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Emmanuelle Wargon : "Les maires ne sont pas mes ennemis, ni des agents de l'État"

"Comment construire plus et mieux en France ?". Sous cet intitulé, le Sénat a débattu des multiples dimensions de la crise et de la relance du logement, demandant entre autres un soutien accru aux "maires bâtisseurs" - y compris en milieu rural - et moins de contraintes. La ministre en charge du Logement a notamment insisté sur le fait que l'Etat a besoin des élus locaux, est revenue sur leur responsabilité quant à l'application de la loi SRU et a réaffirmé la pertinence de l'échelle intercommunale.

À la demande du groupe Les Républicains, le Sénat organisait, le 2 mars, un débat sans vote sur "Comment construire plus et mieux en France ?". Un débat directement inspiré par l'impact de la crise sanitaire sur les autorisations et les mises en chantier de logements en 2020 (voir notre article du 28 janvier 2021). Face à la persistance des phénomènes de mal-logement et aux enjeux de la relance, la reprise de la construction constitue un enjeu majeur. Introduisant le débat pour le groupe LR, Dominique Estrosi Sassone, sénatrice des Alpes-Maritimes et spécialiste des questions de logement, a expliqué que "c'est vital, pour loger les Français, pour notre économie, pour imaginer un futur meilleur. Construire est un acte de foi en l'avenir, un bien essentiel !".

"Politique malthusienne" du gouvernement ou "blocages" des élus ?

Après avoir rappelé les principaux chiffres illustrant le recul de la construction l'an dernier, la sénatrice des Alpes-Maritimes estime qu'au-delà des effets bien réels de la crise sanitaire, "il y a des causes structurelles, liées à la politique du gouvernement, et plus particulièrement les ponctions sur les bailleurs sociaux et sur Action logement". Elle accuse le gouvernement de mener "une politique malthusienne" en la matière, évoquant notamment le recul des aides au logement "de 2,2% du PIB en 2010 à 1,6% en 2019, soit 14 milliards d'euros de différence selon la fondation Abbé-Pierre", et la hausse des prélèvements sur le logement. Dominique Estrosi Sassone estime donc que, pour construire plus, "il faut aider, libérer et densifier". Elle appelle notamment à "convaincre nos concitoyens rétifs et aider les maires bâtisseurs qui portent des projets qualitatifs, où densité rime avec solidarité et proximité des services".

Dans sa réponse, Emmanuelle Wargon a insisté sur le fait que "les efforts en matière de construction ont commencé bien avant la crise sanitaire", rappelant qu'en 2018, 460.000 logements ont été autorisés et 400.000 mis en chantier. Les résultats de 2020 s'expliquent par la crise sanitaire, mais aussi par "le renouvellement des exécutifs municipaux, qui a duré quatre mois de plus que prévu". La ministre déléguée en charge du logement a ensuite passé en revue la politique du gouvernement en la matière, rappelant notamment le "pacte pour la relance de la construction durable" signé avec les fédérations de collectivités (voir notre article du 16 novembre 2020) et l'engagement sur la construction de 250.000 logements en deux ans, porté par l'USH (Union sociale pour l'habitat), Action logement et la Caisse des Dépôts (voir notre article du 2 février 2021). Emmanuelle Wargon a également insisté sur le fait que "l'État ne peut pas faire seul. Les maires et élus intercommunaux déterminent les règles d'urbanisme et délivrent les permis de construire. Or les professionnels nous alertent sur les cas de blocage ou de remise en cause de projets...". Pour la ministre du Logement, "le véritable danger, c'est de refuser d'accueillir des populations nouvelles, de ne répondre qu'aux besoins des habitants en place et non à ceux des jeunes qui décohabitent, des familles qui déménagent, des personnes en mobilité professionnelle. Il faut défendre l'intérêt de ceux qui ont besoin d'un logement comme de ceux qui en ont déjà un".

Un appel à une baisse des contraintes administratives

Les prises de parole d'une quinzaine de sénateurs et les réponses de la ministre ont ensuite permis d'approfondir différents aspects de la crise et de la relance du logement. Face aux interrogations sur le logement outre-mer de Marie-Laure Phinera-Horth, (RDPI, Guyane) et de Viviane Artigalas (PS, Hautes-Pyrénées), Emmanuelle Wargon rappelle que le financement annuel, sur la ligne unique, de la construction ou la réhabilitation de 10.000 logements locatifs sociaux ou en accession sociale a été maintenu durant la crise sanitaire et le sera en 2021 et au-delà. Pour leur part, Marie-Noëlle Lienemann (CRCE, Essonne), présidente de la Fédération nationale des sociétés coopératives HLM, et Philippe Dallier (LR, Seine-Saint-Denis) estiment tous deux qu'"il faut compenser l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) à un taux sérieux et non à 3% comme aujourd'hui !". Emmanuelle Wargon a répondu que le gouvernement remettra prochainement un rapport sur la compensation des exonérations fiscales sur le logement intermédiaire et s'est dite "prête à ce qu'il concerne aussi le logement social. Cela servira de base au débat du PLF".

