Mixité sociale à l'école : "des effets importants sur le long terme"
La mixité sociale a des effets "modérés mais hétérogènes" sur la réussite scolaire, résument trois chercheurs, auteurs d'une note publiée pour l'IPP le 21 novembre 2023. Des effets jugés "importants" sur le long terme et notamment l'accès à l'enseignement supérieur. Ils peuvent aussi être indirects, comme la capacité à attirer des enseignants expérimentés.
La question d’une école plus mixte est à nouveau d'actualité. Alors qu'une réflexion doit s'engager dans les académies pour réduire la ségrégation sociale dans le système éducatif et que fin octobre 2023, la Première ministre a annoncé une série de mesures sociales à destination des quartiers populaires, suite aux émeutes de juillet 2023 dans les quartiers, une note de l'Institut des politiques publiques (IPP), publiée fin novembre vient relancer le débat. Ce travail synthétise les principaux résultats d'une revue de littérature spécialisée.
Ces travaux révèlent, en premier lieu, que les effets de la diversité sociale et du niveau scolaire des camarades à l'école vont bien au-delà des effets observés à court terme sur les performances scolaires individuelles. "La mixité sociale agit sur le bien-être des élèves, et ce quel que soit leur milieu social d'origine", observent les chercheurs. "Les élèves exposés à des camarades d'origines sociales plus variées ont des réseaux amicaux plus denses et diversifiés socialement et sont plus confiants quant à leur niveau scolaire et leur capacité à progresser".
Poursuite d’études supérieures et meilleure insertion sur le marché du travail
Ces recherches montrent également que la mixité sociale constitue une "source d'enrichissement personnel pour les élèves, en favorisant leur développement socio-émotionnel (altruisme, degré de préférence pour l’équité et le partage) et en réduisant la prévalence des stéréotypes sociaux et raciaux". Enfin, certaines études citées dans la note mettent en évidence "des effets bénéfiques sur la poursuite d’études supérieures et l’insertion sur le marché du travail, notamment pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés". "Ces constats plaident en faveur d'une prise en compte plus systématique de ces effets de long terme dans le débat autour de la mixité sociale à l’école", en concluent les chercheurs dans une tribune publiée dans Le Monde. Car si la mixité sociale a des effets "modérés mais hétérogènes" sur la réussite scolaire, ses effets sont "importants sur le long terme et notamment l'accès à l’enseignement supérieur". Ils peuvent aussi être indirects, comme la capacité à attirer des enseignants expérimentés.
Ségrégation scolaire "pour partie, le reflet de la ségrégation résidentielle"
Dans leurs travaux, Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi ont aussi pris le temps de décrire les mécanismes qui favorisent la ségrégation sociale en milieu scolaire ainsi que les moyens mobilisables pour limiter son ampleur, notamment dans l'enseignement secondaire.
La ségrégation scolaire est, "pour partie, le reflet de la ségrégation résidentielle, conséquence de la propension qu'ont les individus à choisir un lieu d'habitation concentrant des foyers aux caractéristiques sociodémographiques proches des leurs", rappellent les auteurs. Cela dit, cette composante n'est pas l’unique cause de l'inégale répartition des élèves entre les établissements scolaires : "les préférences des familles, mais aussi le fonctionnement du système éducatif – notamment l'existence de paliers d’orientation et les politiques d’affectation des élèves aux établissements – agissent sur le niveau de ségrégation scolaire, à situation résidentielle donnée", nuancent les chercheurs.
Autres facteurs de ségrégation scolaire : les politiques d'affectation des élèves aux établissements, qui "jouent un rôle important", ainsi que l’existence d’établissements non soumis aux règles générales d’affectation et notamment les établissements privés. En effet, "il a été montré que, au niveau du collège, la proportion d’élèves socialement favorisés parmi les effectifs du secteur privé s’est fortement accrue", rappellent les économistes, alors que le plan visant à faire contribuer l'enseignement privé à l'effort de mixité sociale s'était avéré moins ambitieux que prévu (notre article du 22 mai 2023).
Favoriser la mixité
Les chercheurs ont donc cherché à identifier un premier levier pour agir sur la ségrégation. Il consiste à modifier la perception qu’ont les familles vis-à-vis des établissements scolaires. "L'attractivité d'un établissement peut par exemple être améliorée par l'introduction d’une offre scolaire plus attractive - comme l'offre de matières optionnelles, notamment - ou encore par l'octroi aux élèves issus d'établissements peu attractifs d'un avantage dans l’accès aux établissements les plus demandés pour la suite de leurs études". Les chercheurs donnent aussi l'exemple de la mise en place de bonifications accordées aux élèves issus de collèges défavorisés pour l'accès aux lycées qu'ils préfèrent. Ils citent également la mise en place de partenariats entre des lycées et des établissements d’enseignement supérieur sélectifs, à l’image des conventions d’éducation prioritaire de Sciences Po.
Redéfinir la sectorisation
Dans le débat public français, c'est la modification de la sectorisation scolaire qui est le plus souvent avancée comme solution à la ségrégation scolaire. La note décrit les différentes modalités selon laquelle elle peut se faire. Ainsi, le tissu urbain dans lequel s’inscrivent les établissements est parfois suffisamment diversifié pour définir un bassin de recrutement plus mixte. La distance domicile-établissement des élèves peut ne pas en être trop affectée, "par exemple en adoptant une sectorisation discontinue en 'peau de léopard' plutôt qu’une sectorisation par regroupement de rues adjacentes". À l’inverse, "dans les territoires plus homogènes socialement, particulièrement dans les quartiers défavorisés les plus enclavés", les chercheurs mentionnent qu'une "solution pour favoriser la mixité scolaire est d’affecter des élèves à des établissements plus éloignés à travers la mise en place d’un réseau de transports publics dédiés". Enfin, dernière hypothèse, lorsque des établissements proches géographiquement sont caractérisés par des compositions socialement différentes, "des modalités originales de modifications de secteurs scolaires peuvent être mises en place, comme la fusion d’établissements, ou encore l’affectation des élèves entre ces établissements selon un principe de montée alternée".
Redéfinir les critères d’affectation
Enfin, plutôt que d’agir sur la sectorisation, les chercheurs mentionnent que d’autres mesures existent. Elles consistent à réduire le poids du critère géographique dans l'affectation aux établissements scolaires. Cela peut passer par une politique d'assouplissement de la carte scolaire, comme celle qui fut adoptée en France à la rentrée 2007, bien que cette politique se soit traduite par une "accentuation de l'évitement des établissements les plus défavorisés socialement, sans que son effet sur la ségrégation sociale ne fasse consensus". Une autre approche consiste à "mettre en place des procédures de choix scolaires régulés, qui peuvent par exemple moduler les critères de priorité dans l’affectation aux établissements pour viser un objectif de mixité sociale". En pratique, "la mise en œuvre du choix scolaire régulé soulève de nombreux défis", mettent en gardent les chercheurs.