En banlieue, "des situations de plus en plus complexes et insoutenables"

Malgré les difficultés, les maires, élus communaux et intercommunaux de Ville & Banlieue continuent à se battre pour leurs quartiers et leurs habitants, aussi bien localement que dans les demandes de considération et de moyens adressées au gouvernement. Après 40 ans d'existence de l'association, ils s’interrogent sur le sens de la politique de la ville, mais n’ont rien perdu de leur détermination.

L’association Ville & Banlieue fêtait ce 18 octobre 2023 à Lyon ses 40 ans. Ville & Banlieue, "c’est l'endroit démocratique avec que des élus de bonne foi épuisés", pour Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Ville emblématique ayant porté la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) il y a 20 ans. Entre-temps, l’ancien maire de Valenciennes avait "remis les gants" pour construire avec les élus et les associations des propositions pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, quelques mois après "l’appel de Grigny" porté en octobre 2017 par Ville & Banlieue, Ville de France et Bleu blanc zèbre (voir notre article).

À Grigny en 2017, Gilles Leproust, maire d’Allonnes (Sarthe), aujourd’hui président mais alors secrétaire général de Ville & Banlieue, dénonçait déjà le "mépris" du gouvernement – une impression d’être méprisés encore décuplée en mai 2018, lors de l’accueil pour le moins tiède des propositions de la mission Borloo par Emmanuel Macron (voir notre article). Pourtant, ce 18 octobre 2023 à Lyon, Catherine Arenou, maire de Chanteloup-Les-Vignes et vice-présidente de Ville & Banlieue, l’affirme : "En 20 ans de politique de la ville, nous n’avions pas vécu un mépris aussi grand." Après de nombreuses interpellations des élus, l'attente d'un discours présidentiel "Quartiers 2030" transformé en quelques annonces à Marseille en juin, les émeutes de l’été et plusieurs reports du comité interministériel des villes (CIV), la demande de considération est au cœur de "l’appel de Lyon" qui a été lancé hier (voir notre article).    

"Face à la mainmise des trafics de stupéfiants, il y a une urgence à agir"

"Il n'y a rien de plus dur, j'aimerais vous donner du courage", glisse Jean-Louis Borloo aux élus, à qui il conseille d’"appeler la Nation". "On a un vrai risque de deuxième culture dans notre pays, qui peut vivre très séparée", estime-t-il. "66% d'allophones à Grigny ? Est-ce qu'on se rend compte de la fragilité ? C'est la Nation qui doit répondre", tranche-t-il.

40 ans, l’heure des bilans ? Certains maires ne cachent en tout cas pas leurs doutes, leurs appréhensions. "Le risque est que l'on rentre dans une forme de décrochage", pour Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin et ancienne secrétaire d’État à la ville. Dans sa ville, "un quartier entier a été refait et c'est celui où le taux d'abstention est encore le plus élevé", constate-t-elle. "Face à la mainmise des trafics de stupéfiants, il y a une urgence à agir", exhorte-t-elle, évoquant pudiquement "d'autres séparatismes". En tant que maire, elle s’efforce de ne pas mettre ces sujets sous le tapis en créant des "espaces de parole" où "les habitants peuvent parler de tout". Y compris du "rapport à notre histoire de France, ses zones d'ombres et de lumières, pourquoi nos banlieues sont ce qu'elles sont", pour éviter que ces sujets soient "uniquement captés par extrémistes".

"Ces quartiers restent profondément des sas"

À quoi sert la politique de la ville ? Faut-il conserver le bel idéal de la mixité sociale dans le logement ? Ou, puisque la politique de la ville produit "des résultats en termes de trajectoires individuelles" (voir notre article), "est-ce qu'on admet qu'on est des sas et on arrête de nous juger" à partir d’indicateurs demeurant forcément défavorables puisque ceux qui vont mieux s’en vont ? interroge Hélène Geoffroy, qui espère que l'Observatoire national de la politique de la ville soit bien relancé. "Ces quartiers restent profondément des sas, en permanence on accueille les plus fragiles", répond Olivier Klein, qui figure désormais au rang des anciens ministres de la Ville. L’enjeu pour lui est "de réduire le temps de l'action publique" et "d'agir simultanément sur l'urbain et l'humain… mais sans se payer de mots", indique celui qui a bien vu, à Clichy-sous-Bois comme au niveau national, la difficulté de l’exercice.  

Dans leur appel de Lyon, les élus de Ville & Banlieue l’affirment : "En 40 ans, nous n'avons jamais changé de message : 'les banlieues ne sont pas un problème, elles sont la solution'. Cette année, plus que jamais, nous le portons haut et fort face à des situations de plus en plus complexes et insoutenables." En accord avec ce message, ce quarantième anniversaire fut une succession de références, d’une part, aux "solutions", aux réussites de la rénovation urbaine, aux habitants de bonne volonté, au potentiel des jeunes et, d’autre part, aux "situations insoutenables", au manque de moyens pour les petites associations, aux violences, à la pauvreté, aux discriminations, au sentiment de relégation des habitants.

Renforcer "l’humain", conforter les solutions

Les élus demandent surtout au gouvernement de conforter les moyens des dispositifs qui font leurs preuves. Sur l’emploi en particulier : les contrats aidés, l’expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée – dont les acteurs sont actuellement mobilisés contre des moyens jugés insuffisants dans le budget 2024 –, le travail autour des clauses sociales d’insertion, les agences de recrutement telles que celles que développe l’association Mozaïk RH.

Sur la prévention et la tranquillité publique : le développement et une meilleure rémunération de la médiation sociale (voir notre article) et la réimplantation dans les QPV de bureaux de proximité des bailleurs sociaux et des mairies – parallèlement au renforcement des moyens nationaux de police, gendarmerie et justice. "À Allonnes, nous avons mis en place une médiation la nuit, de 19h à 1h30 du matin et, comme la tranquillité publique est avant tout l'affaire de la population, nous organisons une réunion publique tous les six mois", témoigne Gilles Leproust. À Marseille, "le défi majeur est de recoudre la ville, de sortir de ce sentiment d'abandon", explique Audrey Gatian, adjointe au maire de Marseille, qui réclame également une présence accrue des forces de l’ordre – y compris la nuit – dans le contexte de violences que connaît la cité phocéenne. 

En attendant le CIV, le président de Ville & Banlieue appelle à "relier les ambitions qu'on peut avoir sur les territoires ruraux et territoires urbains" – notamment par un réalignement des dotations de solidarité urbaine et rurale. Et à continuer à "tisser la toile d'araignée" des élus de banlieue, pour "être plus forts ensemble".

 

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