Mais elle a, à nouveau, redit qu'au-delà de la question du modèle fiscal, "il faut surtout que les maires accueillent des projets. C'est donc une question de volonté politique. La loi SRU doit être appliquée avec fermeté mais aussi discernement. Je peux envisager plus de contractualisation". Marc-Philippe Daubresse (LR, Nord) est revenu sur cette question – décidemment très prégnante – de la responsabilité respective des élus locaux et de l'État, en affirmant que "les maires ont bon dos ! Depuis la loi Elan, construire est devenu un parcours du combattant avec le racket financier des offices HLM, les lourdeurs administratives et les contraintes environnementales malthusiennes". Il appelle donc à "des incitations financières et une baisse des contraintes administratives". Après que Laurent Burgoa (LR, Gard) a repris ce même thème, Emmanuelle Wargon a affirmé que "les maires ne sont pas mes ennemis, ni des agents de l'État : je travaille en partenariat avec eux".

Les communes rurales "victimes d'un urbanisme restrictif"

Pour Pierre Louault (Union centriste, Indre-et-Loire), dans les territoires ruraux, "de vieux bâtiments pourraient être transformés en logements, en habitats locatifs. Mais aucune aide n'existe", regrette-t-il. Cette question de la construction en zone rurale a également été évoquée par Christian Redon-Sarrazy (PS, Haute-Vienne), déplorant "une différence de traitement entre métropoles et communes rurales, celles-ci étant victimes d'un urbanisme restrictif" et appelant à "une réponse différenciée aux communes, en assouplissant les règles d'urbanisme". Emmanuelle Wargon a répondu en rappelant la mise en place d'outils spécifiques pour la rénovation de certains villages et centres-bourgs avec Action Cœur de ville, Action Cœur de bourg, ou Petites Villes de demain. Mais elle a reconnu que "nous manquons peut-être d'outils pour la remise de bâtiments rénovés dans le parc social : nous pouvons y travailler".

Répondant à Franck Ménonville (Les Indépendants, Meuse), la ministre du Logement a confirmé que la dématérialisation des autorisations d'urbanisme "sera une réalité au 1er janvier prochain" et qu'"un décret relatif aux mesures de simplification en matière d'urbanisme est devant le Conseil d'État. Il étend le régime de la déclaration préalable".

"Soutenez les maires bâtisseurs !"

Interrogée par Laurent Somon (LR, Somme) qui s'inquiète de la réduction de compétence du bloc communal et prône un permis déclaratif là où des permis similaires ont déjà été délivrés, Emmanuelle Wargon a réaffirmé que la compétence intercommunale constitue "la bonne échelle", même si cet échelon "doit se concilier avec le rôle du maire". Elle a rappelé que plus de 700 PLUi (plans locaux d'urbanisme intercommunaux) sont adoptés ou en cours d'adoption : 476 sur tout le territoire de l'intercommunalité et 235 sur une partie. Si elle écarte l'idée d'un permis déclaratif, la ministre se dit "favorable à une délivrance de permis plus automatique là ou un PLUi a déjà été adopté - même si cela ne me semble pas faire consensus chez les maires... Je suis prête à examiner cette question avec les élus intéressés".

Résumant et concluant les échanges pour le groupe LR, Sophie Primas (Yvelines) retient trois idées du débat. D'abord, les procédures doivent être simplifiées, au-delà de la seule dématérialisation. Elle appelle pour cela à "une loi d'exception pour sortir de la crise, comme nous l'avons fait pour les Jeux olympiques ou Notre-Dame de Paris". Ensuite, "les ressources des communes doivent être renforcées", car les maires "ont besoin de moyens pour accueillir les nouvelles populations". Enfin, "il faut réfléchir à l'acceptation des nouvelles constructions par nos concitoyens", la sénatrice des Yvelines concluant par un vibrant : "Soutenez les maires bâtisseurs !"

 

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