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Habitat - Délégation des aides à la pierre : le satisfecit de la Cour des comptes

Ce n'est pas tous les jours que la Cour des comptes tresse des lauriers aux collectivités territoriales. Telle est pourtant la tonalité générale qui se dégage de son rapport thématique sur la délégation des aides à la pierre, rendu public le 30 mai. Un succès qui prouve que volontariat et pragmatisme sont parfois plus efficaces que les cathédrales législatives.

"La mise en œuvre de la délégation des aides à la pierre a répondu aux espoirs qui avaient été placés en elle. Loin de l'attentisme auquel on aurait pu s'attendre, face à un système administratif et juridique complexe, le dispositif proposé a suscité l'engagement de nombreuses collectivités et établissements concernés" : ainsi la Cour des comptes conclut-elle son rapport thématique sur "L'expérience des délégations des aides à la pierre de l'Etat aux intercommunalités et aux départements". Dans un communiqué du 30 mai, l'Assemblée des communautés de France (ADCF) se réjouit d'ailleurs de ce rapport, "qui souligne l'engagement volontariste des intercommunalités délégataires en matière d'aides à la pierre".

Un pari pas gagné d'avance

La partie était pourtant loin d'être gagnée lorsque le principe de cette délégation a été mis en place par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (articles L.301-3 et suivants du Code de la construction et de l'habitation). Le dispositif avait en effet tout pour échouer : une base volontaire, une approche originale ne relevant ni de la décentralisation, ni de la déconcentration, un cadre juridique complexe, la concurrence avec les autres compétences effectivement décentralisées au même moment, la crainte pour les collectivités d'être entraînées sur un terrain glissant avec le risque d'un désengagement ultérieur de l'Etat...
Sept ans après, il apparaît au contraire que le volontariat et le pragmatisme de la démarche ont "constitué un élément essentiel de réussite" et que "les résultats atteints témoignent d'une dynamique encourageante". La délégation des aides à la pierre porte à la fois sur les aides à la construction, à l'acquisition, à la réhabilitation et à la démolition de logements locatifs sociaux, ainsi que sur celles destinées à la rénovation de l'habitat privé. Il y a toutefois deux façons de considérer le succès de la délégation des aides à la pierre. En termes de collectivités concernées, il peut sembler assez modeste : seules 108 d'entre elles ont opté pour la délégation. Mais celles-ci couvrent la moitié de la population. Une disproportion apparente qui s'explique par le fait que 27 départements et 81 intercommunalités - correspondant souvent à des territoires très peuplés - ont choisi d'être délégataires. Parmi les 81 intercommunalités délégataires figurent 14 communautés urbaines, 62 communautés d'agglomération et 5 communautés de communes.

Plus de 50% des logements sociaux financés en délégation

Le rapport de la Cour des comptes établit également une autre distinction tranchée entre les aides à la construction de logement sociaux et la rénovation de l'habitat privé. Côté construction, le rapport constate que la délégation a été un succès. En 2009, le nombre de logements sociaux financés dans le cadre d'une délégation s'est élevé à 65.344, soit 56% de la production de l'année. Cette proportion n'était encore que de 13% en 2005, soit 9.600 logements sociaux. Ce résultat est d'autant plus méritoire que le nombre total de logements financés est lui-même en nette hausse puisqu'il a atteint 117.368 en 2009, soit près de 20% de plus que l'objectif initial de l'Etat de 100.000 logements sociaux par an, fixé par le plan de relance de 2008. Autre point positif relevé par la Cour, la proportion de logements très sociaux - financés par des prêts locatifs à usage social (Plus) ou des prêts locatifs aidés intégration (PLA-I) - est plus élevée dans le cadre des délégations que dans le droit commun. Il est vrai toutefois que nombre de départements et d'intercommunalités délégataires comptent des territoires en difficulté, qui se prêtent particulièrement à ce type d'opérations.
De même, le rapport constate que les délégataires ont su développer, au niveau local, une vraie capacité d'expertise et des outils efficaces de suivi de la consommation des crédits, ainsi que de connaissance du marché et des coûts. Ces outils pallient la faiblesse de l'Etat en ce domaine, qui continue de raisonner en termes de logements financés et non de logements livrés. Le rapport se garde cependant d'opposer l'efficacité des collectivités délégataires à l'inefficacité supposée de l'Etat. Il sait notamment gré à ce dernier d'avoir su mettre en place "un pilotage ferme du processus de déclinaison territoriale", qui a fortement contribué à la cohérence de la démarche et à l'atteinte de ses objectifs quantitatifs. L'Etat conserve en effet - et c'est la différence majeure avec la décentralisation - son pouvoir propre d'appréciation et sa responsabilité de fixation des objectifs.

