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Environnement - Dix ans d'application de la loi sur l'eau : un bilan "plutôt mitigé", juge un rapport sénatorial

La loi sur l'eau de décembre 2006, visant notamment à améliorer sa gestion et sa qualité, présente un bilan "plutôt mitigé" et "doit évoluer", estime le sénateur Rémy Pointereau, auteur d'un rapport présenté le 20 juillet. Préservation du fonds de roulement des agences de l'eau, renforcement des moyens dédiés à la protection des captages, lutte contre les fuites, simplification des procédures de nettoyage des rivières et des fossés, réattribution de la compétence Gemapi à une autre échelle que celle de l'intercommunalité... il émet de nombreuses recommandations qui pourraient figurer dans une prochaine proposition de loi.

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 dite "Lema" "était utile" mais elle était "certainement trop ambitieuse, donc pas facilement réalisable dans les délais impartis" et son bilan est "mitigé", a déclaré à la presse le sénateur Rémy Pointereau (Les Républicains, Cher), après avoir présenté son rapport sur l'application de ce texte à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 20 juillet.
La Lema avait pour objectifs principaux de moderniser le dispositif juridique de la gestion de l'eau, qui reposait sur les précédentes grandes lois sur l'eau du 16 décembre 1964 et du 3 janvier 1992, et d'atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre européenne d'octobre 2000, en particulier "un bon état écologique des eaux" en 2015. "Il y a eu une amélioration de la qualité de l'eau, même si les objectifs ne sont pas atteints", a souligné le rapporteur. Et "tout le monde s'accorde à dire que les pratiques se sont améliorées sur le terrain et que les politiques engagées sont plutôt vertueuses". Mais il ne faut pas "sanctuariser cette loi, elle a besoin d'évoluer" et sa mise en oeuvre "fait apparaître, une décennie plus tard, un certain nombre de difficultés, voire de résultats contre-productifs", a estimé le sénateur.
"De la simple incompréhension aux rapports conflictuels avec l'administration, un grand nombre de mesures" prévues par la Lema "posent aujourd'hui problème et semblent soit mal appliquées ou mises en œuvre en vertu d'une interprétation trop idéologique, soit trop complexes et floues juridiquement", juge ainsi Rémy Pointereau. Le sénateur constate encore que "les situations peuvent être très différentes en fonction des territoires, ce qui montre la très grande latitude donnée à l'interprétation de la loi par les services qui prennent les décisions locales". "Si le contexte est à un encadrement communautaire de plus en plus important, avec les risques de contentieux qu'il comporte", il s'interroge également "sur les risques d'un excès de 'surtransposition' de la directive-cadre sur l'eau, qui impose aux États une logique de résultats, et non de moyens".

Quatre grands pans de la loi où persistent des difficultés

Rémy Pointereau a donc identifié "quatre grands pans de la loi au sein desquels persistent des difficultés, et qui pénalisent les acteurs directement impactés par celle-ci". Tout d'abord, la gestion qualitative de l'eau, "dans le cadre des objectifs fixés par la DCE mais dont l'évaluation est faite à l'aune de critères de plus en plus exigeants". Il fait état de "tensions encore très présentes sur le terrain en ce qui concerne l'application du principe de continuité écologique, la préservation de l'eau potable avec le double dispositif des périmètres de protection (code de la santé publique) et des aires d'alimentation de captage (code de l'environnement) et les difficultés liées aux pollutions diffuses, oubliant la conciliation avec les activités économiques de ces territoires".
La gestion quantitative de la ressource semble également problématique, "avec notamment les conflits d'usages qui apparaissent conjoncturellement". Autres points à améliorer : la simplification des procédures et l'allègement des normes, notamment dans le cadre des autorisations des installations 'loi sur l'eau' (installations, ouvrages, travaux et aménagements) ou encore "la planification et la gouvernance, avec notamment l'équilibre de la représentation des différents acteurs au sein des instances de bassin".

