Défaillances d'entreprises : les PME et ETI dans la tourmente
La délégation sénatoriale aux entreprises s'est saisie de la question des défaillances d'entreprises qui se multiplient notamment parmi les PME et ETI. Lors d'un débat organisé le 6 février 2025, les représentants des entreprises ont appelé à desserer les contraintes qui pèsent sur elles dans un contexte de concurrence accrue.
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© Capture vidéo Sénat/ Amir Reza-Tofighi et Frédéric Coirier
"Quand va-t-on se réveiller ? À force de tirer sur la corde nous allons provoquer des délocalisations ou à défaut accentuer le phénomène des défaillances de nos plus petites entreprises." Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, a lancé un cri d'alerte concernant le niveau des défaillances en France, lors d'une table ronde organisée le 6 février 2025. Les chiffres sont parlants (voir notre article du 8 janvier 2025) : 65.175 procédures collectives ouvertes en 2024, dont une grande majorité (94%) concerne des entreprises de moins de dix salariés. "C'est une hausse globale de 16,7% par rapport à 2023 et de 26,9% par rapport à 2019 avant covid", précise Olivier Rietmann qui estime qu'il y a plus de 3.200 suppressions de poste par semaine depuis le début de l'année 2024, dont 1.219 dans des entreprises de moins de dix salariés. "Face à ce phénomène que nous devrions tous considérer comme une alerte rouge imposant une vigilance absolue, on a parfois le sentiment que certains n'ont pas pris conscience de l'impact économique et humain de ces défaillances", critique également le président de la délégation aux entreprises du Sénat, renvoyant aux récentes discussions autour du budget 2025.
L'immobilier et le bâtiment parmi les secteurs les plus touchés
Parmi les secteurs les plus impactés : l'immobilier et le bâtiment, pour lesquels Frédéric Coirier, coprésident du METI et président du groupe Poujoulat, estime que la catastrophe est en train d'arriver, en particulier dans le logement neuf. Ces secteurs devraient être en grande difficulté en 2025 et 2026. "On va construire 50% de logements en moins qu'il y a deux ans, il va se construire en France 60.000 maisons cette année, contre 250.000 il y a 10 ou 15 ans", mentionne-t-il. De son côté, le secteur automobile "se durcit considérablement", avec de nombreuses PME et ETI parmi les sous-traitants subissant "à la fois un changement brutal de modèle et une crise économique de volume" avec la concurrence chinoise (voir aussi notre article du 27 janvier). "Même avec les effets de droits de douane, on n'arrive pas à freiner la vague chinoise qui aujourd'hui déferle sur l'Europe", alerte le représentant des quelque 6.200 entreprises de 250 à 5.000 salariés. Sans compter les changements auxquels la plupart des entreprises, tous secteurs confondus, doivent faire face, comme l'évolution des modes de consommation et des pratiques en matière de ressources humaines, et les crises qui se multiplient depuis quelques années (gilets jaunes, Covid, guerre en Ukraine, inflation, hausse des taux d'intérêt).
"Il y a aussi un rattrapage avec le remboursement des prêts garantis par l'Etat-PGE, qui représentent une charge pour les entreprises", précise Amir Reza-Tofighi, nouveau président de la CPME, qui voit dans la sensibilisation des dirigeants d'entreprises une piste d'amélioration. Les groupes de prévention agréés (GPA) de la CPME, à travers un réseau de chefs d'entreprises bénévoles, travaillent dans ce sens, accompagnant les chefs d'entreprise en difficulté, souvent bien seuls. L'objectif des GPA "est de prévenir et d'accompagner les chefs d'entreprise qui rencontrent des difficultés (...) et qui ne savent pas vers qui se tourner", explique-t-il. L'an dernier, dans le Loir-et-Cher, 75 bénévoles ont ainsi accompagné 280 chefs d'entreprise. Mais la situation est très disparate en fonction de l'investissement de la région, déplore-t-il.
