Psychiatrie : deux députées appellent à "un sursaut"
Si les urgences hospitalières sont en difficulté, la situation est encore pire concernant les urgences psychiatriques qui subissent à la fois la dégradation de la santé mentale de ces dernières années et les carences du secteur. Dans un rapport d’information, les députées Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau appellent à un portage de ce sujet "au plus haut niveau" et à la définition d’une "stratégie claire à long terme".
Dans un rapport examiné le 11 décembre 2024 par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, les députées Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République, Maine-et-Loire) et Sandrine Rousseau (Écologiste, Paris) tirent la sonnette d’alarme sur la situation des urgences psychiatriques.
"Si la notion d’urgence ne fait pas consensus en psychiatrie, l’urgence devient hélas le point d’entrée dans le parcours de soin", indique Nicole Dubré-Chirat devant ses collègues de la commission. "S’inscrivant théoriquement dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques, marqué par un principe de sectorisation, cette prise en charge demeure très variable sur le territoire", selon le rapport. "Elle tend toutefois à converger vers les services d’accueil d’urgence (SAU) des hôpitaux non spécialisés mais disposant d’une activité de psychiatrie" et vers les centres d’accueil et de crise (CAC) "lorsqu’ils existent", est-il spécifié.
"Un fonctionnement en mode dégradé" et des "dysfonctionnements"
"La dégradation préoccupante des indicateurs de santé mentale depuis 2020 a entraîné une croissance de l’activité d’urgence", met en avant Sandrine Rousseau. S’élevant à 21% entre 2019 et 2023, cette hausse de l’activité est plus importante encore que celle de l’ensemble des urgences. Portés principalement par le public mais aussi par le privé non lucratif, ces services sont à la fois sous-dimensionnés et peu organisés pour faire face à des situations de crise psychique. "Se banalise à tous les niveaux un fonctionnement en mode dégradé", déplore Nicole Dubré-Chirat, qui cite des dysfonctionnements tels que le recours à la contention quand le personnel n’est pas suffisamment nombreux ni formé.
Dans ce tableau déjà sombre, la pédopsychiatrie est qualifiée de "secteur totalement sinistré", cela dans un "contexte d’explosion de la souffrance psychique des jeunes". La conséquence de ce manque de moyens, ce sont des conditions de prise en charge "inadaptées, par exemple en unité pour adultes", voire pas de prise en charge du tout. Parmi d’autres indicateurs, il est rappelé que les hospitalisations pour des gestes auto-infligés (tentatives de suicide et auto-agressions) chez les filles de 10 à 19 ans "ont augmenté de 133% depuis 2020 et de 570% depuis 2007".
Appliquer les recommandations issues des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant
Les rapporteures saluent toutefois quelques avancées liées à la feuille de route en santé mentale et en psychiatrie portée par le délégué ministériel Franck Bellivier, dont des dispositifs de prévention du suicide ("dispositif VigilanS" et numéro national 3114), la formation de 114.000 secouristes en santé mentale et l’amélioration du dispositif MonSoutienPsy. Mais "la psychiatrie et son organisation se situent aujourd’hui à un moment charnière et des choix politiques profonds doivent encore être opérés", écrivent les députées, qui appellent à la définition d’une "stratégie claire à long terme".
Elles préconisent d’abord de "renforcer l’offre de soins de premier niveau pour garantir une prise en charge précoce, graduée et homogène sur le territoire" et éviter des passages aux urgences, notamment par un meilleur outillage des médecins généralistes, par la simplification de l’organisation territoriale des soins psychiatriques et par la mobilisation des acteurs de proximité. Les rapporteures appellent aussi à clarifier le parcours de prise en charge d’urgence, en passant par "la généralisation de la compétence psychiatrique à l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS)". Est demandée également une mobilisation accrue du secteur privé dans la prise en charge des urgences. Autre impératif mis en avant : le renforcement de la formation et de l’attractivité des métiers de la psychiatrie.
Concernant la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes, les recommandations issues des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024 (voir nos articles d’avril et de mai 2024) doivent être mises en œuvre, insistent les députées. Ces dernières souhaitent en particulier davantage de moyens pour la médecine scolaire (voir notre article), les enfants protégés et la psychiatrie périnatale.
Les parlementaires annoncent un colloque à l’Assemblée nationale sur le sujet début 2025 et, vraisemblablement, une proposition de loi qui reprendra des éléments du rapport. "Les attentes du secteur sont très fortes", conclut Nicole Dubré-Chirat, qui juge indispensable que le prochain gouvernement "œuvre concrètement au sursaut de la psychiatrie à travers le maintien de la grande cause nationale" et un portage de cette cause "au plus haut niveau".