Dépenses d'éducation : les collectivités sous pression
L'année scolaire qui s'achève a mis en exergue de nombreux sujets où les collectivités sont mises financièrement à contribution par une conjoncture ou des décisions qui leur échappent. Au point de les cantonner à un simple rôle de prestataires de services qu'elles refusent d'endosser.
En matière d'éducation, les lois de décentralisation donnent aux collectivités des compétences qui correspondent à autant de postes de dépenses obligatoires, au point que ces dernières finançaient 22,3% de la dépense intérieure d'éducation en 2020, soit 37,2 milliards d'euros, contre 30,2 milliards en 2007 (les statistiques de notre article s'appuient sur la dernière édition disponible des Repères et références statistiques, publiés par le ministère de l'Éducation nationale). Récemment, la conjoncture économique mais aussi des décisions politiques comme judiciaires ont accru un peu plus la pression financière sur les collectivités dans ce domaine.
Alors que l'année scolaire 2022-2023 a vu émerger la question de la mixité sociale à l'école, aucune mesure contraignante n'a été prescrite par le ministère de l'Éducation nationale. Néanmoins, pour favoriser l'inscription des enfants de familles modestes dans les établissements privés sous contrat, où ils demeurent sous-représentés, le protocole d'accord signé en mai entre le ministère et le Secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC) sollicite les collectivités afin qu'elles proposent aux familles des élèves boursiers les mêmes aides en matière de restauration et de transport que celles qu'elles perçoivent lorsque leurs enfants sont scolarisés dans le public. Les élus ont rétorqué que de telles prises en charge existaient déjà sur certains territoires, mais qu'en tout état de cause, comme l'a souligné Frédéric Leturque, maire d'Arras et coprésident de la commission de l'éducation de l'AMF (Association des maires de France), "on peut toujours en rajouter sur le dos des collectivités locales, mais elles ont leurs limites" (voir notre article du 22 mai).
Rénovation thermique, la facture "du siècle"
Le chantier de loin le plus coûteux – qualifié de "chantier du siècle" par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique – sera celui de la rénovation thermique des bâtiments scolaires, propriétés des collectivités. Selon Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, auditionnée le 7 juin par la mission d'information sénatoriale sur la rénovation du bâti scolaire, le besoin d'investissement s'élève ici à 52 milliards d'euros pour les dix prochaines années si l'on veut rénover les 51.699 écoles, collèges et lycées publics de France, soit environ un million d'euros par établissement.
Certes, plusieurs dispositifs d'État proposent des aides aux collectivités. Et la Banque des Territoires a lancé le programme ÉduRénov qui mettra 2 milliards d'euros de prêts à disposition pour la rénovation énergétique de 10.000 écoles d'ici 2027. La somme de 52 milliards d'euros a toutefois de quoi faire tourner les têtes. Elle n'effraie cependant pas Dominique Faure, laquelle estime qu'il y a 50 milliards d'euros de trésorerie disponibles dans les caisses des collectivités et invite les maires à s'endetter (voir notre article du 8 juin).
Les régions, pour ne parler que d'elles, ont déjà retroussé leurs manches… et mis la main au portefeuille. Depuis 2019, la Bretagne consacre chaque année 20 millions d'euros à la rénovation et à l'isolation de ses 115 lycées. Le Grand Est a lancé son plan "Lycées verts" de 250 millions d'euros sur quatre ans, etc. Cet investissement aura tout de même une vertu pour les finances des collectivités : réduire, à terme, des factures de gaz et d'électricité qui, ces dernières années, se sont envolées (voir notre article du 12 septembre 2022).
Cantines, un enjeu social fort
Réduire des factures devenues folles, c'est aussi ce que chercheront à faire les collectivités en matière de restauration scolaire, où le renchérissement des coups de l'énergie et des produits alimentaires pèse sur le budget des cantines qui, avec les dépenses d'hébergement dans les internats, représente environ 4 milliards d'euros annuels à la charge des collectivités. Il en va de l'accès des élèves les plus modestes à ce service public essentiel. Car quand Gilles Pérole, coprésident du groupe de travail consacré à la restauration scolaire de l'AMF, nous apprend que près de la moitié des villes ont augmenté les prix de leurs cantines à la rentrée de septembre 2022, un sondage montre qu'au même moment, plus d'un parent sur dix (13%) envisageait de mettre moins souvent ses enfants à la cantine en raison de la hausse des tarifs.
