Faire de la politique de cohésion un élément de compétitivité
Le "groupe de haut niveau" sur le devenir de la politique de cohésion missionné par la Commission européenne a remis ses propositions le 20 février. Il plaide pour que cette politique soit davantage "proactive" et orientée vers le développement économique, hors agglomérations, favorise une approche sur-mesure, en renforçant la place et les compétences des acteurs locaux, ou encore qu'elle soit plus facile d’accès.
Les préconisations sur la future politique de cohésion se suivent, et pour l’essentiel se ressemblent. Cette fois, comme annoncé par la commissaire Ferreira à Mons (voir notre article du 8 février), c’est le "groupe de haut niveau" – au sein duquel on compte l’ancienne députée européenne socialiste Pervenche Berès – missionné par la Commission qui a remis sa copie, en rien révolutionnaire.
Retour aux sources
Ou alors au sens propre. Le groupe plaide en effet pour un retour aux sources de la politique de cohésion : "Il faudrait se recentrer sur le développement. Sa préoccupation fondamentale devrait être de mobiliser le potentiel économique inexploité de l’UE, en particulier en investissant dans les régions les moins développées et dans les régions se trouvant dans des pièges de développement ou risquant de tomber dans un tel piège." Le groupe s’inquiète en effet du "déclin de la compétitivité" de l’économie européenne, laquelle a "perdu un poids considérable sur la scène mondiale". Le groupe érige même cette question au rang de "défi structurel le plus urgent". Il recommande ainsi de faire de la politique de cohésion un "outil dynamique pour libérer le potentiel économique", devant "promouvoir les réseaux mondiaux, la connectivité via le commerce et les investissements transfrontaliers ainsi que l’engagement dans les chaines de valeur mondiales". Un appel au large qui peut détonner, au moment où la souveraineté revient à la mode (voir notre article du 13 novembre 2023). Le groupe insiste par ailleurs sur le fait qu’il "s’agit d’une politique proactive plutôt qu’une politique d’intervention lorqu’une crise bat son plein" – ce qu’elle a pourtant tendance à devenir (voir notre article du 3 février 2023).
Hors les grandes agglomérations, point de salut ?
Pour le groupe d’experts, ce potentiel économique doit être singulièrement libéré hors des grandes agglomérations, alors qu’il constate à son tour que "le développement économique et la croissance dans l’UE sont de plus en plus concentrées dans les grandes zones urbaines". Il juge cette "polarisation territoriale" mortifère, rejoignant ici les conclusions du 8e rapport sur la cohésion (voir notre article du 9 février 2022). "L’UE ne peut pas s’appuyer uniquement sur le dynamisme de ses grandes agglomérations", avertit-il, faisant ainsi écho au Comité des régions (voir notre article du 7 novembre 2023). Il souligne que 60 millions d’européens vivent en 2023 dans des régions qui affichent un PIB/habitant inférieur à celui de 2000 – précisant que c’est notamment le cas du nord-est de la France. Une France qui compte par ailleurs un grand nombre de départements susceptibles d’être pris au "piège du développement" : "Ils abondent dans le nord de la France en dehors de Paris", pointe le rapport – comme l’a déjà fait la Commission (voir notre article du 26 mai 2023). Un nord très large en l’espèce, puisqu’il s’étend jusqu’à l’Orne, la Sarthe et le Maine-et-Loire à l’ouest, et à la partie nord d’Aura au sud, en comptant également les Landes, le Lot-et-Garonne, la Dordogne, l’Isère, l’Ardèche ou encore le Gard !
Renforcer l’autonomie, les moyens… et les compétences des collectivités
Pour inverser la tendance, le groupe rejette l’approche d’une "même taille pour tous" et prône de prendre davantage en compte "les lieux et les personnes". Ce qui suppose, entre autres, que "les autorités et communautés infranationales soient autorisées à jouer un véritable rôle dans la conception et la mise en œuvre des stratégies de développement local". Classiquement, le rapport préconise de "renforcer la gestion partagée", de "renforcer et de rendre autonomes les collectivités locales" ou encore de "renforcer l’assistances aux décideurs locaux pour améliorer la conception et la mise en œuvre de leurs interventions". Il recommande également "d’investir dans le renforcement du leadership et le professionnalisme du personnel de l’écosystème administratif, depuis les autorités de gestion jusqu’aux bénéficiaires", ce qui n’est pas sans rappeler le récent rapport de la direction Agri de la Commission sur le programme Leader (voir notre article du 30 novembre 2023).
Approche axée sur la performance…
À l’instar de la Cour des comptes européenne (voir notre article du 20 janvier 2023) ou du Conseil (voir notre article du 4 décembre 2023), lesquels mettent notamment en avant la méthode retenue pour la facilité pour la relance et la résilience (voir notre article du 22 février), le groupe plaide également pour que la politique de cohésion soit "davantage axée sur la performance, en alliant sa dimension territoriale à une plus grande attention portée aux résultats", en soulignant toutefois que cette approche doit notamment "respecter le principe de partenariat".
… qui passe notamment par la simplification
Le groupe fait remarquer que "des procédures plus simples et des critères plus clairs, comme la rationalisation des pratiques administratives ou la réduction de la paperasse, peuvent contribuer grandement à améliorer [cette] efficacité" de la politique de cohésion... En l’espèce, des progrès apparaissent nécessaires, le groupe soulignant que "la complexité persistante" – et même "croissante" – de cette dernière "pose des défis majeurs aux autorités de gestion, aux organismes intermédiaires et, surtout, aux bénéficiaires", "ce qui entrave le développement de leurs régions". Une pierre dans le jardin de la Commission, alors que Elisa Ferreira avait naguère mis en avant les "grands succès" obtenus en la matière (voir notre article du 2 mars 2022) ? Le groupe alerte en particulier sur le fait que "les projets innovants, de plus grande valeur et comportant plus de risques, peuvent être découragés au profit d'interventions plus conventionnelles qui cochent toutes les cases nécessaires".
Spectre de l’élargissement
Alors qu’un nouvel élargissement de l’Union se profile, le groupe suggère in fine que "l’accent mis sur l’intégration et le développement des nouveaux États membres ne doit pas se faire au détriment des investissements dans les régions actuelles de l’UE. En particulier, la politique de cohésion devrait tenir compte de l'impact potentiel que l'élargissement aura sur les régions frontalières des pays candidats". Dans un rapport d’initiative adopté par sa commission Regi le 14 février dernier sur la politique de cohésion 2014-2020, qui sera examiné lors de sa plénière de mars, le Parlement européen partage les mêmes inquiétudes. Il estime même que "la reconstruction de l'Ukraine ne devrait pas être financée par le budget de cohésion, mais par d'autres moyens tels que les contributions budgétaires des États membres". Hors solidarité européenne, donc.
En 2022, le PIB réel (i.e. mesuré à prix constants) a augmenté dans 231 des 242 régions européennes (NUTS2), a indiqué l’office Eurostat le 20 février dernier. Parmi les 11 régions en décroissance, figure la Corse, avec une récession de 1,2%. |