Économie sociale et solidaire : Benoît Hamon prend la tête d’ESS France dans un contexte particulier
C’est un congrès d’ESS France très politique qui s’est achevé le 13 juin 2024 à Paris. Appelant à la mobilisation des acteurs de l’ESS "pour la République", la chambre française de l’économie sociale et solidaire s’est aussi projetée vers l’avenir, dix ans après une loi cadre pour cet ensemble réunissant associations, coopératives, mutuelles, fondations et sociétés commerciales de l’ESS.
Ce devait être "Le congrès des 10 ans de la loi ESS". Les acteurs de l’économie sociale et solidaire réunis ces 12 et 13 juin 2024 par ESS France se souviendront probablement plutôt de cette édition comme "le congrès post-dissolution", tant le contexte politique inédit a bouleversé l’agenda de cet événement et la teneur des échanges.
"L'ESS ne peut pas être partisane, mais elle ne peut être neutre... et doit être responsable", avait donné le ton Jérôme Saddier, à la veille de transmettre la présidence du mouvement à son successeur, Benoît Hamon (voir notre article). Le 12 juin, après avoir officiellement désigné son nouveau président et son nouveau bureau, l’assemblée générale d’ESS France a adopté une résolution appelant à la "mobilisation pour la République", considérant que "partout où l’extrême-droite a pris le pouvoir, elle s’est attaquée à la société civile organisée".
Le 13 juin, lors d’une conférence de presse puis de son discours de clôture, Benoît Hamon, nouveau président de la Chambre française de l’ESS (une instance qu’il avait lui-même contribué à créer il y a dix ans, dans le cadre de la loi sur l’ESS), est revenu longuement sur la nécessité pour l’ESS, "au regard de ce qu’elle représente", de s’engager dans les prochaines semaines, y compris de façon militante et selon des modalités définies au sein de chaque structure… Jusqu’au mélange des genres, pour cette organisation dont la mission est de représenter et de porter les intérêts des entreprises et organisations de l’ESS (associations, coopératives, mutuelles, fondations et sociétés commerciales de l’ESS) ?
"Il n’y a pas eu l’ombre d’une hésitation de tous les acteurs de l’ESS à s’engager derrière ce texte", défend Benoît Hamon, expliquant l’"évidence" de cette prise de position par ce qu’il décrit comme une hostilité du Rassemblement national vis-à-vis de ce que l’ESS représente. Le directeur général de Singa global (ONG travaillant à favoriser l’intégration de personnes immigrées, notamment réfugiées et demandeuses d’asile) ajoute que, selon l’issue de l’"étape cruciale" des élections législatives, "l’agenda d’ESS France ne sera pas le même" : reprise de l’ambition d’un "passage à l’échelle" de l’ESS dans un cas, entrée en "résistance" dans l’autre.
Développement de l’ESS : passer de 10 à 15% du PIB
En dépit de ces incertitudes, Benoît Hamon a esquissé devant la presse les grands axes de la feuille de route du mouvement pour les années à venir. En commençant par la "bataille culturelle" qu’ESS France entend mener dans l’éducation, l’enseignement supérieur ou encore les médias pour "favoriser une représentation de la biodiversité entrepreneuriale".
Sur le plan quantitatif, un horizon de développement est fixé : permettre à l’ESS de passer de 10 à 15% du PIB. Le président d’ESS France appelle toutefois à "juger de la performance des entreprises" au regard de l’impact pas seulement économique, mais aussi social et écologique. Dans les secteurs sociaux et médicosociaux, dont la petite enfance et les Ehpad, le mouvement entend construire un plaidoyer "pour justifier que ces activités-là ne soient pas soumises aux mêmes indicateurs de performances" (que le reste de l’activité économique) et pour "sanctuariser" la place du public et du privé non-lucratif.
"S’appuyer beaucoup plus sur des alliances avec les territoires"
Dans un volet "Territoires", ESS France portera devant le futur ministre de l’Économie une proposition visant à accroître les moyens des chambres régionales de l’ESS (Cress), consistant à réserver à ces dernières "une fraction de la taxe parafiscale payée par les entreprises qui finance les chambres consulaires". Il existe actuellement deux contributions payées par certaines entreprises "pour frais de chambre de commerce et d'industrie" (dites "taxe CCI") et une "taxe pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat" (dite "taxe CMA"). Dans un rapport de février 2023, ESS France appelait à inventer "une forme moderne de consularité" pour permettre à chaque Cress d’avoir des "marges d’actions suffisantes pour être un interlocuteur légitime des pouvoirs publics" tout en conservant son statut associatif et son indépendance (voir notre article).
Benoît Hamon déclare également avoir "une vraie ambition pour aider à structurer des filières dans les territoires". "Quitte à ce que certaines Cress volontaires développent des missions qui s’apparentent à des missions d’agences de développement économique", ajoute-t-il, citant des actions à conduire sur le foncier, la coopération entre acteurs ou encore les monnaies locales complémentaires.
Le président d’ESS France appelle plus globalement de ses vœux "des stratégies qui s’appuient beaucoup plus sur des alliances avec les territoires, les collectivités locales et les entreprises conventionnelles qui veulent s’engager avec nous"… et qui dépendent moins du bon vouloir de l’État. Tout en s’opposant vivement à la perspective de nouvelles économies réalisées par l’État dans les secteurs concernant l’ESS : "Ça n’est plus possible aujourd’hui que ce soient les activités de prise en charge des personnes vulnérables qui fassent les frais des coupes budgétaires."
Une proposition de loi sur les Scic en suspens
Dans le contexte de devoir de réserve, il n’a naturellement pas été question du prochain projet de loi de finances par les deux ministres qui sont venus s’exprimer lors de ce congrès : Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée notamment de l’ESS, et son ministre de tutelle à Bercy, Bruno Le Maire.
D’ici la formation d’un nouveau gouvernement, des discussions qui étaient engagées sont aujourd’hui "caduques", constate Benoît Hamon. À commencer par les initiatives parlementaires abordant l’ESS, dont la proposition de loi "visant à lever les freins au développement des sociétés coopératives d'intérêt collectif" (Scic) qui avait été déposée par la députée Renaissance Anne-Laurence Petel (voir notre article).
L’ESS doit s’engager à "court terme", mais aussi à "long terme", estime le nouveau président d’ESS France. Ainsi, en attendant la fin de cet épisode politique si particulier, le mouvement diffuse, à côté de sa résolution, un manifeste intitulé "Nous imaginons un futur où l’économie sociale et solidaire serait la norme !"