Dégâts des violences urbaines : le projet de loi adopté au Sénat
Le projet de loi "relatif à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines" a passé l'étape du Sénat et sera discuté jeudi à l'Assemblée. Une circulaire revient pour sa part sur l'accompagnement financier des collectivités et fait état de la création d'un "fonds dédié".
Le Sénat a voté ce mardi 18 juillet à l'unanimité le projet de loi visant à répondre à l'urgence des travaux après les destructions lors des récentes violences urbaines, tout en amorçant le débat sur les causes des émeutes et la réponse politique à y apporter.
Le vote a été plié en deux heures pour ce texte promis par Emmanuel Macron le 4 juillet afin d'accélérer la reconstruction dans les quelque 500 communes touchées par les émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel, tué par le tir d'un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre le 27 juin.
Plus de 750 bâtiments publics ont été atteints, selon le gouvernement, de manière plus ou moins importante. "Les chiffres sont trois fois supérieurs à celui des trois semaines de 2005", a indiqué le ministre de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, qui a détaillé les choses : 274 commissariats, brigades de gendarmerie et postes de police municipale, 105 mairies, 243 établissements scolaires dont une dizaine complètement détruits, 47 établissements de la justice, 3 centres hospitaliers, de l’équipement urbain, des bus, des trams, des médiathèques, des maisons de quartiers, crèches, gymnases, maisons de la culture, locaux associatifs…
À peine retouché par les sénateurs, le projet de loi est attendu dès jeudi dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Un vote "conforme" signerait son adoption définitive en un temps record. Si l'Assemblée le modifie même un tant soit peu, députés et sénateurs devront se réunir en commission mixte paritaire pour s'accorder sur une version de compromis qui devra encore être validée par chacune des deux chambres. Un scénario qui différerait l'adoption définitive au vendredi.
Ce texte n'est pas "une réponse globale à la situation que nous avons connue", a d'emblée posé Christophe Béchu face à l'hémicycle où avait pris place le président du Sénat, Gérard Larcher (LR). "Nous sommes maintenant dans le temps du traitement des conséquences et viendra bien sûr à la rentrée le temps de l'action résolue sur les causes, sur les politiques à conduire", a-t-il promis.
Mais sur tous les bancs, les sénateurs ont insisté pour que soient posées les questions de fond. "Nous aurions aimé que ce texte-là soit mis en perspective par une analyse et la parole présidentielle pour qu'on nous pose un diagnostic, pour qu'on définisse les causes", a déclaré le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. "Ce qu'il va falloir reconstruire, dans les mois, dans les années qui viennent, ça n'est pas seulement ce qui a été brûlé pendant cinq jours et cinq nuits, c'est ce qui a été déconstruit pendant des décennies, l'autorité bien sûr (...), et il faudra sans doute aussi faire en sorte que tous ces jeunes des quartiers puissent aimer la France", a-t-il ajouté.
La socialiste Marie-Pierre de La Gontrie a d'ores et déjà annoncé que son groupe redemanderait un débat à la rentrée. "Tout le monde débat partout de ce qui s'est passé en France, sauf au Parlement, ce n'est pas normal." "Il nous faut une date de débat", a appuyé le communiste Pascal Savoldelli. "Il faut tirer tous les enseignements pour reconnaître et respecter toute la population française."
Le texte, qui avait été présenté en conseil des ministres jeudi dernier (voir notre article) comporte trois articles autorisant le gouvernement à agir par ordonnance sur trois leviers. Le premier prévoit des adaptations du code de l'urbanisme pour accélérer la reconstruction des bâtiments publics ou privés détruits ou dégradés. Il pourra s'agir de reconstruction à l'identique ou avec des améliorations, par exemple de la performance environnementale. Les travaux préparatoires pourront être engagés sans attendre l'obtention de l'autorisation d'urbanisme. L'article 2 porte sur la commande publique, avec un double objectif d'accélération et de simplification des marchés publics de travaux "en dérogeant aux obligations de publicité préalable, et en permettant un usage plus étendu des marchés de conception-réalisation". Le dernier article adapte le cadre applicable aux subventions versées aux collectivités locales. Il ouvre la possibilité d'un zéro à charge pour les collectivités concernées et leur permettra de récupérer la TVA dans l'année en cours.
