Économie sociale et solidaire : des détails sur la feuille de route du gouvernement
Renforcer les coopérations sur les territoires, mobiliser davantage les banques publiques sur le financement, rendre l’agrément Esus plus attractif ou encore créer une "marque ESS"… Dans son soutien à l’économie sociale et solidaire, le gouvernement s’inscrit dans la continuité des politiques menées depuis la loi Hamon de 2014.
En matière d’économie sociale et solidaire (ESS), le gouvernement n’a pas beaucoup de budget, mais il a des idées. Suite à la feuille de route qui avait été présentée en novembre dernier (voir notre article) et alors qu’Olivia Grégoire a retrouvé son portefeuille à l’issue du long remaniement de début d’année, Maxime Baduel, délégué ministériel à l’ESS, est revenu, ce 28 février 2024 devant la presse, sur la façon dont l’État entend faciliter le développement de ces manières d’entreprendre "autrement". Trois "volets" sont présentés : les territoires, les financements et les "modes d’entreprendre".
Alors que la loi Hamon sur l’ESS vient de fêter ses dix ans, et après l’évaluation réalisée en 2023 par le Conseil supérieur de l’ESS (voir notre article), le délégué ministériel confirme qu’il n’y aura pas de "grand lendemain d’une nouvelle loi". Il estime qu’il y a encore beaucoup à faire pour pleinement appliquer la loi de 2014 et que des textes plus généraux à venir – en particulier le projet de loi simplification – seront l’occasion de procéder à des ajustements demandés par les acteurs. Il est notamment question de "stabiliser certains statuts", tels que celui de société coopérative d’intérêt collectif (Scic, voir notre article).
Davantage de synergies avec l’ESS pour améliorer les politiques publiques
Concernant les compétences des collectivités, et la possibilité d’assouplir le cadre hérité de la loi Notr pour accroître les capacités d’intervention en premier lieu des départements mais également des métropoles, le délégué ministériel et le cabinet d’Olivia Grégoire assurent être en discussion avec Eric Woerth dans le cadre de la mission sur la décentralisation qui a été confiée au député de l’Oise (voir notre article). Pour renforcer l’ESS sur les territoires, le gouvernement veut notamment poursuivre son soutien aux pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), aux tiers lieux et renforcer les "synergies" avec les collectivités et la place de l’ESS dans la mise en œuvre de "politiques publiques mal couvertes". Maxime Baduel évoque par exemple Mayotte, en difficulté avec les politiques de l’eau et de gestion de l’habitat insalubre, où la mobilisation d’acteurs divers dans le cadre d’une Scic peut être selon lui la promesse d’une "gouvernance plus saine" et de "politiques publiques plus performantes".
En matière de commande publique, la délégation ministérielle identifie la nécessité d’apporter un soutien technique à des collectivités jugées "frileuses" dans l’utilisation des clauses sociales et évoque une réflexion en cours sur les "marchés réservés ESS" (voir notre article) qui seraient aujourd’hui "peu utilisés pour des raisons d’instabilité juridique".
Financements : des progrès à réaliser sur l’innovation sociale et le passage à l’échelle
Aux acteurs de l’ESS – en premier lieu ESS France – qui demandent une loi de programmation des moyens, Maxime Baduel ne cache pas que les montants en jeu ne justifieraient pas l’exercice. "Donner à voir des financements dans la durée" pour l’ESS est toutefois une priorité, assure-t-il. Le gouvernement mise donc surtout sur la Banque des Territoires et BpiFrance, mais aussi sur les fonds européens. "Il faut qu’on arrive à enclencher une logique plus systématique de financement de l’ESS aux différents stades des entreprises", selon le délégué ministériel. Il évoque des "trous dans la raquette" sur le financement de l’innovation sociale (avant la création du projet) et le passage à l’échelle (entre 100.000 et 500.000 euros de besoins).
Concernant le budget de l’État, les 20 millions d’euros spécifiquement dédiés à l’écosystème et aux dispositifs de l’ESS sont "sanctuarisés". Mais les coupes décidées par le gouvernement (voir notre article) n’épargnent pas l’ensemble des politiques concernant l’ESS, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) chiffrant, ce 28 février dans un communiqué, le "coup de rabot" à 2 milliards d’euros "concernant les secteurs de l’ESS et les politiques publiques d’insertion et de solidarité".
Pour consolider les associations, Maxime Baduel évoque deux pistes à travailler avec le ministère de l’Éducation nationale en charge de la vie associative (Djepva) : le renforcement des modèles économiques (un travail est mené avec le Mouvement associatif) et une meilleure application de la circulaire Valls de 2015 sur le recours à la subvention et aux conventions pluriannuelles (voir notre article).
Une marque ESS et un agrément Esus à déployer
Sur le volet "modes d’entreprendre", le principal chantier est de rénover l’agrément Esus (entreprise solidaire d’utilité sociale) qui, selon le délégué ministériel, "n’a pas assez attiré puisqu’on dénombre à peu près 3.000 structures fin 2023 soit moins de 1% de l’ESS". "Donc il faut qu’on arrive à rendre cet agrément plus cohérent, plus lisible, plus financé", ajoute-t-il. Un chantier qui va de pair avec l’ambition de la ministre d’accroître la part d’investissement dans des entreprises solidaires des fonds "90-10" qui deviendraient "85-15".
Au-delà, l’ambition du gouvernement est de "rendre l’ESS plus visible", avec le projet d’une "marque ESS" et d’une communication menée auprès du grand public. La diversité (tailles, secteurs, types de gouvernance, échelles internes de salaires…) présente au sein de la grande famille ESS n’est pas perçue comme un frein à cette communication. La délégation ministérielle voit l’agrément Esus comme une possibilité offerte à tous les membres de l’ESS de progresser dans leurs pratiques et de le faire savoir.
Enfin, l’idée de "contrat de filière de l’ESS" n’est pas abandonnée mais elle est désormais conjuguée au pluriel. Il s’agira de valoriser, en lien avec les travaux du Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), les filières (par exemple celle du lin) qui sont majoritairement portées par des acteurs de l’ESS.