Entreprises : des défaillances au plus haut et un avenir en pointillés
Qu'il s'agisse de la Banque de France ou du groupe Altares, les dernières données sur la sinistralité des entreprises convergent sur des niveaux records de défaillances au mois de juin. Pour Altares, qui envisage une accalmie dans les prochains mois, le plus dur pourait être passé. Ce n'est pas forcément l'avis des patrons de TPE-PME, notamment dans la construction et le commerce. L'atonie du secteur immobilier entraîne des réactions en chaîne sur des pans entiers de l'économie.
Il n'y a pas que la politique qui soit plongée dans l'incertitude. L'économie tout entière vacille. Les défaillances d'entreprises ont encore bondi de 23,4% au deuxième trimestre, atteignant des records, selon les chiffres du groupe Altares, publiés mercredi. 16.3071 défaillances (sauvegarde, redressements, liquidations) ont été enregistrées, un niveau "très au-dessus de la moyenne observée de 13.700 sur les décennies 2000 et 2010". Période pendant laquelle la barre des 16.000 défaillances sur un trimestre n'a été franchie que deux fois : lors du deuxième trimestre 2009 suite à la crise financière et, en 2013, dans le contexte de la crise des dettes souveraines. "Ce nombre découle d'une conjoncture ralentie et du rattrapage d'une partie des défauts évités pendant la crise sanitaire grâce aux aides", analyse Altares. Des aides (fonds de solidarité, PGE, reports de cotisations Urssaf...) qui avaient récemment fait dire au ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qu'il avait "sauvé l'économie".
En glissement annuel, Altares calcule 63.500 défaillances à juin 2024, un niveau atteint deux fois seulement en vingt ans (en novembre 2009 et février 2014). La Banque de France (qui ne comptabilise que les redressements et les liquidations) parvient aux mêmes conclusions : 61.025 défaillances sur un an au mois de juin (+23,7%).
La Normandie, lanterne rouge
Les trois quarts des défaillances relevées par Altares au deuxième trimestre concernent les microentreprises de moins de 3 salariés qui voient les défauts augmenter de 26,4%. Il s'agit pour un grand nombre d'entre elles de petite restauration ou d'entreprises du bâtiment créées avant le confinement sanitaire. Mais les entreprises qui connaissent la situation la plus difficile sont les PME de 50 à 99 salariés avec une croissance très rapide des défauts (+ 48%) et des liquidations judiciaires (+91%). Nombre d'entre elles se situent dans le transport de marchandises et la sécurité privée. La situation se "détend sensiblement" pour les grosses PME et ETI. Au total, 69.500 emplois seraient menacés rien que sur ce deuxième trimestre (+25% sur un an).
Dans ce climat morose, la Normandie est la lanterne rouge ; les défaillances y augmentent de 38,5%, en raison des mauvaises performances de la Seine-Maritime et du Calvados. L'Île-de-France connaît une augmentation de 34% des défaillances, mais pour 4.182 entreprises (contre 640 en Normandie), "un nombre jamais approché depuis 25 ans". Ce sont les Hauts-de-France et l'Occitanie qui connaissent la sinistralité la moins importante : le nombre de défaillances chute de 30% dans le Lot et recule de 9% dans le Nord, comme dans le Gard ou de 10% dans l'Aveyron. À noter toutefois que l'Ariège "dérape" avec 64% de jugements en plus. Un département qui peut cependant se réjouir de la décision du groupe américain AMI Metals d'y implanter une usine de pièces aéronautiques. "Ce centre industriel verra le jour à Varilhes, et sera chargé du stockage, de la découpe et de la distribution de profilés aluminium pour les marchés aéronautiques français et espagnols", indique la région.
Réactions en chaîne de l'immobilier
L'atonie du secteur immobilier entraîne des réactions en chaîne. Parmi les secteurs les plus durement touchés figurent la construction (en particulier la maçonnerie et la construction de maisons individuelles et les activités connexes comme la plâtrerie, la menuiserie, etc.) et les agences immobilières (+58%) ou la vente de meubles (+60%). Mais c'est aussi le cas de l'agriculture (+150%), des pharmacies (+76%), de la récupération de déchets triés (+89%), des services informatiques +59%), des transports routiers (+39%)...
Altarès préfère rester optimiste et constate un "ralentissement de la hausse" des défaillances. Pour Thierry Million, directeur des études chez Altares, "ce trimestre a été un des plus lourds qu'a connu notre économie" mais on s'orienterait plutôt vers un "plateau" avec un "ralentissement plus franc des défaillances dans les mois à venir". Certains secteurs, notamment dans le commerce aux particuliers, semblent sur la bonne voie. La boulangerie, très impactée par l'envolée des prix de l'électricité, commence à sortir de la nasse : 250 boulangers ont baissé le rideau ce trimestre, mais le chiffre est en recul d'1,2%. De même, le commerce de prêt-à-porter enregistre "à peine plus de 250 procédures", un nombre en retrait de 7,7% sur un an. Une trentaine de supermarchés ont fait défaut, c'est 45% de moins sur un an. Et, avec 777 procédures (+1,3%), la restauration "reprend son souffle", à l'exception de la restauration rapide encore très impactée (+27,6%).
Des carnets de commande très peu fournis
Ce regain d'optimisme n'est pas forcément partagé par les patrons de PME (- de 5.000 salariés) qui prévoient un ralentissement de leur activité en 2024, selon l'enquête de conjoncture semestrielle publiée par Bpifrance jeudi. Si les difficultés de recrutement et les coûts trop élevés arrivaient en tête de leurs préoccupations en 2024, ils s'inquiètent désormais particulièrement des perspectives de demande dégradées et d'accroissement de la concurrence internationale. Les carnets de commande restent en dessous de la moyenne des vingt dernières années, rapportent les dirigeants de TPE-PME. Cette morosité est particulièrement sensible dans les secteurs des transports, du commerce et de la construction où le chiffre d’affaires pourrait reculer de −1 à −3% cette année.
"Nous n'avons plus une sinistralité qui serait aujourd'hui justifiée à 100% par les années Covid", a analysé auprès de l'AFP François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Mais "si l'on ne voit pas remonter à court terme le niveau d'activité, c'est très préoccupant quand même".
La fédération du commerce spécialisé Procos, qui tenait sa conférence de presse semestrielle, mercredi (voir notre article), alerte sur les effets en cascade du marché de l'immobilier. "Le volume de crédit distribué aux ménages s’est écroulé avec toutes les conséquences sur le marché de l’immobilier et les marchés associés tels que l’équipement de la maison dans son ensemble (bricolage, cuisiniste, meuble, décoration…)", constate-t-elle. Cette situation n'est "pas définitive" mais elle "peut encore durer de nombreux mois avec un effet retardé assez long sur l’équipement de la maison si l’on ajoute le très important sujet de la construction de logements sur lequel nous verrons la politique choisie par le futur gouvernement". Le Conseil du commerce de France pointe pour sa part "la période d'instabilité" entamée avec les élections européennes qui "fait courir le risque de prendre beaucoup de retard" sur les réformes engagées : mensualisation des loyers (contenue dans le projet de loi simplification suspendu par la dissolution), régulation des nouvelles plateformes d'e-commerce situées hors de l'UE, transformation digitale et environnementale des commerces… Le futur gouvernement saura à quoi s'en tenir.