Pour Bruno Le Maire, les collectivités devront participer au "redressement des comptes publics"
Lors de deux auditions organisées le 6 mars par les parlementaires, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, a estimé que les collectivités locales devront contribuer au "redressement des comptes publics", aux côtés de l'État et de la Sécurité sociale. Ce sont au moins 20 milliards d'euros d'économies supplémentaires qui sont à trouver dans le projet de budget pour 2025, a détaillé de son côté Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics, au cours de ces réunions. Parmi les sources possibles d'économies, les deux responsables de Bercy mentionnent le millefeuille administratif et l'absentéisme des agents publics.
Ce sont "au moins 20 milliards d'euros" d'économies supplémentaires, au lieu des 12 milliards d'euros annoncés jusque-là, que le gouvernement devra trouver dans le projet de budget pour 2025, afin de respecter un déficit public de 4,4 % en fin d'année, a révélé Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics, lors de son audition, le 6 mars, par les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
L'hôte de Bercy était auditionné avec Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, sur le décret du 21 février, qui a annulé 10 milliards d'euros de crédits dans le budget de l'État pour 2024 (voir notre article). Des économies critiquées de toutes parts, tant sur la forme que sur le fond, qui ne constituent qu'une première "étape" du tour de vis prévu par un exécutif réfutant cependant tout projet d'austérité budgétaire.
L'absentéisme des agents publics montré du doigt
De nouvelles économies pourraient trouver place dans un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2024 qui, à ce stade, est présenté comme hypothétique. "En fonction" du niveau des recettes de l'État, le gouvernement déposera ou non "cet été" un tel projet de loi, a précisé le ministre de l'Économie. L'étape d'après sera celle de la présentation en septembre du projet de loi de finances pour 2025. Avec, donc, un objectif annoncé d'au moins 20 milliards d'euros de coupes budgétaires.
"Nous sommes entrés dans un nouveau contexte des finances publiques", a déclaré sobrement Thomas Cazenave. Bruno Le Maire utilisant quant à lui des expressions plus colorées. "Nous avons besoin d’une cure de désintoxication de la dépense publique : elle a commencé", a-t-il prévenu.
Pour serrer la vis, Bercy compte beaucoup sur les revues de dépenses publiques en cours, lesquelles ont été détaillées dans un inventaire à la Prévert. "Les aides aux entreprises, les dispositifs en faveur de la jeunesse, les politiques de l'emploi, la formation professionnelle et l'apprentissage, les dispositifs médicaux, les affections de longue durée, les aides au secteur du cinéma, la loi de programmation militaire, ou encore les dépenses immobilières des ministères" sont dans le viseur. Sur la liste figure aussi "l'absentéisme dans la fonction publique", celui des agents territoriaux en particulier. "Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que le nombre de jours d’absence parmi les personnels des collectivités locales soit de 17 par an, quand il est de 12 dans le privé, et de 10 dans les services de l’État ?", s'est interrogé le ministre de l'Économie. En affirmant aussi que l'exécutif s'intéresse de près à la question de "l'empilement d’échelons d’administrations locales".
"Simplifier les strates locales"
Mais c'est un peu plus tard, devant les sénateurs, que Bruno Le Maire en a dit le plus sur le sujet. "Peut-être qu'il faudra aussi regarder entre communes, communautés de communes, EPCI, départements, régions, s'il n'y a pas lieu aussi de simplifier les strates locales", a-t-il lancé. En affirmant qu'il avait "la conviction que l'accumulation de strates administratives" - aussi bien "nationales" que "locales" - a "un coût vertigineux".
Les réflexions du gouvernement dans ce domaine - et celles de la mission conduite par Éric Woerth sur la décentralisation, qui doit aboutir début mai (voir notre article) - seront alimentées par le rapport que remettra prochainement Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, sur "les coûts de l’enchevêtrement des compétences et des responsabilités entre les administrations publiques". Le rapport, auquel devait également contribuer Catherine Vautrin - c'était avant sa nomination au gouvernement de Gabriel Attal - avait été annoncé initialement pour la fin du mois de février (voir notre article dédié).
Débat impossible avec les élus locaux ?