Un levier pour le foncier

Toujours au crédit de la délégation, la Cour des comptes relève que celle-ci a favorisé l'émergence de dynamiques locales pour traiter le problème du foncier. Les départements et les intercommunalités ne disposant pas, au départ, de compétences en la matière, cette dynamique s'est traduite notamment par des transferts de compétences aux intercommunalités de la part des communes et par la conclusion de contrats de territorialisation avec les départements délégataires. L'intervention d'établissements publics fonciers nationaux et la création d'établissements publics fonciers locaux a également favorisé ces évolutions. Certaines intercommunalités n'ont d'ailleurs pas hésité à aller plus loin en créant - en complément des réserves foncières traditionnelles - des aides spécifiques destinées à compenser les surcoûts fonciers et en recourant à des méthodes nouvelles d'intervention (par exemple sous forme d'acquisitions disséminées dans le parc existant). Malgré l'articulation trouvée entre les délégataires et les communes - facilitée par la proximité territoriale -, "la mise en œuvre du dispositif de la délégation n'a toutefois pas été l'occasion de résoudre la dichotomie entre les compétences urbanistiques de la commune (PLU, DPU, ZAC et réserves foncières qui en découlent) et les compétences en matière d'habitat des intercommunalités".
Enfin, le rapport constate que les bailleurs sociaux - qui auraient pu être déstabilisés par la délégation - se sont bien adaptés et mobilisés. Le nouveau dispositif s'est ainsi traduit par la signature de conventions entre les délégataires et les bailleurs publics, voire les bailleurs privés.

La délégation ne règle pas tout

Tout n'est pas idyllique pour autant et la Cour des comptes pointe un certain nombre de points faibles en matière de construction, lesquels ne remettent toutefois pas en cause le succès d'ensemble du dispositif. Sur un plan purement factuel, certaines conventions de délégation n'ont pas été renouvelées, faute pour le délégataire d'avoir atteint les objectifs fixés. Cela a été notamment le cas en Franche-Comté et en Languedoc-Roussillon. De même, la concertation régionale qui devait accompagner la mise en place de la délégation a tardé à se mettre en place. Les comités régionaux de l'habitat - dont la création était prévue par la loi du 13 août 2004 - ont ainsi été très lents à s'installer, y compris en Ile-de-France "où la pertinence d'une politique départementale de l'habitat n'est pas évidente et où le nombre d'intercommunalités est particulièrement faible". Ces retards s'expliquent toutefois, pour partie, par la lourdeur de ces instances.
Autre faiblesse relevée par le rapport et déjà largement soulignée par ailleurs : l'articulation "difficile" entre les documents d'aménagement et d'urbanisme et la politique de l'habitat. Conséquence : l'articulation entre les schémas de cohérence territoriale (Scot) - lorsqu'ils existaient - et les programmes locaux de l'habitat (PLH) "n'a produit que peu d'effets". Il est vrai que la notion de "compatibilité" - et non de conformité - entre le PLH et le Scot a souvent été entendue de façon très extensive. Les situations les plus cohérentes en la matière sont d'ailleurs celles dans lesquelles l'Etat s'est le plus impliqué, comme dans le Nord-Pas-de-Calais.

