Politique de la ville - Et si on accordait l'indépendance aux associations d'habitants des quartiers populaires ?
Pas de contrat de ville sans "conseil de citoyens", avait promis François Lamy, le 19 septembre, à Rezé, lors du colloque "30 ans de politique de la ville... et les habitants ?", organisé par l'association Ville & Banlieue. A cette occasion, il s'était engagé à financer leur fonctionnement, ainsi que la formation de ces fameux "citoyens", habitants désirant participer activement aux affaires publiques de leur quartier. "C'est l'Etat qui garantira le fonctionnement financier et humain de ces conseils, car il faut une indépendance des associations avec les collectivités locales et des relations clarifiées avec les élus locaux", a réaffirmé le ministre, le 7 novembre, lors des troisièmes Assises de la politique de la ville d'Amiens Métropole.
"Développer la démocratie de l'interpellation"
"Aujourd'hui, dans le cadre des Cucs (contrats urbains de cohésion sociale), une association ne peut pas recevoir d'aides de l'Etat si le maire n'est pas d'accord", s'indigne Mohamed Mechmache, président d'AC Le Feu et co-auteur avec la sociologue Marie-Hélène Bacqué d'un rapport sur la participation des habitants dans les quartiers populaires prônant le "pouvoir d'agir" (voir notre article ci-contre du 9 juillet). Redonner le "pouvoir d'agir", c'est, pour Marie-Hélène Bacqué, "redonner la place aux habitants dans les processus de co-élaboration et de co-décision" concernant leur quartier. Il s'agit, selon ses termes, de "développer la démocratie de l'interpellation". Et pour cela, "plus que sécuriser les associations dans leur budget, il faut leur assurer de l'indépendance", estime la sociologue.
Dès lors, les subventions de l'Etat devraient permettre de "financer les associations pour ce qu'elles sont et pas pour ce qu'elles font", provoque Marie-Hélène Bacqué, farouche opposante à la formule de l'appel à projets qui, selon elle, "mine les possibilités des associations".
Ce serait un sacré changement pour Jérôme Safar, premier adjoint au maire de Grenoble en charge des finances, de la politique de la ville, de la prévention et de la sécurité, car "jusqu'à présent, nous étions les seuls à sécuriser les financements des associations : il n'y avait plus que nous - les collectivités - l'Etat avait disparu". Il reconnaît que "aujourd'hui, nous sommes dans des liens de clientélisme avec des associations : elles se mettent elles-mêmes en situation de dépendance et, soyons honnêtes, cela peut parfois nous arranger".
"Vous seriez surpris de la technostructure de nos collectivités"
Mais pour l'élu de Grenoble, qui a vécu à La Duchère (Lyon) jusqu'à l'âge de 8 ans et y a appris que "l'engueulade fait partie du dialogue quotidien et collectif", la participation effective des habitants a un autre ennemi : la culture administrative en vigueur dans les collectivités. Il dénonce une véritable "culture de la protection des services municipaux" vis-à-vis de leur élu, pour qui toute interpellation d'un collectif d'habitants serait un "piège" contre lequel il faudrait prémunir l'élu.
Michel Delebarre, sénateur-maire de Dunkerque et président de l'Anru, témoigne également du "réflexe" parmi les agents municipaux de considérer que "les politiques publiques en faveur des habitants des quartiers populaires, ça ne marche jamais !" Voilà pourquoi "votre rapport, c'est un coup de pied de l'âne", semble se réjouir Jérôme Safar, à l'adresse du duo Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache. Ajoutant : "Vous seriez surpris de la technostructure de nos collectivités, dès lors que les choses ne rentrent pas dans les cases."
La ville de Grenoble a pourtant franchi une étape en formant des professionnels (agents municipaux et bailleurs) au... porte-à-porte. "On est très bien accueilli (si on ne veut pas vous accueillir, on ne vous ouvre pas la porte)", rassure-t-il. Et cela peut être utile. C'est ainsi que les travaux de rénovation urbaine ont été davantage étalés dans le temps, la mairie ayant initialement cru bien faire en imposant des travaux du lundi matin au samedi soir, produisant des nuisances sur les habitants "épuisés".
Tirage au sort pour élaborer un PDU
A la mairie d'Amiens, une mission "démocratie participative" composée de sept professionnels de la participation a été créée. Leur métier : "libérer la parole des habitants, leur permettre de l'exprimer, être capable de créer du collectif et des propositions communes", explique Etienne Desjonquères, premier adjoint au maire en charge de la vie associative et de la démocratie locale. Ici, pour inviter les habitants à participer, on ne recourt pas au porte-à-porte, mais au tirage au sort. Par exemple pour préparer la conférence citoyenne, le plan de déplacements urbains ou encore la construction d'une piscine. "Mon rêve, confie Etienne Desjonquères, est qu'un jour on n'aura plus besoin d'adjoint à la démocratie participative car on considérera qu'elle est intégrée dans toutes les politiques publiques."
Intervenant dans les quartiers d'Amiens Nord, le consultant Bruno Deffontaines donne modestement quelques recettes théoriques pour faire venir les habitants à la participation. Selon lui, il faut d'abord rompre "le clivage entre sachants et connaissants" ; travailler sur ce conflit "en posant la question de la légitimité de chacun". L'habitant viendra et reviendra à trois conditions : s'il y voit un vrai enjeu (et pas seulement de donner son avis sur la couleur de la cage d'escalier) ; si ce qu'il dit est "pris en compte" ; s'il a "un retour".
Réapprendre à accueillir
Un autre consultant intervenant à Amiens, Yves Mathieu, directeur du cabinet Missions Publiques, est pour sa part bien critique sur les déclarations visant à "former les habitants". "Si c'est pour les former à la complexité des outils institutionnels, on n'y arrivera jamais", prévient-il tout de go, estimant quant à lui que ce serait davantage aux élus et aux préfets qu'il faudrait dispenser une formation pour leur apprendre à "partir de l'expertise des habitants" dans leur rapport à eux. Son conseil : "faire confiance aux gens", "leur réapprendre à s'écouter", "leur réapprendre à accueillir " (réapprendre à offrir "un sourire" ou "un coup à boire").
Pour Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, le préalable à tout cela demeure le droit de vote des populations étrangères aux élections locales. Faute de quoi, tous les bons sentiments n'auront servi à rien.