Des quartiers prioritaires à la fois "sas" et "nasse", selon l’Insee

Environ la moitié des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) n’a pas quitté ces quartiers entre 2011 et 2020, tandis qu’une autre moitié a été mobile (sorties, entrées, ou les deux). L’âge, le niveau de vie et le fait d’accéder à un logement social ou au contraire d’en quitter un sont les principaux facteurs de mobilité. 

Par le suivi d’un échantillon démographique permanent (4% de la population, France hors Mayotte), l’Insee a étudié les trajectoires résidentielles des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) entre 2011 et 2020. Globalement, les habitants des QPV ont davantage déménagé pendant cette période que les habitants de l’"environnement urbain" (53% contre 47%) - l’"environnement urbain" désignant "les territoires non prioritaires situés dans les unités urbaines qui englobent un ou plusieurs quartiers prioritaires". La catégorie d’âge la plus mobile est toutefois moins mobile dans les QPV que dans le territoire environnant : il s’agit des 18-29 ans, dont "80% ont déménagé au moins une fois entre 2011 et 2020, contre 86% parmi ceux de l'environnement urbain", du fait d’une "décohabitation familiale plus tardive en quartier prioritaire, où les jeunes sont moins diplômés et plus fragiles sur le marché du travail". 

L’objectif de cette étude publiée le 22 mai 2024 était de répondre à une question fréquemment posée dans le débat public : "la persistance des difficultés sociales dans ces quartiers reflète-t-elle une fonction de 'sas'" ("pour des populations momentanément fragilisées, qui, une fois leur situation améliorée céderaient leur place à une autre population fragile") ou traduit-elle à l’inverse "un effet 'nasse' pour les habitants des quartiers prioritaires qui y résideraient durablement, sans amélioration de leur situation ?"

Réponse issue des chiffres : les deux, dans des proportions assez équilibrées. Parmi les 10% de personnes âgées de 18 ans ou plus qui ont habité au moins un an en QPV entre 2011 et 2020, l’Insee identifie deux grandes catégories : celles qui ont toujours résidé dans un quartier prioritaire pendant cette période (48%, dont 37% de "stables" ayant occupé le même logement et 11% de "mobiles" ayant déménagé dans un autre logement du quartier ou dans un autre QPV) et celles qui ont habité à la fois dans et hors d’un quartier prioritaire (52%, dont 27% de "sortants", 12% d’"entrants" et 13% de "parcours passagers" avec une emménagement dans un QPV puis un déménagement hors QPV). 

"L’emménagement en quartier prioritaire est lié à l’obtention d’un logement social"

"Les habitants mobiles au sein des quartiers prioritaires ont les niveaux de vie médians les plus faibles", avec un taux de pauvreté qui "reste supérieur à 40% de 2011 à 2020, alors que le taux de pauvreté des sortants est inférieur à 20% en 2020", observe l’Insee. Les habitants "stables" et les "entrants" présentent "des niveaux de vie intermédiaires, supérieurs à ceux des mobiles mais moins élevés que ceux des sortants et des passagers". "Ce phénomène pourrait illustrer l’effet 'nasse' des quartiers prioritaires : ceux qui y restent durablement (les mobiles et les stables) ont le niveau de vie le moins élevé", poursuit l’Insee. 

L’effet "sas" joue à l’inverse pour les "entrants", dont le niveau de vie "diminue fortement l’année d’emménagement en quartier prioritaire, avant d’augmenter par la suite pour rattraper progressivement son niveau antérieur". Cet effet "sas" est plus marqué encore pour les "sortants" (dont le niveau de vie médian "augmente de 17% entre 2011 et 2020") et pour les "passagers" (caractérisés par une baisse du niveau de vie à l’emménagement dans le QPV de 8% en moyenne puis une hausse de 7% l’année de départ hors du quartier). 

Au-delà de l’âge et du niveau de vie, le "statut d’occupation du logement" est un facteur important de la mobilité des habitants des quartiers prioritaires. Entre 2011 et 2020, les plus mobiles ont été ceux qui étaient locataires du parc privé en 2011 (66% ayant déménagé au moins une fois, contre 73% dans l’environnement urbain). Ceux qui étaient locataires du parc social en 2011 ont déménagé à peu près autant en QPV et hors QPV (52% et 51%). Quant aux propriétaires, ils sont les moins mobiles mais ils l’ont été davantage en QPV (39% à avoir déménagé, contre 33% dans l’environnement urbain). "L’emménagement en quartier prioritaire est lié à l’obtention d’un logement social" et, réciproquement, les "sortants" des QPV quittent souvent un logement social pour accéder à la propriété ou devenir locataires du parc privé. Il est rappelé que 69% des habitants des quartiers prioritaires vivent dans un logement social, "contre 17% dans l’environnement urbain, soit quatre fois plus souvent".