Filières REP : une mission d'inspection recommande la création d'une instance de régulation indépendante

Dans un volumineux rapport publié ce 18 juillet, une mission d'inspection interministérielle fait le constat des problèmes de performances des filières relevant de la responsabilité élargie du producteur (REP) et redoute des difficultés croissantes à l'avenir, avec des risques de fortes hausses des éco-contributions mais aussi de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Parmi ses dix recommandations, elle préconise la création d'une instance de régulation indépendante et une meilleure incitation des collectivités à la performance.

Lancée le 8 janvier dernier par l'ex-Première ministre Elisabeth Borne, la mission interministérielle sur les filières relevant de la responsabilité élargie du producteur (REP) a publié son rapport ce 18 juillet. Quatre ans après la promulgation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire dite AGEC, qui a augmenté le nombre de filières REP et étendu les missions qui leur sont attachées, notamment dans le domaine de la réparation et du réemploi, la performance environnementale et économique de ces filières n’avait jusqu’alors donné lieu à aucun bilan consolidé, "alors que la France promeut ce modèle au niveau européen et international, dans le cadre des négociations en cours pour l’adoption d’un traité international de lutte contre la pollution plastique", souligne la mission en introduction de son volumineux rapport (341 pages).

Des performances largement en deçà des objectifs

Le document commence par une analyse des performances environnementales et économiques des filières REP dont la mise en place à partir des années 1990 en France - 18 filières sont effectives en juin 2024 - a permis de réaliser des progrès en matière de collecte et de recyclage des déchets, soulignent les inspecteurs. Ainsi, la croissance de la collecte des déchets dans le périmètre des REP entre 2010 et 2022 (+2,9 millions de tonnes) a été supérieure à celle du gisement (+0,7 million de tonnes). Les quantités recyclées sur la période ont progressé (+2,2 millions de tonnes) et la part du gisement qui est recyclée est également en hausse, passant de 39% à 50%. Dans le périmètre de la REP, la part de déchets collectés éliminés sans valorisation a été fortement réduite, cette fin de vie des produits constituant le dernier recours dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets, rappelle la mission.

Mais "les performances des filières REP présentent toutefois d’importantes marges de progrès", poursuit-elle. Ainsi, "40% du gisement de déchets soumis à une REP échappe encore à la collecte, et 50% n’est pas recyclé". Pis, "les objectifs de collecte fixés par les cahiers des charges des filières ne sont pas atteints dans deux tiers des filières pour lesquelles les données sont disponibles, et deux filières sont particulièrement loin de leur cible (équipements électriques et électroniques et textiles)". Si les objectifs de recyclage sont atteints dans la majorité des filières en 2022, la filière des emballages ménagers, qui représente 32% du gisement, "fait figure d’exception, avec un retard important sur le recyclage des emballages en plastique et en aluminium", écrivent les inspecteurs. Quant au réemploi et à la réutilisation, ils sont encore faiblement développés (2,3% du gisement couvert par la REP est réemployé ou réutilisé).

Retard en termes de collecte et de recyclage

"Pour l’avenir, la trajectoire d’objectifs est très ambitieuse", relève la mission. À horizon 2025, la REP couvrira 22% du gisement total de déchets en France (68 millions de tonnes sur un total de 310 millions de tonnes) contre 5% en 2022, cette croissance s’expliquant par l’intégration de six nouvelles filières, dont celle du bâtiment qui tire l’essentiel de la hausse. Entre 2022 et 2030, l’atteinte des objectifs des cahiers des charges impliquerait donc une multiplication par cinq des tonnages collectés, par trois des tonnages recyclés, et par neuf des tonnages réemployés. Mais pour la mission, le respect des objectifs est "compromis en matière de collecte, par le retard pris notamment dans la filière du bâtiment" et il est "incertain" en matière de recyclage, car "il dépend de la capacité de la filière des déchets d’emballages ménagers à rattraper son retard et de l’utilisation de la matière recyclée dans les produits mis en marché". Quant au réemploi, le respect des objectifs dépend selon la mission de "l’évolution des modes de conception des produits mis sur le marché et de l’incitation des consommateurs à privilégier le réemploi plutôt que le neuf, alors que l’efficacité des leviers mobilisés par les filières REP pour modifier ces comportements n’est pas démontrée".

Dans ce contexte, l’intégration de filières nouvelles et les trajectoires d’objectifs devraient engendrer "une forte hausse des éco-contributions entre 2022 et 2029 (+6 Md€), qui pèseront sur les marges des entreprises et/ou le consommateur", mettent-ils en garde. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) est également selon eux "sur une trajectoire haussière, aboutissant à une hausse du coût moyen supporté par le citoyen". Entre 2012 et 2022, en euros constants, la TEOM a augmenté de 13% et la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) de 16%), indique le rapport.

Pour les inspecteurs, l’acceptabilité de cette trajectoire suppose "une amélioration significative et rapide des performances des filières REP". Or, estiment-ils, "les conditions ne sont pas réunies pour garantir une telle évolution". En attendant qu’elles le soient, la mission recommande de ne créer de nouvelle filière que si elle correspond à une exigence européenne.

