Finances publiques : opposée aux "coups de rabot", l'AMF vante "la responsabilité et la liberté locales"
Lors d'une récente audition à l'Assemblée nationale, David Lisnard - numéro un de l'Association des maires de France (AMF) - et André Laignel - numéro deux - ont été vent debout contre les récentes coupes budgétaires décidées par l'exécutif. Ces dernières vont entailler la capacité d'investissement local, et donc finalement priver la France de l'un des moteurs de sa croissance, ont-ils critiqué. En mettant aussi en avant le lien entre "la responsabilité des exécutifs locaux face à leurs habitants" et la "performance publique". Le rétablissement des comptes nécessiterait ainsi, selon eux, de restaurer le pouvoir de taux des collectivités.
Les économies de 10 milliards d'euros faites par l'exécutif sur le budget 2024 n'ont pas laissé de marbre les responsables de l'Association des maires de France (AMF). Cette "sorte de rabot saupoudré sur plus ou moins l'ensemble des postes de dépenses (…) ne remet pas en cause en fait la structure déficitaire et sous-performante de notre appareil public", a vertement critiqué, le 13 mars, le président de l'association. Auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les finances des communes et de leurs intercommunalités, David Lisnard s'en est pris en particulier à la décision du gouvernement de réduire de 2,5 à 2 milliards d'euros le fonds vert, dispositif destiné à soutenir les investissements des collectivités en faveur de la transition écologique. "La réduction de la capacité d'investissement [du bloc communal] est contraire à la finalité de pouvoir jouer un rôle contracyclique", a-t-il déploré, rappelant que les communes et leurs groupements avaient, historiquement, toujours été un levier pour la relance économique, du fait de leur poids dans l'investissement public (50%). "Attaquer la capacité d'investissement du bloc communal, c'est réduire notre croissance", a martelé le premier magistrat de Cannes.
Économies de 10 milliards : les collectivités très impactées
Au passage, David Lisnard a alerté sur la nécessaire "remise à niveau" des infrastructures, notamment routières ("ponts, ouvrages d'art et murs de soutènement"). "C'est un gros sujet qui nécessitera une capacité d'investissement du bloc communal", s'est inquiété l'élu. Le dossier figurera au programme du prochain congrès des maires de France.
Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, a déclaré que les collectivités locales ne seraient pas touchées en 2024 par les réductions de crédits, l'État faisant seul l'effort des économies, afin de parvenir à un déficit de 4,4% du PIB en fin d'année. Mais "c'est faux", a répondu André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF, qui était lui aussi auditionné le 13 mars par les députés. Cohésion des territoires, mobilités, écologie, développement durable, enseignement scolaire, outre-mer, sport, jeunesse et vie associative... selon l'élu, ce sont au total, "entre 3,7 et 3,8 milliards d'euros" de crédits annulés qui touchent des politiques dans lesquelles sont fortement engagées les collectivités.
Alors que le ministre de l'Économie avait estimé le 6 mars – c'était déjà devant la commission des finances de l'Assemblée nationale - que les collectivités devaient participer à la maîtrise des dépenses publiques, David Lisnard a eu un avis opposé. Selon lui, "le volant des dépenses des collectivités et en particulier du bloc communal n'est pas le problème des comptes publics de la France". D'ailleurs, la dette des collectivités représente "depuis trente ans" une part stable de seulement 9% de l'endettement public. "On ne peut nier que des communes sont mal gérées", a-t-il reconnu, en balayant toutefois le sujet d'un revers de main : "cela est du ressort de la démocratie locale".
Contribution territoriale universelle
Depuis "bien des années", le bloc communal "est dans la plupart des cas considéré comme une charge et non comme un levier. (…) C'est une erreur fondamentale que d'avoir ce regard sur les collectivités et en permanence de les dénoncer comme dépensiers (sic)", a protesté pour sa part André Laignel.
Les représentants de l'AMF ont estimé que la restauration d'une autonomie fiscale locale, c'est-à-dire la faculté pour les collectivités de déterminer les paramètres des impôts (taux ou bases, ou les deux), peut contribuer à revenir à des "finances publiques saines". "La performance vient de la responsabilité des exécutifs locaux face à leurs habitants", a lancé David Lisnard. En regrettant que la réduction de l'autonomie fiscale des collectivités, du fait des réformes successives touchant leur fiscalité, soit allée à rebours de ce principe.
Dans la résolution qu'ils ont adoptée à l'unanimité lors de leur dernier congrès, les maires de France ont appelé à "l’instauration d’une contribution territoriale universelle", à laquelle tous les habitants participeraient "à hauteur de leurs moyens", pour financer les services publics locaux. "Nous pouvons le faire à fiscalité constante", a précisé André Laignel devant les députés. En effet, la nouvelle taxe pourrait être mise en place en remplacement d'une part d'impôts nationaux dévolus aujourd'hui aux collectivités.
Revue des recettes
Alors que le gouvernement compte sur la revue des dépenses pour trouver des sources d'économies supplémentaires (notamment pour alimenter les 20 milliards de coupes budgétaires annoncées pour 2025), le maire d'Issoudun a estimé que l'exercice devait être "équilibré" par une "revue des recettes". L'élu réclame des éclaircissements sur trois questions : la compensation de la suppression de la taxe d'habitation, les dégrèvements de taxe foncière en faveur du logement social et "la réalité" des dépenses engagées par l'Etat pour les subventions en direction des investissements publics locaux. Sur ces sujets, les collectivités seraient mal compensées, ou victimes d'un "écart entre les annonces et la réalité". Le premier vice-président délégué de l'AMF devrait remettre cette proposition sur la table, à l'occasion de la prochaine réunion, le 9 avril, du Haut Conseil des finances publiques locales, qui aura lieu sous la houlette du ministre de l'Economie.
Tranchant avec le tableau sombre dressé par les responsables de l'AMF, Jean-René Cazeneuve, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, a, pour sa part, estimé que "le bloc communal se porte plutôt bien". L'investissement du secteur sera "assez proche de 40 milliards d'euros" en 2023, soit une progression de près d'un tiers par rapport à 2017 et plus rapide que l'inflation (+"19%" sur la période). Ces investissements sont financés notamment par une épargne brute (différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement) du bloc communal, qui s'est consolidée : elle a atteint 22 milliards d'euros l'an dernier, en nette augmentation (+10% par rapport à 2022 et + 33% par rapport à 2017).
Mais pour André Laignel, il faut une loupe pour bien comprendre les évolutions des finances locales. Parmi les communes de 5.000 à 100.000 habitants, l'épargne brute n'avait progressé, en 2022, que pour une commune sur trois, a-t-il rétorqué, en se fondant sur une récente étude de l'observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).