Erosion côtière : le Conseil constitutionnel tranche sur un terrain glissant
Dans une décision rendue le 6 avril, le Conseil constitutionnel arbitre sur un enjeu sensible dans les communes du littoral : l'impossibilité d'exproprier des biens et d'indemniser leurs occupants impactés par l'érosion côtière.
Le Conseil constitutionnel a statué le 6 avril (voir sa décision) sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité avec la Constitution de l'article L. 561-1 du code de l'environnement. Ce texte offre la possibilité à l'Etat de "déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements", des biens exposés à "un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine [qui] menace gravement des vies humaines".
S'il recense les conditions de déclaration d'utilité publique de l'expropriation, il ne cite cependant à aucun moment l'érosion côtière. Or ce phénomène naturel de recul du trait de côte est également à l’origine d’affaissements qui rendent des biens littoraux inhabitables. Dès lors se pose la question de l'exhaustivité de cette liste : faut-il y inclure l'érosion côtière pour ouvrir droit à l'expropriation et l'indemnisation ?
Symbole de l'érosion de la côte aquitaine
La QPC sur laquelle les Sages devaient statuer leur avait été soumise par le Conseil d'État (voir sa décision) où elle a déposée par les copropriétaires de l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer (Gironde), un cas emblématique de l'érosion des côtes en Aquitaine. Dans le cadre d'un contentieux les opposant à l'Etat, les habitants évacués en 2014 de cette résidence fragilisée par les coups de boutoir de l'océan veulent bénéficier d'une indemnisation.
Durant l'audience devant la plus haute juridiction administrative, la distinction entre érosion dunaire et submersion marine avait déjà fait débat. Les copropriétaires considèrent qu'exclure les risques liés à l'érosion côtière revient à méconnaître le principe d'égalité devant la loi.
Un énième revers
C'est sur ce grief de méconnaissance du principe d'égalité devant la loi que le Conseil constitutionnel s'est donc exprimé, en estimant qu'il doit être écarté et que dans sa forme actuelle l'article L. 561-1 en question est bel et bien conforme à la Constitution. Si le législateur a créé "cette procédure spécifique d'expropriation pour cause d'utilité publique" et contre indemnisation, c'est pour protéger la vie des personnes habitant dans les logements exposés à certains risques naturels" et non pour "instituer un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires d'un bien exposé à un risque naturel", éclairent les Sages.
Pour les habitants, cette décision est un nouveau revers. A l'origine, le syndicat de copropriétaires avait demandé au préfet d'engager une procédure d'expropriation au vu du risque d'effondrement de cet immeuble consécutivement à un phénomène d'érosion côtière. Une demande refusée. D'où la saisie ensuite du tribunal administratif de Bordeaux puis de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, qui ont tous deux rejeté sa demande. Le Conseil d'Etat devrait à présent statuer sur le fond dans les prochains mois.
Quant au gouvernement, il s'est également dit opposé à l'idée de faire financer par le fonds Barnier l'indemnisation de biens atteints par l’érosion - un phénomène "prévisible et quantifiable". Des députés du groupe d'études Littoral explorent une autre voie en s'appuyant sur des rencontres avec les acteurs locaux. Leur travail doit aboutir au printemps sur une proposition de loi sur l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique. En parallèle au Sénat a été déposée une proposition de loi ciblée qui vise à "instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte". Elle devrait être débattue en séance publique le 16 mai, avant transmission à l’Assemblée.