Conférence nationale des territoires - Et si l'agence des territoires sortait enfin du bois ?
Un amendement au projet de loi Elan va habiliter le gouvernement à créer la future agence nationale pour la cohésion des territoires par voie d'ordonnance. Cet amendement est l'une des rares annonces de la Conférence nationale des territoires, qui s'est déroulée le 12 juillet au Quai d'Orsay, en l'absence de l'AMF, de l'ADF et de Régions de France. Cette agence permettra de "changer radicalement les relations entre l'État et les collectivités" a promis le commissaire général à l'égalité des territoires, Serge Morvan, confirmant par ailleurs la volonté du gouvernement de proposer un "contrat unique" aux collectivités. Le commissaire a aussi dévoilé le premier rapport sur la cohésion des territoires qui "doit ouvrir la voie à une nouvelle feuille de route stratégique".
D’une Conférence nationale des territoires (CNT) à l’autre, la feuille de route du gouvernement pour l’aménagement du territoire, ou plutôt la "cohésion des territoires", s’affine. Il y a un an, le 17 juillet 2017, à l’occasion de la première CNT, le président de la République avait annoncé la création d’une agence nationale pour la cohésion des territoires. Cette agence va bel et bien voir le jour, après bien des spéculations, puisque le gouvernement a déposé un amendement en ce sens, jeudi "à midi", au projet de loi Elan (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique). C’est ce qu’a annoncé le "préfigurateur" de l’agence, le commissaire général à l’égalité des territoires, Serge Morvan, lors de la troisième CNT qui se tenait au Quai d’Orsay, le 12 juillet. Encore que cet amendement, qui sera examiné par le Sénat la semaine prochaine, n’est pas un acte de naissance officiel : il prévoit d’habiliter le gouvernement à créer l’agence, par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation du texte. Il s’agira d’une "agence de l’État dotée de la personnalité morale compétente pour l’ensemble du territoire national". Elle sera "chargée de lutter contre les fractures territoriales et d’accompagner les mutations des territoires, en conduisant des programmes d’intervention et en soutenant, en lien avec les collectivités territoriales et les autres opérateurs de l’État, des projets territoriaux", indique l’énoncé de l’amendement. "L'agence s'appuiera, au niveau déconcentré, sur les préfets de région et de département, délégués territoriaux. Elle pourra intégrer certains opérateurs existants et son action sera articulée avec celle des opérateurs qui ont déjà une présence territoriale", est-il précisé. Et elle pourra être financée avec des deniers publics et privés. Mais sa création suppose "de finaliser une concertation avec l'ensemble des parties prenantes", d’où la décision de passer par voie d’ordonnance.
Édouard Philippe veut "généraliser le mode projet"
Les élus présents à la CNT ont dû attendre la fin de la rencontre pour que Serge Morvan, plutôt parcimonieux, apporte l’information que beaucoup étaient venus chercher. "Il faut changer radicalement la relation entre l’État et les collectivités territoriales. (…) Il faut arriver à monter les projets en aidant les élus, pas en disant ce qu‘il faut qu’ils fassent. L’agence nationale pour la cohésion des territoires part d’abord de ce constat", a déclaré le commissaire général. "Les membres de l’agence devront se demander chaque matin, comment je peux aider les élus locaux" et non répondre à une commande du gouvernement, a appuyé le secrétaire d’État à la Cohésion des territoires, Julien Denormandie.
A côté de l’agence, le gouvernement aspire à "une simplification drastique de la contractualisation", a développé Serge Morvan. Alors que le ministère de la Cohésion des territoires recense quelques 1.100 contrats passés avec les collectivités, un "contrat unique" serait amené à regrouper l’ensemble des contrats existants, comme l’avait d’ailleurs préconisé Emmanuel Macron, le 21 juin à Quimper (sur la base des intercommunalités).
