaux initiative publique. De fait, "c'est donc la totalité de la gouvernance du plan national THD qu'il faut revoir". Tout en remettant en cause l'indépendance de l'Agence du numérique, "partiellement sous l'influence des volontés d'Orange", les auteurs estiment que "les collectivités territoriales ne sont pas suffisamment associées à la gouvernance du numérique". Concrètement, une relation rénovée passerait par la création d'un "établissement public administratif pour la gouvernance et la coordination nationale du numérique". Son rôle : développer une "coordination concertée au niveau national dans les domaines de la mise en place d'infrastructures et de services numériques". Autrement dit, s'inspirer et améliorer le dispositif DcANT, pour "copiloter, cogouverner, co-imaginer avec l'Etat", au-delà des usages et services.
Ivan Eve / EVS
(1) Au niveau de la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d'information et de communication (Dinsic), de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) et dans une moindre mesure, de l'Agence du numérique. Egalement pilotée par le Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (Sgmap).
Aller vers une gouvernance locale de la donnée
Le principal apport de ce livre blanc réside peut-être dans son traitement de la donnée. Déjà par ses rappels sur l'ampleur du phénomène de "data déluge" (production en masse de données de toutes natures), et des enjeux que cela pose en termes de stockage (solutions cloud), de traitement (solution big et smart data) ou encore leur représentation (les rendre lisibles par tous). Ensuite parce qu'il débroussaille le sujet d'un point de vue juridique. Mais surtout, parce que les auteurs soulèvent la question centrale des effets de la donnée sur la gouvernance. Interrogeant d'un côté la gouvernance par la donnée, qui implique de faire évoluer des organisations aujourd'hui en silo, vers des organisations plus transversales, fondées "sur l'usage et la réutilisation des données" (optimisation, nouveaux services, personnalisation…). Et de l'autre, la gouvernance de la donnée, avec la création d'un "service public national de la donnée", articulé entre une composante nationale et une composante locale. Autrement dit, aller au-delà du principe de "données de référence" défini dans le projet de loi pour une République numérique et repenser le service public de la donnée dans son ensemble : ouverture des données, financements, moyens de production et de diffusion, datasciences… Ce service public local à "géométrie variable" impliquerait les différents niveaux territoriaux (régions, départements, métropoles), les opérateurs techniques (syndicats mixtes) et les acteurs économiques locaux. Il poursuivrait quatre missions principales : développer la gouvernance de la donnée en assurant un équilibre entre les territoires, sensibiliser et accompagner les acteurs, dynamiser le développement du territoire et, enfin, coopérer avec les autres collectivités et le privé.