Le Sénat a modifié le titre du projet de loi en ajoutant le mot "réfection" et en remplaçant l'adjectif "démolis" par l'adjectif "détruits". Et a retouché les dispositions concernant les marchés publics. D'une part en précisant que les dérogations s'appliqueront à tous les acheteurs soumis au code de la commande publique, y compris les bailleurs sociaux. D'autre part en incluant les opérations de reconstruction ou de réhabilitation des équipements publics "tels que la voirie, les éléments de mobilier urbain ou les réseaux de transport, et pas seulement des bâtiments"
Dès la présentation du projet de loi en conseil des ministres, Christophe Béchu avait précisé que l'objet de ce texte n'était pas d'apporter de nouvelles aides ou sources de financement : "Il n'y a pas d'engagement budgétaire du gouvernement dans le cadre de ce projet de loi. Nous fixons les règles. La question ensuite du financement, de ce point de vue, elle n'a pas varié". Mais en parallèle, une nouvelle circulaire a été publiée le 13 juillet qui porte bien, elle, sur les possibilités d'accompagnement financier des collectivités "pour la réparation des dégâts et dommages contre les biens des collectivités résultant des violences urbaines survenues depuis le 27 juin 2023" Cette circulaire de cinq pages invite tout d'abord les préfets à être les plus présents possible auprès des élus des collectivités concernées, avec réunions de suivi et mise en place d'un guichet unique. Est ensuite abordée une question délicate : dans quelle mesure la responsabilité de l'Etat peut-elle être engagée ? On se souvient qu'elle s'était déjà posée pour les dégâts consécutifs à certaines des manifestations des gilets jaunes. Et, avant cela, lors des événements de 2005. Le gouvernement distingue deux cas de figure : "celui d'une manifestation qui dégénère de façon spontanée, ses participants provoquant des dommages : la responsabilité de l'Etat s'applique alors ; celui d'un rassemblement prémédité et opportuniste de personnes sans lien avec une manifestation revendicative, dans le seul but de commettre des actions de saccage ou de pillage, que ces dommages aient lieu à l'occasion, en marge d'une manifestation, ou non; la responsabilité de l'Etat ne s'applique alors pas". Ainsi, selon la circulaire, "sous réserve d'un examen attentif des circonstances de chaque espèce, que si les dégradations commises dans le sillage des premiers rassemblements spontanés survenus le 27 juin peuvent être prises en charge(…), en revanche, les dégradations commises les jours suivants, et en particulier les pillages perpétrés en dehors de toute manifestation, ne présentent plus de lien avec des manifestations ou rassemblements mais présentent le caractère d'actions préméditées, n'ouvrant donc pas droit à indemnisation". On peut supposer que le distinguo ne sera pas toujours évident. Après avoir évoqué le rôle des assureurs, les deux ministres auteurs de la circulaire – Christophe Béchu et Dominique Faure – indiquent qu'il y aura bien un "fonds dédié", comme l'avait demandé l'Association des maires de France. Créé sur le programme 122 de la mission "Relations avec les collectivités territoriales" pour "contribuer au financement du reste à charge après assurance", son montant n'est pas précisé. Les crédits seront attribués par le préfet de département "sous la forme de subventions pour la réalisation d'investissements", pour les seules dépenses "de réparation des dégâts dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par la collectivité ou le groupement". Les collectivités et groupements auront jusqu'au 30 septembre 2023 pour adresser leur demande de subvention. La circulaire souligne enfin que les dispositifs de droit commun peuvent également être mobilisés, à savoir le FIPD (fonds interministériel de prévention de la délinquance, pour les dégâts sur les dispositifs de vidéoprotection ou pour certaines dépenses de sécurisation) et les diverses dotations d'investissement (DETR, DSIL, DPV, DSID). Et que "les communes et leurs groupements sont susceptibles de recevoir des soutiens des autres niveaux de collectivités". |