Ressources humaines - Devoir de vacances : comprendre (un peu) le projet de réforme des retraites
Tout d'abord quelques chiffres : selon le dernier rapport annuel de la fonction publique, la fonction publique territoriale comptait fin 2007 environ 1,7 million d'agents, dont 1,3 million de titulaires. Sur les traitements ou salaires de chacun de ces agents sont retenues des cotisations de retraite, dont une partie est payée par l'employeur, l'autre par le fonctionnaire ou le contractuel. Ces cotisations sont versées soit à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), soit, pour les non-titulaires, au régime général et à l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec). Si du côté des non-titulaires le décompte est délicat, la CNRACL verse chaque mois une retraite de base à près de 500.000 retraités, anciens titulaires de la territoriale. Les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers partent aujourd'hui en retraite en moyenne à 58 ans et demi. Le régime de retraite des fonctions publiques territoriale et hospitalière est régi par le décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 qui renvoie, pour de nombreuses dispositions, au Code des pensions civiles et militaires.
Age du droit à la retraite, limites d'âge, durée de service : relèvement général de deux ans
Afin d'allonger le temps passé à travailler (et donc à cotiser), le projet de loi vise à repousser le moment du départ à la retraite, dans le privé comme dans le public. La première mesure est impérative : le gouvernement propose de repousser l'âge d'ouverture du droit à la retraite, c'est-à-dire l'âge à partir duquel il est possible de partir en retraite, de 60 à 62 ans. La seconde mesure est incitative : il s'agit de repousser de deux ans la "limite d'âge", en la faisant passer de 65 à 67 ans. Cette limite d'âge correspond à celle à laquelle une retraite est attribuée sans décote même si l'agent n'a pas cotisé pendant 40 années et demi, nombre d'années actuellement requis pour bénéficier d'une retraite à taux plein. De plus, lorsque un agent atteint cet âge (65 ans bientôt 67 ans), le lien l'unissant à l'administration se rompt de plein droit : autrement dit, il part obligatoirement en retraite. Dans l'étude d'impact fournie au Parlement à l'appui du projet de loi, le gouvernement indique que ce relèvement des bornes d'âges devrait "avoir une incidence modérée sur les niveaux de recrutement des fonctions publiques territoriale et hospitalière". Il est prévu d'appliquer ces mesures de relèvement progressivement : ainsi, seules les générations nées à partir de 1956 connaîtront effectivement à partir de 2018 un âge d'ouverture des droits à 62 ans.
La situation des fonctionnaires de catégorie "active" constitue un cas particulier. (Puisque nous sommes en période de vacances, signalons que l'emploi de cet adjectif ne signifie pas que les autres agents sont inactifs...) Relèvent de cette catégorie, les "emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles" (article L.24 du Code des pensions). Dans la fonction publique territoriale, les emplois classés en catégorie active sont ceux d'agents des égouts, sapeurs-pompiers, de salubrité, de police municipale, ainsi que certains emplois d'agents d'entretien et techniques. Un départ en retraite sur vingt dans la territoriale concerne aujourd'hui un agent de catégorie active. Pour ces agents, l'âge actuel d'ouverture du droit à retraite est fixé à 55 ans (sauf agents des égouts, 50 ans), et la limite d'âge à 60 ans. La réforme prévoit de relever également de deux ans ces bornes d'âge.
Ceux dont on ne parle pas : les titulaires sans droit à pension et les polypensionnés
Pour obtenir une retraite de la fonction publique (et notamment pour que la pension soit calculée sur les 6 derniers mois de traitement indiciaire hors prime), il faut avoir accompli au minimum 15 ans de service. Le projet de réforme présenté ne prévoit aucune disposition pour les "titulaires sans droit à pension". Ces agents qui, au moment de leur départ, n'ont pas accompli ces 15 ans sont rétroactivement affiliés au régime général et à l'Ircantec au terme d'une procédure complexe et souvent coûteuse. Entre 20.000 et 45.000 personnes sont concernées chaque année, dont plus d'un quart provenant de la territoriale. Une question directement liée à celle des "polypensionnés" : ces personnes, qui ont travaillé dans des secteurs variés et donc cotisé à plusieurs régimes de retraite (par exemple agricole, salarié et fonctionnaire), sont encore très fortement pénalisées par rapport aux personnes qui ont toujours travaillé dans le même secteur. Sur ces situations, le projet de réforme présenté ne prévoit pour l'instant aucune modification mais le ministre du Travail, Eric Woerth, a indiqué devant la commission des finances qu'il allait "continuer à étudier la question".
Minimum garanti : une réforme importante pour les agents de catégorie C aux carrières incomplètes
50% des retraités de la fonction publique territoriale touchent actuellement le "minimum garanti". Cela s'explique par la surreprésentation des agents de catégorie C et ayant effectué des carrières courtes dans la territoriale. Le minimum garanti permet aux agents publics ayant atteint l'âge d'ouverture des droits à pension, et ayant effectué les 15 ans minimum de service, de bénéficier d'un montant de retraite au moins égal à celui d'un agent classé à l'indice majoré 223 lors de son départ. Ce qui représente une pension d'environ 1.000 euros pour les agents ayant une carrière complète (ce qui n'est pas le cas de la plupart des personnes concernées). L'article 24 prévoit qu'il faudra désormais avoir une carrière complète pour bénéficier de ce minimum garanti. Lors des débats en commission des lois, le député Bernard Derosier a indiqué qu'il s'agissait là d'un "recul du droit des agents aux carrières les plus chaotiques et aux salaires les plus modestes".
Carrières longues : maintien du dispositif avec relèvement de deux ans de l'âge de départ
Ce dispositif, instauré par l'article 23 de la loi du 21 août 2003, a été étendu aux fonctionnaires par l'article 119 de la loi de finances pour 2005. Il permet aux agents ayant commencé très jeune leur activité professionnelle de partir avant la date de liquidation prévue par leur corps. Avec la réforme (article 22 du projet de loi), à partir du 1er juillet 2011, l'âge nécessaire pour bénéficier de ces dispositions sera relevé de 2 années. Par exemple, un fonctionnaire ayant commencé à cotiser à 14 ans pourra liquider sa pension à partir de 58 ans, soit après 44 ans de travail.
Suppression de la possibilité de départ anticipé pour les parents de trois enfants
Le projet de loi (article 23) prévoit également la suppression de la possibilité de départ anticipé pour les fonctionnaires ayant élevé plus de trois enfants et effectué 15 années de service. Cette mesure concernait jusqu'alors environ 15.000 fonctionnaires par an : le dispositif actuel est prolongé jusqu'au 31 décembre 2010. Ainsi, les fonctionnaires qui présenteront une demande de liquidation anticipée de leur pension avant le 1er janvier 2011 pourront toucher une retraite sans décote.
Relèvement du taux de cotisation
Terminons par la mesure la plus connue de la réforme. L'article 21 du projet de loi prévoit un relèvement progressif sur dix ans du taux de cotisation des fonctionnaires, fixé actuellement à 7,85% du traitement de base, vers un taux de 10,55%. Cette hausse d'un tiers du taux de cotisation devrait rapporter 3 milliards d'euros par an aux régimes de retraite en 2020.
Hélène Lemesle
Références : projet de loi portant réforme des retraites ; rapport de Denis Jacquat présenté à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 23 juillet 2010 ; avis présenté par Emile Blessig au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, 20 juillet 2010 ; avis présenté par Laurent Hénard au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, 20 juillet 2010.