Commande publique - Délais de paiement : trouver un point d'équilibre entre acheteur public et fournisseur
Le décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique (voir ci-contre notre article du 4 avril) impose désormais à l'ensemble des pouvoirs adjudicateurs de respecter un délai maximum de 30 jours pour le paiement de leurs prestataires. Une exception demeure toutefois pour les établissements publics de santé et les entreprises publiques, dont les délais de paiement restent respectivement maintenus à 50 et 60 jours.
La 159e session d'études organisée les 4 et 5 avril par l'Apasp sur l'actualité des contrats et des marchés publics a été l'occasion de solliciter le point de vue de plusieurs praticiens de la commande publique quant au nouveau dispositif règlementaire en matière de délais de paiement.
Rachel Godot, directrice juridique et des moyens généraux à la mairie de Grand Quevilly, Jean-Pierre Gohon, administrateur de l'Apasp et ancien avocat et Sébastien Taupiac, directeur des achats de l'Ugap, ont apporté leur éclairage sur la question.
Question : Ce nouveau dispositif règlementaire va-t-il avoir une incidence sur vos pratiques quotidiennes ?
Rachel Godot - Oui ! Le nouveau décret va encore renforcer tout ce qui a déjà été mis en place pour réduire les délais en interne entre les différents services. Quatre intermédiaires doivent traiter une facture en 20 jours, c'est-à-dire le service courrier, le service comptabilité, le service gestionnaire ainsi que le maître d'œuvre. Le trésorier dispose ensuite de 10 jours pour le faire. Cette pluralité d'intervenants explique en général les retards pour le traitement d'une facture dans une structure telle que la mairie du Grand Quevilly. La coordination entre nos différents services et nos procédures internes devra donc être renforcée. Dans une démarche pédagogique, un guide comptable élaboré en collaboration avec le trésorier a d'ailleurs été mis en place à cet effet.
Autre modification, celle du cahier des charges pour réduire le délai accordé au maître d'œuvre. Celui-ci sera désormais fixé à 5 jours.
Tous les mois, notre pourcentage de factures payées dans le délai de 30 jours est comptabilisé. Notre objectif est de réduire progressivement ce délai tous les ans. En 2012, 70% de nos factures ont été payées en temps utile mais nous souhaitons avoir 100% de factures honorées dans les temps impartis.
Sébastien Taupiac - L'Ugap est bien sûr prête puisqu'elle appliquait déjà ces règles, que ce soit en matière de respect de délais ou de versement d'intérêts moratoires. Bien que ce décret n'ait pas directement d'incidence sur l'établissement, celui-ci rappelle à chaque pouvoir adjudicateur l'importance des délais de paiement dans la vie économique. Convaincu par ce point, l'Ugap cherche désormais à réduire le temps s'écoulant entre la réception d'une demande de paiement et sa possible mise en paiement. En effet, s'il est fondamental d'optimiser le délai entre facture bonne à payer et paiement, il convient également de travailler sur la fiabilisation des factures fournisseurs, indispensable dans un processus qui à terme sera totalement dématérialisé.
Qu'est-ce qui justifie selon vous la publication de ce nouveau décret ?
Jean-Pierre Gohon - Il y a deux raisons. D'une part, il s'agit du décret d'application de la loi du 28 janvier 2013 (dite loi DADUE 1) reprenant elle-même la directive 2011/7/UE du 11 février 2011 qui devait être transposée avant le 16 mars 2013. D'autre part, ce décret réactualise les dispositions antérieures avec deux éléments essentiels prévus par la directive. Premièrement, l'aggravation du taux des intérêts moratoires, qui passe du taux de la BCE + 7 points au taux de la BCE + 8 points. Deuxièmement, les établissements, notamment hospitaliers, qui pouvaient jusqu'ici appliquer comme taux des intérêts moratoires le taux de l'intérêt légal majoré de 2 points, ne peuvent plus le faire dorénavant. Cette mesure va considérablement aggraver le montant de leurs intérêts moratoires. L'impact financier est donc assez conséquent.
Cette mesure est-elle importante pour les entreprises, notamment les PME ?
Jean-Pierre Gohon - Ce nouveau décret a le mérite de préciser plusieurs choses pour les PME. D'abord, il y a une définition législative du point de départ du délai, en cas de non respect d'un délai contractuel ou non respect d'un délai de 30 jours. Ensuite, la loi et le décret réaffirment le caractère automatique des intérêts moratoires qui doivent être payés dans les 45 jours suivant le paiement d'une facture en retard. Le nouveau dispositif règlementaire supprime les intérêts complémentaires dûs en cas de retard de paiement des intérêts moratoires. Toutefois, étant donné la forte majoration des intérêts moratoires, cela n'a pas grande incidence.
Par conséquent, à partir du moment où l'entreprise a envoyé sa facture - et que celle-ci, bien entendu, est conforme aux prestations exécutées -, elle sera en principe assurée d'être payée dans les 30 jours qui suivent. En revanche, le délai annoncé pour 2017 de 20 jours pour les achats de l'Etat sera plus difficile à mettre en œuvre, mais pas impossible puisque la dématérialisation de la chaîne des paiements se met progressivement en place.
Selon vous, quels sont les enjeux de cette nouvelle mesure ?
Jean-Pierre Gohon- L'étude d'impact de la loi DADUE 1 démontre que l'impact financier de cette nouvelle mesure serait de l'ordre de 30 millions d'euros d'intérêts moratoires pour les services de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux.
Le retard de paiement dans les collectivités est en général dû à une mauvaise organisation des services, il faut donc y remédier et l'augmentation du taux des intérêts moratoires devrait avoir un effet dissuasif à un moment où la ressource budgétaire est un peu plus rare.
Quels conseils pourriez-vous donner aux acheteurs publics ?
Sébastien Taupiac - Le respect des délais de paiement est souvent vu par les acheteurs comme une contrainte et par les fournisseurs, notamment les plus petits, comme une absolue nécessité pour préserver leur trésorerie. L'Ugap, centrale d'achat public, a depuis longtemps fait du respect de ces délais un élément fort de sa stratégie achat puisque les délais de paiement constituent aujourd'hui un véritable levier de gain achat.
En effet, la performance achat dépend de moins en moins de la seule massification et/ou mutualisation mais bien de la capacité de l'acheteur public à attirer la plus grande concurrence possible sur ses procédures et à réduire les coûts industriels, financiers, administratifs et commerciaux des fournisseurs. L'association de ces deux objectifs constitue un puissant levier pour optimiser les conditions économiques sans peser de manière démesurée sur les seules marges directes des fournisseurs.
Ainsi, derrière ce sujet apparemment anodin se cache un point crucial de l'équilibre si important entre acheteur et fournisseur.
Référence : Etude d'impact loi n°2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (loi DADUE 1).