Enseignement privé : pour une remise à plat des subventions
Un rapport parlementaire tire un bilan plus que mitigé des relations entre pouvoirs publics et enseignement privé sous contrat. En rappelant que plus de 75% du financement des établissements privés des premier et second degrés sont pris en charge par l'Etat et les collectivités. Ces mêmes collectivités sont concernées par plusieurs recommandations, notamment en matière de forfait d'externat et d'aide à l'investissement.
Présenté le 2 avril 2024 devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée nationale, le rapport sur le financement public de l'enseignement privé sous contrat des députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance) propose une remise à plat complète d'un modèle français mal en point.
Le rapport estime que depuis 1959 et le vote de la loi Debré sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, "l'application d'un principe de parité des financements entre public et privé ainsi qu'un consensus des majorités politiques successives ont conduit à l'accumulation progressive de dispositifs de financement favorables aux établissements d'enseignement privés, au point semble-t-il de déplacer l'équilibre initial".
Un financement sans transparence
L'État est aujourd'hui le "premier financeur des établissements privés sous contrat". Il leur consacre 9 milliards d'euros en 2024 (sur les 63 milliards de crédits de la mission enseignement scolaire), dont plus de 90% pour la rémunération de 132.960 enseignants (pour 2 millions d'élèves, soit 17% des effectifs). Si l'on ajoute près de 2 milliards des collectivités territoriales, on arrive à une prise en charge par la puissance publique de plus de 75% du financement des établissements privés des premier et second degrés. Le reste étant principalement pris en charge par les familles. Or, face à cet important financement public, le rapport estime que le modèle français est celui "d'un financement public fort associé à de faibles contreparties pour les établissements privés sous contrat".
Parmi les griefs faits au modèle français, les rapporteurs évoquent "un système d'allocation peu transparent et qui s'écarte du cadre légal". Ils avancent que si les textes "ne reconnaissent que des établissements, pris de manière individuelle, la pratique a fait émerger des réseaux, essentiellement confessionnels ou de langue régionale, dont le poids est désormais considérable sans qu'ils ne bénéficient d'aucune assise législative ou règlementaire". Une situation qui résulterait de l'impossibilité pour l'État de dialoguer avec des milliers d'établissements privés. À cet égard, étant donné que le réseau des établissements catholiques représente plus de 95% des effectifs et plus de 7.000 établissements, les rapporteurs notent qu'"une telle situation peut soulever des interrogations, notamment au regard de la séparation des Églises et de l'État."
"Angles morts" du contrôle
Autre reproche fait au modèle français : le manque de contrôle, en particulier durant la "vie du contrat" liant l'établissement à l'État. "Les contrats sont tacitement reconduits d'année en année, sans qu'il ne soit vérifié que les conditions nécessaires à leur conclusion sont bien toujours réunies", pointent les rapporteurs.
Les inspections pédagogiques, si elles sont bien réalisées pour les maîtres titulaires, le sont peu pour les maîtres auxiliaires qui représentent 20% des effectifs. Quant aux inspections portant sur les établissements eux-mêmes, le rapport note que "la mise en œuvre des priorités éducatives nationales (instauration des parcours santé, avenir, citoyen, respect du programme de visites médicales, mise en œuvre du plafonnement des effectifs des classes, etc.), le respect des volumes horaires globaux pour chaque discipline et dans chaque classe ou encore la bonne application des dispositions relatives à l'instruction religieuse constituent de manière regrettable des angles morts du contrôle".
Un contrôle financier tous les 1.500 ans
En ce qui concerne le contrôle financier, les rapporteurs emploient une formule choc pour décrire la situation : "Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7.500 établissements – la fréquence de contrôle d'un établissement privé est d'une fois tous les 1.500 ans." Ils demandent un renforcement des missions d'audit des directions départementales des finances publiques et que celles-ci se voient transmettre chaque année par les recteurs une liste priorisée d'établissements privés sous contrat à auditer. Ils ajoutent que la responsabilité du contrôle financier "doit également incomber aux collectivités territoriales, pour les dépenses dont elles sont les ordonnatrices". Une demande d'autant plus pressante qu'ils précisent qu'"un grand nombre de détournements potentiels de fonds publics ont été portés à l'attention des rapporteurs au cours des auditions menées". La "possible rémunération d'heures fictives" est citée en exemple.
