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Urbanisme - Entrées de ville : quand la "France moche" s'embellit

Alors qu'elles déterminent en partie leur "image de marque", les entrées des villes ont longtemps été les parents pauvres des programmes et documents d'urbanisme. Pour ponctuer la remise d'un prix annuel dédié aux collectivités qui veulent changer la donne, la Fédération Patrimoine-Environnement a convié le 28 octobre des élus et des paysagistes à débattre de ce renouveau en faveur des entrées de ville de qualité.

S'il est commun de critiquer les entrées de ville, le plus souvent routières et témoins d'une époque dévolue au tout-automobile, il est moins évident de recenser les exemples réussis de reconversion de ces espaces ternes et monotones en des lieux de vie attractifs et réussis. Depuis deux ans, à chaque édition, le palmarès des Victoires du paysage en distingue de plus en plus : l'an dernier, ce fut Mont-de-Marsan pour l'aménagement de l'entrée ouest de son agglomération. De même, c'est tout l'enjeu du concours des entrées de ville lancé en 2000 par la Ligue urbaine et rurale, récemment rejointe par la fédération Patrimoine-Environnement. Depuis sa création, ce concours patronné par le ministère de l'Écologie a distingué une cinquantaine de projets. Le 28 octobre, les deux associations qui le pilotent ont remis le prix national ex-æquo à Chambéry (pour sa stratégie de reconquête des franges urbaines, un nouveau volet du concours) et à Sainte-Maure-de-Touraine (Indre-et-Loire) pour la réurbanisation de son avenue pénétrant la ville. C'est ce second lauréat qui nous intéresse. "Car il témoigne d'un vrai renouveau sur la question. Ce mouvement qui vise à corriger les entrées de ville est en cours. Mais le réveil est difficile : c'est tout l'urbanisme des cinquante dernières années qui est mis en branle", explique Pierre Jarlier, sénateur du Cantal et président de la commission urbanisme de l'Association des maires de France (AMF).

Redonner une âme

Par ailleurs maire de Saint-Flour (Cantal), une ville jouxtée par l'autoroute A75 et qui s'est dotée d'un plan de paysage, Pierre Jarlier ajoute que "transformer les entrées de ville pour qu'elles tissent un meilleur lien avec le centre-ville et les multiples fonctions de la ville exige de la persévérance et que le projet mis en œuvre soit partagé par tous". "C'est un boulot monstre !", confirme sans hésiter Christian Barillet, maire de Sainte-Maure-de-Touraine (4.000 habitants). Pour ses habitants, l'avenue traversante du général de Gaulle occupe une place essentielle au quotidien. Cette deux fois une voie (8.000 véhicules/jour) a contribué à forger sa réputation de ville étape et gastronomique. Mais voilà, avec l'ouverture non loin de l'autoroute A10, les commerces ont commencé à péricliter et l'axe routier, usé jusqu'à la corde et coupant la ville en deux, est devenu sans âme. "Pour lui en redonner une, nous nous sommes appuyés sur la mémoire du site, ses platanes qui l'ont longtemps bordé puis nous avons travaillé par séquence, en ressoudant les deux parties de la ville, en décapant la route et en réduisant la vitesse des véhicules", raconte Pierre Léger de l'agence Safège, maître d'œuvre du projet. Pistes cyclables, zone 30 et éclairage basse consommation ont refaçonné l'espace. Les trottoirs ont été élargis et neuf giratoires ont été changés (non sans mal) pour stimuler les échanges avec d'autres bouts de la commune et les zones rurales alentour. Une ligne de mobilier urbain (poubelles, signalisation) a été créée. Pour faire revenir les commerces de bouche, des terrasses et espaces de stationnement ont été aménagés. Le tout dans un contexte de mise en œuvre d'un Agenda 21 et un esprit de concertation le plus large possible. Unions commerciales, transporteurs, commissions accessibilité, prévention routière… "Sans oublier les architectes des bâtiments de France (ABF) : sans eux et les paysagistes, on ne relifte pas le visage d'une entrée de ville", souligne Christian Barillet. Il faut aussi un budget : 1,6 million d'euros HT. Après deux ans de travaux, le résultat est frappant et méritait bien un prix. D'autant que le modèle essaime et que, laisse entendre Christian Barillet, "d'autres entrées de ville pourraient à leur tour en profiter au sein de l'agglomération tourangelle".

Reconquérir le foncier

Deux autres collectivités ont dévoilé des initiatives tout aussi remarquables. Pour "recoudre" la coupure urbaine qu'infligeait à Saint-Berthevin (Mayenne, 7.300 habitants), près de Laval, un axe routier de 25 mètres de large séparant la ville en deux, les élus ont dû remobiliser du foncier, des dents creuses de quelques hectares, afin de créer entre autres des cheminements piétons. Etape obligée, la sécurité de l'axe a été repensée. "Pour passer d'un espace de transit à un espace de vie, faire revenir les habitants, il a fallu travailler les dénivelés, la topographie, en s'appuyant sur les boisements existants", indique Frédéric Fourreau de Phytolab, l'agence de paysagistes qui a redonné vie à ce "tarmac routier". Les commerces sont venus, les piétons avec. "En deux mandats municipaux, nous avons recréé un centre-ville", vante son maire Yannick Borde. Coût des travaux : 4 millions d'euros par tranche, dont deux actuellement bouclées. "On est parvenu à donner envie aux gens de rester dans cet endroit. En ne créant pas une place de stationnement juste devant le boulanger mais 300 mètres plus loin, on les rééduque, on leur réapprend à marcher", poursuit Yannick Borde. Un même effort d'acquisition foncière a été déployé à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), qui a requalifié en boulevard urbain une quatre voies faisant triste mine avec sa morne rangée de supermarchés. Des ronds-points, du paysagement et un ingénieux dispositif de contre-allées : après travaux, la circulation a chuté. "Les entrées de ville sont des lieux violents, accidentogènes. Pour changer cela, la concertation est la clé. Par exemple, replanter des arbres a au départ effrayé les grandes surfaces, elles craignaient qu'on ne voit plus leurs enseignes. Puis elles ont compris qu'il y a certes aujourd'hui moins d'enseignes mais qu'elles sont plus regardées", constate Philippe Briand, député-maire de la ville. Selon son expression, les élus doivent être "couillus" car une fois passée la phase de concertation - "ce bal des ego, où chacun a toujours son avis à donner" - il faut savoir trancher. Sur ce point, le règlement local de publicité (RLP) a servi de levier. Enfin, la voie suivie est d'inscrire ce type de réaménagement dans la durée et à penser à l'avenir. "Si Saint-Cyr-sur-Loire a gardé sa quatre voies, c'est aussi dans l'idée d'y faire un jour passer le tramway", conclut Philippe Briand.