Préserver le fonds de roulement des agences de l'eau

Les 28 recommandations du rapport, intitulé "Gestion de l'eau: agir avec pragmatisme et discernement", portent donc sur les quatre grands volets de la loi qui posent encore problème. Sur les aspects gestion qualitative de l'eau, Rémy Pointereau propose d'abord de "fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables", en s'en tenant au "strict respect des directives européennes" sans "surtransposition" française, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l'eau. Il veut aussi interdire le prélèvement par l'Etat sur le fonds de roulement des agences de l'eau "afin de garantir un financement stable de la politique de l'eau et d'atteindre les objectifs de qualité de l'eau fixés au niveau européen". Il préconise également de supprimer l'extension des missions des agences de l'eau à la biodiversité terrestre. Selon lui, le budget des agences ne doit pas être utilisé pour financer la biodiversité terrestre, conformément au principe de "l'eau paye l'eau". Déjà, lors de la discussion du projet de loi biodiversité, le Sénat avait refusé que les agences de l'eau soient mises à contribution pour la biodiversité terrestre. Autre proposition concernant la restauration de la continuité écologique : "privilégier la recherche de solutions locales" et "associer l'ensemble des acteurs à la concertation (élus de la commune, syndicats de rivière, entreprises, associations, propriétaires de moulins et d'étangs et propriétaires riverains)". En outre, le rapporteur juge nécessaire de compléter l'article L.214-7 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste 2, c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Rémy Pointereau appelle aussi à recentrer les interventions des agents de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression. Il faut aussi selon lui s'interroger sur l'utilité de conserver le port d'armes pour ces agents. Il estime aussi qu'il faut retirer les missions de police de l'environnement des missions de la future Agence française de la biodiversité (AFB), comme l'a proposé le Sénat dans le cadre de la discussion du projet de loi biodiversité, et mettre en place un corps spécifique de contrôle de l'application du droit de l'environnement. Il propose en outre de placer les sujets relatifs à l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et non sous celle de la direction de l'eau et de la biodiversité, compte tenu des enjeux liés à la petite hydroélectricité en France.

Lutte contre les fuites d'eau

En termes de gestion quantitative de l'eau, on retiendra parmi les principales propositions le soutien financier aux collectivités pour lutter contre les fuites d'eau sur les réseaux d'eau potable et la mise en place d'un plan d'action visant à acquérir une connaissance plus approfondie de ces réseaux, rechercher et réparer les fuites ou renouveler les conduites. Le Sénat avait déjà tiré le signal d'alarme à ce sujet dans le rapport "Eau : urgence déclarée" de sa délégation à la prospective (lire ci-contre notre article du 13 juin 2016). "On constate un milliard de mètres cubes de fuites d'eau par an dans les réseaux d'eau potable, ce qui signifie que 20% de l'eau traitée et mise en distribution est perdue, relève Rémy Pointereau. Pour cinq litres d'eau mis en distribution, un litre d'eau revient au milieu naturel sans passer par le consommateur. Cela représente près d'un tiers des prélèvements en eau destinés à l'irrigation." Il est urgent d'agir, insiste le sénateur. Concernant les démarches de protection des captages, il juge aussi nécessaire de renforcer l'implication des collectivités dans leur pilotage.
En matière de "chasse aux normes" - dont Rémy Pointereau, s'est fait une spécialité au Sénat, en particulier dans le domaine de l'urbanisme -, il faudrait notamment "simplifier les procédures de nettoyage des rivières et des fossés" qui sont "régulièrement pointées du doigt par les différents acteurs en raison de leur complexité et aussi du caractère disproportionné de certains contrôles", note le rapport.

Gemapi : un problème d'échelle et de moyens

Sur le volet gouvernance et planification, Rémy Pointereau propose de revoir le contenu des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) en y intégrant notamment un volet prospectif sur l'anticipation du changement climatique et en les simplifiant. Il suggère également de rééquilibrer la composition des instances de bassin sur la base d'une répartition prévoyant un tiers de consommateurs et associations, un tiers de collectivités et un tiers d'utilisateurs industriels et agricoles. Quant à la "compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations" (Gemapi), elle doit être attribuée "à l'Etat, aux régions ou aux agences de l'eau". "Le niveau intercommunal n'est pas le plus adapté dans la mesure où il ne correspond pas au bassin versant", a expliqué le sénateur. En outre, il craint que cette compétence ne puisse être mise en œuvre "faute de moyens à disposition des intercommunalités pour la financer".
Le rapport donnera lieu à un débat en séance publique en novembre prochain. Les mesures qu'il préconise pourraient faire l'objet d'une proposition de loi.