Environnement - Des pistes pour une meilleure gestion des forêts publiques
Le rapport que viennent de réaliser des membres et inspecteurs généraux du CGEDD (Conseil général de l'environnement et du développement durable), de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'agriculture et des espaces ruraux tombe à point nommé pour alimenter les réflexions préalables à la signature, prévue en juillet, du contrat d'objectifs Etat-ONF 2012-2016, le premier du genre où les communes forestières devraient apposer leur signature. Il fournit une analyse sans concession du régime de gestion des forêts publiques. C'est-à-dire d'un côté celles des collectivités, qui s'étalent sur 2,8 millions d'hectares, et de l'autre les forêts domaniales qui représentent 1,8 million d'hectares. Souvent critiquée, leur gestion par l'Office national des forêts (ONF), qui est le bras armé de l'Etat dans ce domaine, n'a pas que des défauts. La mission reconnaît à ce titre que l'approche globale et nationale a le mérite d'être dans certains cas une source d'efficacité, en aidant notamment à mutualiser certains coûts. Autre vertu du dispositif : il préserverait une "solidarité nationale" envers les communes les plus démunies. Et éviterait ainsi de tomber dans l'écueil d'une gestion de ces forêts à deux vitesses, "qui pourrait se traduire par la surexploitation de certaines forêts, l'abandon d'autres et par une stagnation voire un recul de la récolte de bois".
Les fragilités de l'ONF
Le mode de gestion actuel n'en présente pas moins des défauts. La récolte de bois, par exemple, est bridée par de faibles marges de progression. Or, l'enjeu intéresse directement les collectivités, l'ONF estimant que c'est dans leurs forêts que l'on peut prélever davantage de bois. Le potentiel de ces forêts a été évalué à hauteur de 2,5 millions de m3 supplémentaires par an, contre 0,9 million de m3 en forêt domaniale. Cette capacité à mobiliser plus de bois est, au même titre que la structuration d'une filière de transformation plus robuste, un enjeu de premier ordre au vu des objectifs environnementaux fixés en matière de bois-énergie et de bois-matériau. Mais relever ce défi nécessite des reins solides, ainsi qu'une certaine souplesse. Tout en prenant des pincettes pour l'annoncer, la mission glisse à ce sujet qu'il "serait envisageable de supprimer le monopole public pour permettre aux collectivités qui le souhaitent de se doter de leur propre service ou déléguer la gestion de la forêt à des prestataires privés". Elle n'en salue pas moins les efforts que l'Office a consentis et continue d'engager en vue de rééquilibrer ses comptes. Mais suffiront-ils à redresser durablement la barre ? Non, à en croire cette mission, qui pointe du doigt une "situation budgétaire et financière de l'ONF globalement dégradée". Fortement dépendant des soutiens de l'Etat et fragile sur le plan de l'autofinancement, la dérive budgétaire de l'établissement se poursuivra dans les prochaines années si aucun changement de cap n'est effectué.
Inefficacité des frais de garderie et du versement compensateur
Le versement compensateur, qui représente un forfait atteignant en moyenne 12 millions d'euros par an, est versé par l'Etat à l'ONF. Et ce par facilité de gestion, sachant qu'il est indirectement destiné aux collectivités. La mission considère qu'il s'agit d'une "subvention d'équilibre", qui permet à l'ONF "d'autofinancer le déficit de gestion des forêts des collectivités". La fonction que remplit ce versement fait débat. Les inspecteurs généraux la trouvent "déresponsabilisante pour les collectivités comme pour l'ONF", étant donné qu'"une règle prévoyant que le déséquilibre d'une activité est mécaniquement pris en charge par l'Etat est contraire à une bonne gestion des fonds publics".
La contribution des communes, dite des "frais de garderie", est aussi au coeur des discussions. Nul doute que son mode de calcul - que l'ONF qualifie lui-même d'"injuste" - fera l'objet d'aménagements dans le cadre du contrat Etat-ONF à venir. A son propos, la mission ne mâche pas ses mots : elle y voit une source de déséquilibre et dénonce le fait que par son biais, des communes ayant les moyens de rémunérer des prestations bénéficient d'un "service quasi-gratuit de l'ONF", tandis que d'autres paient ces frais de garderie malgré une faible assise fiscale. L'autre problème est qu'"étant calculés sur les produits effectivement retirés de la forêt et non sur le potentiel de revenus forestiers (…), ils ne sanctionnent pas les collectivités disposant d'une forêt productive pas ou peu exploitée". Le constat est donc sans détour : pour cette mission, ce dispositif "désincite à la mobilisation du bois et est dépourvu de logique économique".
Remuscler le système forestier
La mission délivre une série de recommandations. Rééquilibrer l'activité de gestion des forêts des collectivités implique selon elle un effort partagé entre l'ONF - "sous la forme de gain en performance" - et les collectivités qui sont bénéficiaires des prestations, "sous la forme d'une majoration de la contribution aux frais de garderie". Faire le tri dans le champ des activités concurrentielles gérées par l'ONF serait aussi nécessaire : une filiale de l'Office qui reste à créer serait la bienvenue pour les piloter. En termes de gestion, des gains pourraient être générés en élargissant le maillage territorial et en améliorant la mobilisation du bois.
Par ailleurs, l'ensemble des missions d'intérêt général (MIG) que l'Office assure doit être clarifié. Dans le cadre de cet exercice et du prochain contrat d'objectifs, la création d'une MIG dédiée à la stratégie environnementale serait "envisageable". Ainsi, l'objectif de rééquilibrage dans la gestion des forêts des collectivités peut être en partie atteint en recentrant les prestations couvertes par le régime forestier et en réformant les frais de garderie et le versement compensateur. Le rendement de ces frais peut notamment être optimisé selon cette mission, et le principe d'équité renforcé, "mettant en place un taux fonction du potentiel fiscal". Le hic est que cela ne suffirait pas pour redresser durablement la situation. Le lifting doit être plus profond. La mission recommande ainsi d'aller jusqu'à modifier la loi en vue de rendre possible l'émergence de solutions nouvelles et plus radicales. Exemple : le fait de "facturer au coût complet la prestation aux collectivités, tout en individualisant le versement compensateur pour l'adapter aux besoins de chaque collectivité". Une idée à laquelle Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, se dit néanmoins peu favorable.
Enfin, parmi les scénarios de partage financier des efforts étudiés par la mission, celui qui a sa préférence vise à "augmenter significativement la part des collectivités (entre 12 et 19 millions d'euros) soit par une hausse des taux de frais de garderie, soit par l'introduction d'une part à la surface combinée avec l'actuel dispositif, soit enfin par une facturation au coût complet après déduction la dotation forestière".