La rénovation du parc privé : le maillon faible de la délégation

Le principal point faible de la délégation concerne son second volet, autrement dit la rénovation du parc privé, à travers la gestion des aides financées par l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Pour la Cour des comptes, cette délégation a souffert d'un certain nombre de péchés originels. Tout d'abord - et contrairement au cas de la construction -, son pilotage a été déficitaire dès le départ, faute de disposer d'outils efficaces de régulation. Le système fonctionne ainsi "à guichet ouvert, dans la limite des enveloppes financières définies". En outre, dans la mesure où la quasi-totalité des délégataires a opté pour une convention de gestion confiant à l'Anah la responsabilité de l'instruction des dossiers et du paiement des aides, leur efficacité propre s'est cantonnée à leur capacité à faire respecter, par l'Agence, les directives retenues. Un positionnement d'autant plus délicat que "jusqu'en 2010 où elle s'est dotée d'un système central plus performant, l'Agence a assuré le suivi des résultats dans des conditions peu transparentes".
La Cour des comptes relève également que ce volet de la délégation se caractérise par "une absence de priorités sociales marquées". Elle s'étonne notamment de constater que la part des logements réhabilités faisant ensuite l'objet par les propriétaires bailleurs d'une location sans conventionnement des loyers est supérieure de dix points chez les délégataires, par comparaison avec les aides hors délégation.
Ces faiblesses initiales et non corrigées ont abouti à un bilan "mitigé". Si l'on exclut les contrats passés avec des bailleurs institutionnels, les résultats en nombre de logements rénovés sont en effet plus faibles dans les territoires faisant l'objet d'une délégation que dans les zones hors délégation. Alors que les premiers regroupent 45% de la population, ils n'ont contribué qu'à hauteur de 41% à la production des résultats nationaux entre 2006 et 2009.

Jean-Noël Escudié / PCA

Les dix recommandations de la Cour des comptes
1 - Inscrire les délégations de l'Etat dans une programmation pluriannuelle fixant des objectifs globalisés et des moyens financiers prévisionnels.
2 - Réviser les systèmes d'information ministériels pour connaître en continu et précisément les résultats obtenus dans les zones sous délégation et hors délégation en termes de logements effectivement réalisés ainsi que l'effort financier propre des délégataires.
3 - Mettre en place le système unique de suivi des plans locaux de l'urbanisme et des programmes locaux de l'habitat prévu par la loi Molle et la loi portant engagement national pour l'environnement.
4 - Favoriser le transfert aux intercommunalités des compétences en matière d'urbanisme.
5 - Prendre en compte les données des programmes locaux de l'habitat et des plans intercommunaux d'urbanisme dans les conventions conclues entre l'Etat et les bailleurs sociaux, dans les opérations Anru et lors des modifications de zonage.
6 - Retirer de l'assiette du calcul de la dotation de compensation le prélèvement sur les ressources fiscales des communes qui ne remplissent pas l'objectif de 20% de logements sociaux.
7 – Etudier la possibilité d'ouvrir, en cas de délégation, dans la comptabilité d'un EPCI, un fonds dédié aux acquisitions dans la commune redevable du prélèvement et poser la question du transfert du droit de préemption à l'EPCI, jusqu'à obtention du taux de logements sociaux fixé par la loi, en envisageant un régime analogue au bénéfice des départements délégataires.
8 - Fixer à l'Anah des objectifs couvrant l'ensemble du champ des aides déléguées, qui puissent ainsi servir de fondement aux délégations.
9 - Poursuivre l'adaptation du système d'information de l'Anah au suivi effectif des délégations.
10 - Maintenir, dans les objectifs retenus, l'apport des propriétaires bailleurs, sous condition de loyers maîtrisés, afin de diversifier l'offre de logements sociaux.