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Aménagement numérique - Déploiement des RIP très haut débit : le doute persiste...

Le plan France Très Haut Débit (PFTHD) bénéficie d'un capital image positif auprès des collectivités territoriales. Son volet "mise en oeuvre" beaucoup moins… Lors du dernier congrès de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) à Montpellier, une enquête (1) réalisée par le Comptoir des signaux et la Fédération des réseaux d'initiative publique (Firip) auprès d'une centaine de collectivités territoriales révèle des écarts dans la perception du plan et dans les choix opérés sur le terrain. Des doutes relayés récemment par les associations d'élus qui en appellent à l'arbitrage du Premier ministre sur le suivi des investissements privés (voir ci-contre notre article du 30 septembre).
Les collectivités du panel "savent de quoi elles parlent", souligne d'emblée Agnès Huet, directrice générale du Comptoir des signaux : 64% avaient déjà mis en oeuvre un réseau d'initiative publique (RIP) de première génération (en exploitation commerciale dans 95% des cas) et la même proportion s'oriente désormais vers le déploiement d'un réseau Ftth. Sur ce dernier point, 23 collectivités, soit un peu plus d'un quart de l'échantillon, indiquent un lancement de leur projet d'ici 12 à 18 mois.
Quelques changements sont intervenus depuis la dernière enquête réalisée en 2012 : des villes comme Béziers ou Le Creusot-Montceau, situées dans les zones moyennement denses, ont renoncé à leur projet, tandis que de nouveaux entrants se faisaient connaître, comme les conseils généraux de Seine-Maritime, de Loire-Atlantique ou de la Vendée. Dans l'intervalle, la part des communes rurales et semi-rurales dans les projets s'est renforcée, passant de 64% à 80%, et l'activité de maîtrise d'ouvrage publique progresse de 12 points pour atteindre le taux de 45%. La taille des RIP en cours de déploiement ou envisagés devient significative : dans 46,5% des cas, le parc Ftth dépasse les 100.000 lignes sur le segment entreprises. 70% des collectivités ont un objectif de taux de couverture à 5 ans supérieur à 50%.

Les opérateurs privés tiennent-ils leurs engagements?

La quasi-totalité des collectivités du panel sont concernées par les déploiements Ftth annoncés par les opérateurs privés (84%). Plus des deux cinquièmes constatent des débuts de réalisation mais 40% estiment aussi que le calendrier annoncé n'est pas tenu. "Flou total sur les délais", "aucun moyen de contraindre", "à cette heure des points de mutualisation (PM) sont bien posés, mais à notre connaissance il n'y a pas de clients raccordés"… le verbatim abonde de remarques stigmatisant les investisseurs privés sur leur absence de transparence. Les collectivités locales se disent prêtes à prendre le relais en cas de défaillance ou lorsque que l'offre proposée est indaptée.
Près d'un tiers envisagent d'intervenir dans les zones conventionnées :
- soit afin d'assurer une couverture des entreprises, indépendamment des offres déjà existantes (53%), estimant que les offres de gros actuelles ne répondent pas aux besoins des PME plutôt consommatrices de services activés. "En 15 ans de régulation, l'Arcep n'a jamais pu obtenir de résultats satisfaisants sur l'ouverture à la concurrence du segment des entreprises", constate un représentant de collectivité dont le RIP installé accueille aujourd'hui 24 opérateurs ;
- soit pour assurer les deux types de couverture, FTTo pour les entreprises et FTTh pour les particuliers (47%). "Les collectivités potentiellement interventionnistes sont en majorité des syndicats, des EPCI et des régies, directement concernés par la défaillance ou le non-respect des engagements pris par l'opérateur", ajoute Agnès Huet.

Bonne image du plan, mais la mise en oeuvre reste précaire

Le positionnement du plan France Très Haut Débit, aussi convainquant sur les objectifs que sur les actions soutenues (74,5%), confirme sa bonne image générale. Son effet accélérateur sur le déploiement FTTh est même reconnu par plus de 61% des collectivités. Les modalités financières de soutien aux réseaux FTTh, et notamment les prêts à long terme, sont plébiscités (71%) et plus des 2/3 des collectivités envisagent de les mobiliser. Même appréciation favorable pour la prime aux projets interdépartementaux (66%).
En revanche, sur certains aspects de la mise en oeuvre, les porteurs de projets de RIP sont plus circonspects. Ils pointent l'insuffisante prise en compte de leurs besoins (60%) et près de 4 collectivités sur 5 se disent non satisfaites de l'articulation public-privé au regard des avantages dont bénéficierait le secteur privé. Quant aux modalités de contrôle des investissements des opérateurs sur la zone conventionnée, elles sont jugées "peu" et "moyennement satisfaisante" dans 88,6% des cas et semblent même amplifiées dans le verbatim : "aucun engagement réellement contraignant pour les opérateurs", "pas de mesures coercitives", "beaucoup de temps perdu pour la collectivité"…

Mutualiser le risque commercial

Par ailleurs, le manque de visibilité a moyen terme inquiète. C'est notamment le cas du risque commercial qui pèse sur les RIP en l'absence de garanties sur les achats futurs des opérateurs privés. Quant aux montants plancher pris en charge par ces mêmes opérateurs et le client final, susceptibles d'être déduits de la contribution du Fonds pour la société numérique (FSN), 64% des collectivités les jugent insatisfaisants. Beaucoup considèrent qu'ils ne reflètent pas la réalité en milieu rural et risquent de coûter cher aux collectivités.
Aussi le principe de la mutualisation des risques commerciaux est assez largement admis. Les collectivités locales accueillent favorablement (68%) le principe de la mise en oeuvre d'une plateforme commerciale mutualisée pour les parcs publics de lignes FTTx : 40% la verraient au niveau national et 51 % au niveau régional. Dans l'ensemble, elles optent pour une forme d'intermédiation moyenne axée sur le courtage (52%) plutôt que pour la centrale d'achat (36%).
On le voit, nécessité fait loi et les textes en discussion au Parlement sur la question du chef de filat entre département et région (voir entre autres  notre article du 2 octobre) semblent assez éloignés des préoccupations du terrain, voire quelque peu inutiles au regard du souhait de plus en plus partagé de mutualiser les efforts.
 

Philippe Parmantier / EVS


(1) Caractéristiques et panel de l'enquête :
Consultation en ligne du 17 août au 12 septembre 2013 totalisant une centaine de contributions dont 80 complètes.
Questionnaire : 48 questions dont 22 ouvertes.
Collectivités et établissements publics : 22% communautés d'agglomération, 2% de communautés de communes, 4% communautés urbaines, 11% communes, 24% départements, 4% régions, 7% régies, 12% syndicats d'électricité, 13% syndicats mixtes.
Participants : 8,3% élus, directions générales 16,7%, directions techniques 33,3%, chargés de mission 34,7%, divers 6,9%.