Revoir le pilotage d'ensemble

Elle juge d'abord que le pilotage des filières REP par les pouvoirs publics "présente des défaillances qui ne peuvent être rectifiées à cadre institutionnel constant : les données sont trop anciennes et lacunaires (absence de la dimension économique) pour permettre un pilotage fin de la performance ; les sanctions ne sont quasiment jamais mobilisées que ce soit à l’égard des éco-organismes manquant à leurs objectifs ou des metteurs en marché fraudeurs ; la régulation ex ante des équilibres concurrentiels et la gestion des différends sont inexistantes". Selon elle, "une réforme institutionnelle, impliquant la création d’une instance indépendante de pilotage et de régulation des REP, est en mesure d’apporter une réponse optimale à la hauteur des enjeux". "Un simple regroupement des ressources humaines impliquées dans le suivi des REP au sein de cinq services administratifs, pour autant qu’il soit pertinent, ne serait pas de nature à permettre d’exercer pleinement et en toute indépendance au moins deux fonctions indispensables au pilotage de la performance : la gestion des différends entre acteurs et la mobilisation du pouvoir d’injonction et de sanctions", avance-t-elle. La mission estime que la "crédibilité" d’une instance de régulation lui permettrait d’"exercer plus facilement certaines fonctions essentielles, comme la collecte dans les délais de données fiables et complètes ou l’expertise spécifique pour les différentes filières".

Une instance de régulation en appui de l'administration centrale

"Alors que l’administration centrale serait confortée dans un rôle stratégique de définition du cadre général de la politique publique relative aux REP, en lien avec une ambition plus globale sur l’économie circulaire, et de fixation des objectifs de moyen et long terme des filières, l’instance se verrait confier une mission de pilotage (recueil et mise à disposition du public des données nécessaires à la production des études sur les filières REP et au pilotage de leur performance, dont elle assurerait le suivi) et de régulation (suivi de la concurrence sur les marchés des REP, règlement des différends entre acteurs)", soutiennent les rapporteurs.

"Ce dispositif permettrait de renforcer les outils en matière de pilotage, contrôle et sanctions", défend le rapport. Tandis que l’administration centrale édicterait les lignes directrices fixant les objectifs à 4 et 10 ans, "l’instance de régulation délivrerait les agréments des éco-organismes et des systèmes individuels, déclinerait à la maille de chacune de ces entités les lignes directrices des filières dans un cadre d’objectifs quadriennal contraignant, et disposerait d’un pouvoir d’injonction et de sanction mieux adapté, plus rapide et plus dissuasif", avance la mission.

Réorienter le système d'incitations

La dernière partie du rapport est consacrée au système d’incitations en direction des différentes parties prenantes des REP, que la mission juge "mal orienté".  "La gouvernance des éco-organismes par les metteurs en marché leur permet de privilégier le niveau des éco-contributions plutôt que l’atteinte des objectifs et entre en contradiction directe avec la priorité donnée à la durabilité, au réemploi et à la réparation", relève-t-elle. Autres inconvénients, selon elle : "les soutiens financiers aux collectivités tiennent insuffisamment compte des disparités territoriales pour les inciter à la performance" tandis que les opérateurs de gestion de déchets "manquent de visibilité pour sécuriser leurs investissements industriels".

La mission formule donc plusieurs propositions visant à améliorer le système d’incitations de ces différentes parties prenantes, à commencer par les collectivités. Lorsque ces dernières contractualisent avec des éco-organismes qui interviennent en soutien financier, elles sont incitées à la performance par des clauses spécifiques, qui bonifient les soutiens financiers basés sur le nombre de tonnes collectées et triées - c'est le cas, par exemple, des soutiens versés par Citeo dans la filière des emballages qui dépendent des taux moyens de recyclage) – ou sont assorties de pénalités – comme la convention type d’Ecodds, dans la filière des produits chimiques, qui prévoit une pénalité forfaitaire pour chaque conteneur contenant une non-conformité. 

Des niveaux de soutien aux collectivités différenciés par catégorie de territoire

"Cependant, cette incitation n’est pas suffisamment différenciée, dans la mesure où le niveau des soutiens financiers ne tient pas compte de la typologie des territoires et, en particulier, des caractéristiques de l’habitat", ce dernier pouvant faire varier fortement le coût de gestion des déchets, souligne la mission en se fondant sur des données de l’Ademe. Ainsi, le coût aidé de gestion des déchets est en moyenne de 98 euros hors taxe par habitant mais varie de 81 euros HT en milieu rural à 152 euros HT en zone d’habitat touristique, indique le rapport. "Dans ce contexte, les collectivités territoriales dont les coûts sont les moins couverts par les soutiens des éco-organismes risquent de voir leurs performances environnementales plafonner à un niveau inférieur à la moyenne nationale, relèvent les inspecteurs. Ce risque est réel puisque le coût moyen aidé de la gestion des déchets collectés séparément demeure supérieur (282 euros hors taxe par tonne) au coût moyen aidé de la gestion des ordures ménagères résiduelles (253 euros hors taxe par tonne), si bien que les collectivités n’ont pas d’incitation financière à favoriser le développement de la collecte sélective." Pour remédier à cette situation et inciter à davantage de performance, la mission propose donc de différencier, dans les contrats-types des filières concernées, les niveaux de soutien aux collectivités selon les coûts moyens de collecte et de traitement des déchets par catégorie de territoire et de publier les niveaux de performance de chaque collectivité sur les principaux flux matière.

La mise en oeuvre des fonds de réemploi/réutilisation confiée à l'Ademe

La modulation des éco-contributions ne constituant pas à elle seule un dispositif suffisamment incitatif, relève la mission, elle recommande pour mieux inciter les metteurs en marché à l’éco-conception, à l’allongement de la durée de vie de leurs produits, et à l’incorporation de matières recyclées, de porter à l’échelon européen un renforcement des exigences règlementaires. Enfin, il faudrait selon elle "prendre acte du conflit d’intérêt entre la gouvernance des éco-organismes et les objectifs croissants de réemploi et de réparation, en leur ôtant la responsabilité de la mise en œuvre des fonds correspondants, tout en maintenant l’obligation de financement de ces missions par les metteurs en marché dans le cadre de la REP". Elle recommande ainsi de confier à l’Ademe la mise en oeuvre des fonds de réemploi/réutilisation et de réparation, en lieu et place des éco-organismes.