Dégradation de la mixité sociale
Enfin, on relève parmi les reproches faits à l'enseignement privé sous contrat sa "contribution majeure à la dégradation de la mixité sociale et scolaire". Ici, les rapporteurs mettent en cause le coût de la scolarité mais surtout des "établissements qui concentrent les enfants issus des catégories les plus favorisées". Ils souhaitent en conséquence moduler l'allocation des moyens selon le taux de mixité sociale des établissements bénéficiaires.
Si les rapports entre l'État et l'enseignement privé sous contrat sont au cœur du rapport, les premières propositions concernent les collectivités territoriales. En effet, celles-ci sont tenues d'assumer, pour les élèves domiciliés sur leur territoire et dans les mêmes conditions que pour les classes équivalentes des établissements publics, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat.
Un forfait d'externat à géométrie variable
Or le périmètre de ce forfait d'externat (ou forfait communal dans le premier degré) est jugé "flou" et "sujet à contentieux". En effet, "bien qu'une circulaire détermine la liste non exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d'un élève du public […] qui peuvent être prises en charge en dépenses ou en nature, il apparaît que chaque collectivité territoriale retient, en réalité, un périmètre et un mode de calcul différents, en raisons parfois de choix politiques ou à la suite de discussions avec les établissements".
Les auteurs citent l'exemple des Bouches-du-Rhône où les établissements privés demandent depuis des années l'intégration du coût des agents techniques informatiques financés pour les établissements publics au sein du forfait d'externat, ce que la collectivité départementale refuse. Frédéric Leturque, maire d'Arras et coprésident de la commission éducation de l'Association des maires de France (AMF), a admis devant les rapporteurs que sur cent vingt établissements privés du Pas-de-Calais, douze ont eu des difficultés à négocier le forfait et six ont rencontré des situations particulièrement complexes. À l'inverse, selon l'AMF, "un certain nombre de maires font état de pressions nouvelles de la part de certains organismes de gestion de l'enseignement catholique pour augmenter le montant des forfaits communaux et prendre potentiellement en compte les frais de cantine".
Exclure les dépenses REP du calcul
D'autres collectivités regrettent "que les moyens alloués aux établissements publics dans le cadre de leur politique sociale, par exemple en renforçant le personnel ou l'équipement des classes dans les réseaux d'éducation prioritaire [REP], entraînent une augmentation mécanique du forfait à verser aux établissements privés, sans que les conditions de scolarisation des élèves le justifient".
La première proposition du rapport demande ainsi de préciser la liste exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d'un élève du public, tandis que la deuxième vise à exclure du calcul du forfait d'externat les dépenses consacrées par les collectivités aux établissements REP et REP+.
Quant à la prise en charge par les communes, pour les élèves domiciliés sur leur territoire, des dépenses de fonctionnement des classes élémentaires sous contrat d'association situées sur le territoire d'une autre commune, elle semble également faire l'objet d'une application "à géométrie variable". De même, "il apparaît qu'un certain nombre d'établissements des collectivités territoriales d'accueil ne réclament pas à la commune de résidence le montant dû". Ici, la proposition du député Vannier d'abroger l'obligation de compensation des communes de résidence n'est pas reprise par son corapporteur.
Investissement : quand les collectivités aident… ou non
De la même façon, la proposition de Paul Vannier d'interdire les subventions d'investissement aux établissements privés du second degré par les collectivités n'est pas partagée par Christopher Weissberg. Sur ce sujet, le rapport note que ces aides relèvent le plus souvent d'un "arbitrage politique". Si certaines collectivités mènent une politique volontariste pour financer des projets de rénovation ou d'équipement de grande ampleur dans certains établissements privés, conduisant à investir jusqu'au plafond légal de 10% – à l'image du conseil régional d'Île-de-France qui, pour 2023, a voté 11 millions d'euros d'autorisation de programme pour des travaux dans ses 215 lycées privés sous contrat, contre 2 millions en 2016 – d'autres en allouent peu ou de manière décroissante.
Toujours à propos des financements d'investissements facultatifs, le rapport nous apprend que certaines collectivités conditionnent leurs subventions à l'atteinte d'objectifs en matière de mixité sociale ou de performances énergétiques. Le chapitre des dépenses facultatives des collectivités au bénéfice des élèves de l'enseignement privé sous contrat aborde enfin les mesures à caractère social. En région Auvergne-Rhône-Alpes, les lycéens du privé disposent ainsi des mêmes bourses au mérite que ceux du public.
En définitive, un an après un protocole d'accord non contraignant signé entre le ministère de l'Éducation nationale et le secrétariat général de l'Enseignement catholique (Sgec), tout reste à faire pour rééquilibrer les rapports entre des institutions (État, collectivités et établissements privés sous contrat) condamnées à vivre ensemble.