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Habitat - Décohabitation : plus d'un million de "Tanguy" forcés, faute d'accès au logement

La Fondation Abbé-Pierre publie une étude originale sur les difficultés de la décohabitation entre enfants et parents. Intitulée "La face cachée des 'Tanguy' : les jeunes en hébergement contraint chez leurs parents", elle reprend la figure symbolique du film d'Etienne Chatiliez, qui a donné son nom au phénomène. La réalité est toutefois nettement moins pittoresque que la fiction.

Les premières victimes de la crise du logement

S'appuyant sur les résultats de l'enquête nationale logement (ENL) de 2013, l'étude rappelle ainsi que 4,5 millions de majeurs vivent chez leurs parents ou leurs grands-parents. Parmi ceux-ci, 1,3 million ont plus de 25 ans et correspondent donc à la situation des "Tanguy". De même, 1,5 million ont un emploi rémunéré - dont la moitié en CDI à temps complet - et près d'un million ont déjà vécu dans un logement indépendant avant de revenir au domicile parental.
Les plus en difficulté d'entre eux - correspondant aux jeunes hébergés cumulant plusieurs critères de contrainte (plus de 25 ans, retour au domicile parental après une première décohabitation...) - ont vu leur nombre passer de 282.000 en 2002 à 338.000 en 2013, soit une progression de 20%.
Comme l'indique l'étude, "ces chiffres massifs posent la question de marchés immobiliers devenus inaccessibles pour une large part de la population, en particulier les jeunes qui figurent au premier rang des victimes de la crise du logement".

L'emploi ne suffit pas, même en CDI

Le travail de la Fondation Abbé-Pierre ne s'arrête toutefois pas à ces données globales. L'étude montre ainsi la nécessité de dépasser l'image des étudiants, des apprentis ou des stagiaires qui s'attardent au domicile familial par confort ou par manque de ressources personnelles pour accéder à un logement autonome. Si ce profil est effectivement très présent chez les 18-24 ans, il apparaît également que 841.000 personnes de 25 à 34 ans et 479.000 de 35 ans et plus vivent toujours chez leurs parents ou grands-parents.
L'existence d'un contrat de travail et d'une rémunération ne permet pas toujours la décohabitation. Ainsi 32% des 4,5 millions de "Tanguy" ont un emploi ou sont en situation de formation rémunérée, proportion qui monte à 55% chez les 25-34 ans. Mais la faiblesse de la rémunération, le temps partiel subi et la précarité des contrats de travail ne permettent pas forcément d'accéder à un logement autonome. Le CDI n'est d'ailleurs pas toujours le "Graal" permettant de répondre aux exigences des bailleurs : 62% des 25-34 ans salariés et vivant chez leurs parents sont titulaires d'un CDI...

Génération boomerang

La situation sans doute la plus difficile est celle des personnes appartenant à la "génération boomerang", autrement dit les 925.000 personnes qui, en 2013, vivaient chez leurs parents après une expérience autonome de plus de trois mois, et de plus d'un an pour les deux tiers d'entre eux, voire de plus de cinq ans pour 160.000 personnes. La "génération boomerang" représente 35% des 25-34 ans vivant chez leurs parents.
Et il ne s'agit pas d'un simple passage très temporaire entre deux logements autonomes : 64% des jeunes revenus au domicile parental y résident depuis plus de six mois (590.000 personnes) et même depuis plus d'un an pour la moitié d'entre eux (455.000 personnes). Les raisons de ce retour au domicile parental sont très diverses. Ainsi, 27% des retours correspondent à des motifs peu contraignants (périodes de reprise d'études, de vacances, de service civique ou militaire...), 26% à des phases de transition délicates (fin des études, recherche d'emploi, changement de travail...), tandis que 45% correspondent à des situations "particulièrement difficiles" : rupture familiale, perte d'emploi, problèmes financiers ou de santé, problèmes de logement (insalubrité, expulsion...).
Le caractère contraignant du retour au domicile parental est ainsi très prégnant : il est évoqué par 61% des 25-34 ans et 86% des 34 ans et plus. L'étude met également en évidence le poids de la contrainte financière, toutes tranches d'âge confondues. Au total, plus d'un million de majeurs quitteraient le domicile parental s'ils en avaient les moyens...