Pour les collectivités qui ne souhaitent pas faire porter le poids de l'inflation aux familles, il n'y a qu'une solution à court terme : prendre en charge le différentiel, comme l'ont fait Libourne, Dunkerque ou Paris. À plus long terme, la solution passe par des choix de menus différents afin d'aller vers des produits de qualité meilleur marché, et surtout par la reconstruction d'une souveraineté alimentaire des territoires. Gilles Pérole en appelle ainsi "à changer le système en passant en circuit court et de proximité" car "plus il y a d'intermédiaires plus ils se servent au passage". Une solution qui nécessite toutefois de modifier le Code des marchés publics pour permettre aux collectivités d'acheter localement, comme le revendiquent l'AMF et de nombreuses villes (voir nos articles du 9 septembre et du 29 novembre 2022).
À ces différentes pressions financières directes – si l'on considère l'absolue nécessité d'entreprendre des travaux de rénovation thermique dans les établissements et d'assurer un service de restauration scolaire de qualité accessible à tous et particulièrement aux plus modestes –, s'ajoutent des pressions indirectes mais tout aussi pesantes. Celles qui consistent à rendre possibles les recrutements dans des secteurs en tension. Recrutements qui nécessitent de revaloriser des métiers délaissés en raison de leur précarité et de leurs faibles niveaux de rémunération. Il est question ici des animateurs périscolaires, des chauffeurs de bus scolaires ou des AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap).
Recrutements en tension
Le transport scolaire – qui assure la mobilité quotidienne de 2,1 millions d'élèves et coûte quelque 2 milliards d'euros par an aux collectivités – manque actuellement de 6.000 conducteurs. Depuis l'été 2022, le gouvernement a pris la mesure d'une crise qui met en péril l'égalité territoriale, particulièrement en zones rurales. Il a successivement pris des mesures visant à faciliter la formation des conducteurs (voir notre article du 27 juillet 2022) et à permettre aux agents publics de travailler comme conducteurs de bus scolaire à titre accessoire auprès d'une entreprise privée (voir notre article du 9 novembre 2022). La dernière piste avancée consiste à offrir, à travers une modification, là encore, des marchés publics, souplesse et visibilité aux entreprises de transport. Souplesse qui, in fine, permettra une révision des prix au plus près de l'évolution réelle des conditions économiques. Évolution qui, on s'en doute, n'ira pas dans le sens d'économies pour les collectivités (voir notre article du 24 juillet).
La question des animateurs périscolaires fait apparaitre des carences plus importantes encore : 50.000 postes, soit 10% des effectifs, étaient restés non pourvus durant l'année scolaire 2021-2022. Et la crise sanitaire n'explique pas tout. Selon l’Andev (Association nationale des directeurs et des cadres de l'éducation des villes et des collectivités territoriales), les raisons sont avant tout structurelles et vont des trous dans les emplois du temps à, une nouvelle fois, une faible rémunération, le tout sur fond de manque de perspectives de carrière. Si l’optimisation des plannings et la mise à disposition des animateurs sur plusieurs sites peuvent apporter des solutions, il convient aussi d'encourager le financement par les collectivités de formations qualifiantes et diplômantes et, bien entendu, de revaloriser les salaires… (voir notre article du 6 octobre 2022).
Enfin, les AESH occupent une place à part dans l'intervention des collectivités en matière d'éducation. Si leur recrutement est d'abord assuré par l'Éducation nationale, leurs interventions en dehors du temps scolaire doit être pris en charge par les collectivités, comme l'a affirmé un arrêt du Conseil d'État de novembre 2020. De son côté, le président de la République s'est prononcé en faveur d'une accélération du passage au temps plein des AESH. Parallèlement, le nombre de notifications d'attribution d'AESH par les MDPH (maisons départementales pour les personnes handicapées) est en constante augmentation. Autant de facteurs qui conduiront à augmenter la prise en charge financière par les collectivités (voir notre article du 20 avril 2023).
Les collectivités vivent leurs compétences en matière d'éducation comme une chance pour leur territoire. La volonté des élus locaux d'accompagner l'Éducation nationale dans sa tâche est manifeste. Toutefois, beaucoup se sentent encore considérés par l'institution scolaire comme de simples "prestataires de services" (voir notre article du 29 septembre 2022). Ce sentiment avait été exacerbé lors de la crise sanitaire. L'année scolaire 2022/2023 n'a pas inversé la tendance, loin s'en faut.