Fin du numerus clausus et accès aux études de santé : le statut quo est intenable, pour la Cour des comptes
Si les effectifs d’étudiants en médecine ont augmenté, la suppression du numerus clausus n’est pas en voie de produire les résultats escomptés sur la réduction des inégalités territoriales, selon la Cour des comptes qui préconise d’améliorer la planification sur la base des besoins des territoires et des capacités de formation. Dans un rapport réalisé sur demande du Sénat, la Cour des comptes appelle également à rétablir une voie d’accès unique aux études de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP), pour simplifier un dispositif jugé illisible et n’atteignant qu’à la marge les objectifs fixés par la réforme de 2019.
À partir de la rentrée universitaire 2020, conformément à la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, l’accès aux études de santé a été transformé et le numerus clausus a été supprimé. La première année commune aux études de santé (Paces) a en effet été remplacée par trois voies d’accès aux formations de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP) : une voie principale avec le parcours avec accès spécifique santé (Pass, majeure santé et mineure hors santé), une voie secondaire avec la licence avec option accès santé (LAS, avec une majeure hors santé, par exemple en sciences de la vie ou en droit, et une mineure santé), ainsi que des passerelles depuis certaines formations paramédicales.
Au numerus clausus, "qui consistait depuis 1971 en la fixation annuelle par les ministres du nombre de professionnels à former dans chaque université", s’est substitué un nouveau mode de détermination des effectifs de professionnels de santé à former - dispositif fondé sur des concertations aux niveaux national et local et destiné à mieux ajuster le nombre d’étudiants aux besoins des territoires.
Dans un rapport réalisé sur demande de la commission des affaires sociales du Sénat et publié le 11 décembre 2024, la Cour des comptes dresse un bilan plus que mitigé de cette réforme "aux objectifs trop nombreux". L’ambition était en effet d’augmenter les effectifs de professionnels de santé pour répondre aux besoins, mais aussi d’améliorer la réussite des étudiants, de diversifier les profils et de développer les passerelles entre les formations. La Cour estime que l’objectif de diversification était "dès le départ mal spécifié et peu précis", avec "de nombreux sous-objectifs" en termes géographique, académique et social "dont les conséquences sur le système de soins sont inégalement documentées".
Une augmentation des places en médecine "sans lien évident avec les besoins des territoires"
Concernant la planification des effectifs, la faible coordination interministérielle, les moyens limités et l’absence d’une méthodologie partagée sont autant d’obstacles à la fixation d’objectifs pertinents, est-il relevé. La première vague de concertation a par ailleurs été menée dans des délais contraints en raison de la crise sanitaire.
Sur les trois premières années de la réforme, le nombre d’admis en MMOP a certes augmenté dans les filières médecine (+ 18%) et odontologie (dentiste, + 14%), mais a diminué en pharmacie (- 6%) et en maïeutique (sage-femme, - 4%). Concernant ces deux dernières spécialités qui connaissaient déjà des difficultés d’attractivité, l’augmentation du nombre de places en médecine a eu "un effet de siphonage des étudiants", constate la Cour des comptes. "Des mesures correctives déployées par les universités" (communication, tutorat…) ont cependant entraîné une baisse du nombre de places vacantes en 2022-2023.
L’augmentation du nombre de places en médecine est "sans lien évident avec les besoins des territoires", indique la Cour des comptes, qui observe que la hausse des effectifs "diffère fortement d’une région à l’autre et plus encore d’une université à l’autre". Si une logique de rattrapage a par exemple été actée dans la planification du Centre-Val de Loire, ce n’est pas le cas pour les régions Normandie, Hauts-de-France et Pays de la Loire, selon la Cour qui s’inquiète des écarts qui pourraient continuer à se creuser.
En vue de "la prochaine conférence nationale de santé, initialement prévue en 2024 [et] qui pourrait ne pas se tenir avant 2026", les magistrats recommandent que les objectifs de formation fixés pour la période 2026-2030 s’appuient davantage sur les données régionales, départementales et infra-départementales de densité médicale ainsi que sur des "indicateurs partagés et standardisés sur les capacités de formation" (taux d’encadrement, équipement et terrains de stages). La Cour appelle aussi à "reconnaître à l’observatoire national de la démographie des professions de santé un rôle de planification des ressources humaines en santé" et à doter cet ONDPS des moyens suffisants.
Diversification des profils d’étudiants : un impact "défavorable" de la réforme
Jugé complexe (en soi et du fait d’un "cadre réglementaire permissif" ayant entraîné "un déploiement hétérogène" puisqu’il y aurait "autant de déclinaisons de la réforme que d’universités") et peu lisible pour les étudiants comme pour l’ensemble des parties prenantes, le nouveau dispositif d’accès aux études de santé n’aurait pas permis d’obtenir des résultats tangibles en matière d’amélioration de la réussite des étudiants et de diversification des profils. Sur ce dernier point, la réforme pourrait même avoir eu un effet contre-productif, "une légère tendance à l’homogénéisation" des profils étant perçue.
Si des LAS ont été ouvertes dans des universités sans UFR en santé situées hors des métropoles et des grandes villes, dans le but de recruter davantage de jeunes issus de territoires ruraux et/ou de milieux sociaux modestes, "les conditions d’études proposées dans ces universités sont telles que les chances d’accéder à MMOP demeurent faibles", selon le rapport. L’impact de la réforme est donc jugé "défavorable" puisque l’existence de ces formations a probablement dissuadé des étudiants de déménager pour accéder à un parcours offrant plus de chances de réussite.
Le statut quo est donc intenable pour la Cour des comptes qui préconise de rétablir une voie unique d’accès aux études de santé, tout en maintenant certains aspects de la réforme jugés positifs tels que l’impossibilité de redoubler la première année et l’intégration d’une mineure hors santé ouvrant l’accès à une deuxième année de licence. La Cour recommande également d’expérimenter "un accès direct en pharmacie et en maïeutique pour un contingent d’élèves sélectionnés sur Parcoursup" - cela en complément de la procédure classique.
Ce rapport constitue "un constat d’échec solidement étayé", selon la commission des affaires sociales du Sénat, qui appelle à "des réponses urgentes" et annonce lancer "des travaux complémentaires destinés à dresser des perspectives d’évolution rapide".