La progression des défaillances ralentit
Emilie Quema, directrice des entreprises à la Banque de France, nuance cet état des lieux, précisant que si le nombre de défaillances a dépassé son niveau d'avant crise Covid (avec 65.764 fin 2024 selon l'établissement, en données provisoires), un niveau historique, "la progression des défaillances est de moins en moins forte d'un mois sur l'autre". Le nombre de créations d'entreprises très élevé ces derniers temps (voir notre article du 6 février) augmente le stock d'entreprises et donc d'établissements qui sont susceptibles de passer en défaillance. "50.000 défaillances ont été évitées entre 2020 et 2021, développe Emilie Quema, elles sont progressivement rattrapées, mais si on effectue une comparaison entre le nombre de défaillances des cinq dernières années, entre 2020 et fin 2024, et les cinq années avant, on a 20% de moins de défaillances". Reste que tous les secteurs ne sont pas touchés de la même façon, ni au même rythme. Et les entreprises de grande taille, au départ épargnées, sont davantage touchées par les défaillances en 2024. "Il y a 63 défaillances en 2024 chez les ETI contre trois en moyenne par an avant Covid", indique la directrice des entreprises à la Banque de France.
Simplifier pour arrêter la "vague" de normes
L'instabilité politique et certaines dispositions du budget 2025 inquiètent aussi grandement les représentants des entreprises. Le coprésident du METI s'en est pris à la taxe additionnelle sur le versement mobilité que les régions pourront appliquer (ce à quoi la région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé, le 12 février, qu'elle renonçait pour ne pas pénaliser ses entreprises) et à la surtaxe de l'impôt sur les sociétés (IS) prévue pour les grands groupes, soit plus de 400 entreprises réalisant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires? Cette surtaxe pourrait aussi toucher des ETI multi-établissements, notamment si on ne prend pas en compte leur chiffre d'affaires consolidé. "Cela ne touchera pas que les grands groupes", prévient Frédéric Coirier qui alerte aussi sur l'avalanche de normes. Selon lui, la création au niveau européen d'une catégorie d'entreprises ETI permettrait d'arrêter "la vague qui est en train de déferler". "La France sert de modèle, c'est le seul pays à reconnaître officiellement cette strate d'entreprises", a précisé Olivier Rietmann. Pour pousser Bruxelles en ce sens, la commission des affaires européennes du Sénat vient d'adopter à l'unanimité une proposition de résolution "sur la reconnaissance par l’Union européenne de la catégorie des entreprises de taille intermédiaire". "Je pense qu'il n'y aura aucun souci au niveau de l'hémicycle pour qu'elle soit également votée à l'unanimité, afin que ça accélère un peu le process", espère Olivier Rietmann, co-auteur du texte avec le sénateur Jean-François Rapin. A noter que l'Assemblée a pris une initiative similaire avec une proposition de résolution "pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d'une catégorie statistique dédiée à l'échelle européenne" adoptée le 18 janvier.
Plus de stabilité, moins de normes et un accompagnement plus précoce
Les chefs d'entreprise s'inquiètent de la règlementation européenne, en particulier de la directive sur le devoir de vigilance (CS3D), celle sur le reporting de durabilité (CSRD) et la taxonomie verte. La CSRD doit s'appliquer en théorie aux entreprises de plus de 250 salariés et réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros. Mais "quand on remplit la CSRD, les grands demandent aux ETI, qui demandent aux PME, donc tout le monde va y passer", fait valoir Frédéric Coirier. Un sujet à l'agenda européen, puisqu'en présentant sa "boussole pour la compétitivité", le 29 janvier, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a dit avoir entendu les milieux d'affaires sur la complexité bureaucratique : une législation "omnibus" sera prochainement présentée en ce sens (voir notre article du 29 janvier). Au niveau national aussi la "simplification" est à l'agenda. Olivier Rietmann rappelle à cet égard que le "test PME" qu'il proposait a été intégré dans le projet de loi de simplification de la vie économique adopté par le Sénat en octobre (voir notre article du 23 octobre). Et d'appeler le gouvernement et l'Assemblée à "une continuité législative" sur le sujet.
Face à cette situation, les sénateurs appellent à un "changement de logiciel" pour "offrir une stabilité du cadre fiscal et social aux entreprises", "arrêter de produire des normes imposées aux seuls producteurs français" et "inverser la logique d'accompagnement des entreprises pour alerter très tôt et développer les procédures préventives". "On a un sujet majeur, c'est comment on fait pour arrêter de se mettre des contraintes qui, au final, ne vont pas dans le bon sens parce qu'au lieu de produire mieux, on produit moins bien en Chine et on importe, et donc on pollue beaucoup plus", résume Amir Reza-Tofighi.