Quelles que soient les propositions déposées sur la table et les décisions prises sur le sujet, les collectivités locales devront participer à "l'effort de redressement des comptes publics", a insisté Bruno Le Maire. Il s'agit d'un tournant. Car jusque-là, le gouvernement disait mettre les collectivités à l'abri des coupes budgétaires - sans toutefois reconnaître que celles-ci entraîneraient des conséquences sur le financement des collectivités locales. "On ne peut pas dire qu'il y a le méchant État d'un côté et les gentilles collectivités locales de l'autre", a justifié le ministre devant les sénateurs.
"Je ne veux pas que nous prenions cette décision sur les collectivités locales sans qu'elles acceptent ce débat dans le cadre du Haut Conseil des finances publiques locales" (HCFPL), a déclaré Bruno Le Maire. Il a assuré avoir proposé déjà six fois une date aux représentants des élus locaux pour la réunion de cette nouvelle instance de dialogue inaugurée en septembre dernier (voir notre article du 19 septembre). Avec à la clé, selon le ministre, à chaque fois, un refus des intéressés, pour cause d'agenda. "J'espère simplement que les collectivités locales accepteront de se mettre autour de la même table que celle du ministre des Finances et que celle du ministre des Comptes publics pour en débattre", a-t-il dit, en promettant de "proposer une septième, une huitième, une neuvième, une dixième date". Mais sur le réseau social X, David Lisnard, président de l'Association des maires de France (AMF), a donné une autre version : "C’est Bercy qui a annulé la réunion du HCFPL deux heures avant sa tenue, alors que le représentant de l’AMF était dans le train, sans même un mot d’excuses."
Fonds vert "maintenu à un haut niveau"
Lors des auditions, les ministres se sont aussi employés à rassurer des parlementaires qui se sont dit inquiets à plus court terme des effets de l'annulation des 10 milliards d'euros dans le budget de l'État pour 2024. Avec "2,2 milliards d'euros de crédits" en moins, la transition écologique est "la grande perdante", a critiqué Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat. Les dépenses en faveur de l'écologie demeurent en 2024 en augmentation de "8 milliards d'euros" dans le budget de l'État, a répondu Thomas Cazenave, en soutenant que ce budget est "le plus vert de notre histoire". Les subventions accordées aux particuliers qui font des travaux de rénovation énergétique (MaPrimeRénov') seront réduites d'un milliard d'euros. Mais l'année dernière, tous les crédits n'avaient pas été dépensés, parce que le dispositif "est sans doute trop complexe". Le gouvernement promet de le simplifier "drastiquement". Raboté, quant à lui, de 500 millions d'euros, le fonds vert destiné à soutenir les projets de transition écologique initiés par les collectivités locales, est "maintenu à un haut niveau". Son montant, finalement de 2 milliards d'euros pour 2024, correspond à "un effort considérable" de l'État, a estimé Thomas Cazenave.
"Les priorités de nos services publics - "le réarmement de la police et de la justice, le chantier 'choc des savoirs' au sein de l'Éducation nationale" - qui nécessitent des moyens supplémentaires, sont confortés et ne sont pas remis en question", a-t-il par ailleurs assuré.
"Reprogrammation" par les ministères
La réduction de 117 millions d'euros (soit -25%) des crédits accordés au très haut débit "ne remet pas en question la trajectoire de déploiement", a aussi estimé le ministre délégué chargé des comptes publics. "C'est une reprogrammation technique en fonction de l'avancée des projets", a-t-il indiqué. En précisant aussi que "la mobilisation de la trésorerie de l'ANCT [Agence nationale de la cohésion des territoires] va permettre de faire le raccord".
En réduisant les aides au logement de 330 millions d'euros en 2024, le gouvernement se défend de "revoir les dispositifs". "C'est notre prévision technique de sous-exécution de la dépense qui nous permet de faire une économie aussi sur ce programme", a expliqué Thomas Cazenave.
Les conséquences de l'annulation de 10 milliards d'euros pour les politiques de l'État ne sont pas encore toutes connues. Il appartient en effet aux ministères de revoir dans le détail leurs budgets, afin de les prendre en compte, et ce d'ici la fin de ce mois.