Si l’avenir de la politique de cohésion européenne servait de fil conducteur à cette CNT (voir ci-dessous notre article du 12 juillet 2017), dans son discours d’ouverture, le Premier ministre a apporté sa vision de la cohésion. "C’est ce qui fait que le pays n’est pas une addition d’individus, une juxtaposition de collectivités territoriales, c’est quelque chose de plus, une âme, avec un projet, un lien", a-t-il martelé, alors que le pays est traversé "par des décennies de transformation radicale", sur fond de "métropolisation", de "décentralisation" et de "mondialisation". L’action gouvernementale doit reposer sur quatre piliers : "généraliser le mode projet", sur le modèle du plan Action cœur de villes lancé dans 222 villes moyennes, "se concentrer sur les territoires les plus fragiles", comme ce qui se fait déjà pour la Creuse ou le bassin minier, "développer une logique de mise en réseau entre métropoles et villes moyennes" et se mobiliser sur la politique de cohésion européenne.
Recréer des pôles de centralité
On rappellera que l’arrivée d’un "ministère de la Cohésion des territoires" en 2017 était déjà une façon de se mettre au diapason de l’Europe, la "cohésion territoriale" étant en effet inscrite dans le traité de Lisbonne. D’ailleurs cela n’a pas échappé à la commissaire à la politique régionale, la Roumaine Corina Cretu, qui, lors d’une récente audition au Sénat, a salué l’initiative de la France et souhaité que d’autres pays l’imitent. Toujours sur inspiration de ce que fait la Commission européenne, le CGET a publié, à l’occasion de de la CNT, la première version du "rapport sur la cohésion des territoires". Sorte de diagnostic partagé entre le CGET et les associations d’élus après six mois de travaux, "ce rapport doit ouvrir la voie à une nouvelle feuille de route stratégique", "un changement approche", a déclaré Serge Morvan. "Il n’y a pas une France coupée en deux (les métropoles versus la périphérie, ndlr), des dynamiques existent loin des métropoles, en Vendée ou dans le Jura", a-t-il développé. "Le rapport vaut le coup d’être lu dans les détails car il tord le cou à un certain nombre d’idées reçues", a recommandé Julien Denormandie, piochant à la volée que c’est aussi "dans les métropoles qu’on trouve les personnes les plus pauvres", que "l’Île-de-France a le plus grand désert médical de France" ou que "les outils numériques n’ont fait qu’accentuer les divergences" entre territoires. "Il y a quelques mois, le Parlement vote le télétravail, au même moment un Français sur deux n’a pas le très haut débit", a-t-il encore déploré. Le secrétaire d’État a aussi souligné que les mobilités étaient les moins fortes dans les "territoires en plus grande difficulté". Le souhait du gouvernement est de "recréer des pôles de centralité" autour des villes moyennes, a-t-il assuré.
Politique de la chaise vide
Alors que les trois principales associations d’élus (AMF, ADF, Régions de France) avaient décidé de pratiquer la "politique de la chaise vide" et de boycotter la rencontre, le Premier ministre a souhaité clarifier le sujet sensible du moment : les contrats financiers signés avec l’État. Édouard Philippe a loué sa "nouvelle grammaire", ce "lien partenarial" suivi par 230 collectivités signataires, sur les 322 visés, dont "la quasi-totalité des communes et intercommunalités, la moitié des départements et un grand nombre de régions". "Le contrat est infiniment plus fécond et fructueux qu’une baisse brutale et non discutée des dotations", a-t-il souligné. Ce à quoi les régions, absentes de la réunion, ont quand même répondu par voie de communiqué, dénonçant une "erreur de diagnostic du Premier ministre". Pour les régions le problème des relations entre État et collectivités "ne se limite pas à la contractualisation financière", "la question essentielle est celle de la recentralisation rampante depuis un an dans notre pays".
A l’issue de la CNT (au terme de laquelle se réunissait ensuite le comité de suivi sur la contractualisation financière Etat-collectivités - voir notre article ci-dessous), les avis restaient mitigés, que ce soit sur les contours de l’ANCT ou sur le format de la rencontre qualifié par plusieurs élus de "colloque intéressant"… "Il existe un baromètre exceptionnel en plus du vôtre, les résultats des élections. Le constat est fait mais rien ne bouge", a fustigé le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) Vanik Berberian. Et de constater que le mot "rural" n’avait pas été prononcé une fois dans la matinée…