Décentralisation : David Lisnard, vent debout contre la "République des Cerfas"
Pour le maire de Cannes, qui - souvent à titre personnel - s'est exprimé le 6 juin, devant les sénateurs, l'avenir de la commune ne passera certainement pas par le recours à la différenciation. Il a plaidé pour une réduction des "contrôles a priori" effectués par les services de l'Etat - symbolisés par la multiplication des formulaires Cerfa - qui "bloquent" l'action des maires. Et pour l'attribution de plus grandes responsabilités à ces derniers.
Renforcement du pouvoir du préfet de département, suppression des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et transfert de leurs compétences aux départements, attribution d'un droit de veto aux maires et d'un pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales... Alors que le président de la République a engagé des consultations en vue d'une réforme des institutions, David Lisnard, président de l'Association des maires de France (AMF) a présenté, mardi 6 juin, des pistes pour redonner de la "vitalité" à la commune et répondre, ainsi, à "la crise civique".
"La vitalité communale n'est qu'une abstraction si elle est sous tutelle de l'Etat, financière et juridique", a estimé le maire de Cannes, qui s'en est pris à "la spirale infernale de la recentralisation". David Lisnard était auditionné par la mission d'information qui, au Sénat, se penche sur "l'avenir de la commune et du maire". Un sujet des plus inquiétants selon l'élu. "Nous sommes face à un phénomène de remise en cause de l'existence même de la commune", a-t-il jugé avec le visage grave. Dans le collimateur du premier maire de France : "la doxa" qui consiste à "penser que plus les ensembles sont grands, plus ils sont performants". Une pensée dont la Cour des comptes serait l'un des grands défenseurs. Elle en aurait donné la preuve, selon lui, dans son dernier rapport annuel, presque entièrement consacré au bilan de la décentralisation (voir notre article du 10 mars).
"La Dreal a mis deux ans à me répondre"
Dans ce document, les magistrats prônent la diffusion de la fusion, en 2015, de la métropole de Lyon avec le département du Rhône, à des "départements fortement urbanisés", et l'effacement des communautés de communes dans les départements faiblement peuplés. Des propositions radicales prenant appui sur le principe de différenciation promu par la loi 3DS de févier 2022. Or David Lisnard s'est déclaré "de plus en plus hostile" à l'égard de ce concept en vogue. Plutôt que de permettre aux maires de "retrouver du pouvoir", la différenciation va être "de plus en plus la martingale technocratique pour [mener à] de grands ensembles", s'est-il alarmé. "Small is beautifull", a lancé le maire de Cannes.
Critiquant un "Etat qui ne cesse de faire des schémas directeurs", David Lisnard a pourfendu la "République des Cerfas". Lorsqu'elle lance un projet, une commune s'attache à "chercher ce qui est autorisé", a-t-il indiqué, évoquant par ailleurs les difficultés qu'il rencontre à réaliser à Cannes une "unité de valorisation des déchets". "Je n'y arrive pas, la Dreal a mis deux ans à me répondre. Maintenant, je n'arrive pas à la faire inscrire dans le Sraddet [schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire], parce que le président du conseil régional n'a pas envie de me permettre de régler un problème", s'est-il agacé.
"25.000 élus municipaux ont démissionné depuis 2020"
"L'impuissance croissante dans l'action" est le "premier" motif de démission des maires, a fait remarquer David Lisnard, en se référant à une enquête du Cevipof pour l'AMF. Au moins 1.400 maires ont démissionné depuis 2020, a-t-il dit, en s'appuyant sur les statistiques du ministère de l'Intérieur. "C'est deux fois plus que lors de la décennie précédente", a-t-il estimé. Selon l'AMF, les démissions auraient concerné au total quelque 25.000 élus municipaux depuis le début de l'actuel mandat (en comptant les conseillers municipaux et les adjoints au maire).
"Prenez une initiative parlementaire qui sera soutenue par l'AMF pour supprimer les Dreal !", a lancé David Lisnard aux sénateurs. "Ni proche, ni loin", "désincarnée", cette direction régionale "ne sert à rien, hormis à bloquer les projets", a-t-il vertement critiqué. Le président de l'AMF a par ailleurs plaidé pour un renforcement des pouvoirs du préfet de département sur les services déconcentrés de l'Etat, et l'attribution à son profit d'une "capacité d'arbitrer l'intérêt général". Moins attaché à un "contrôle a priori" (passant notamment par des autorisations préalables), l'Etat devrait "se recentrer sur ses missions de contrôle a posteriori", a-t-il encore préconisé.
Pour "sortir de cette spirale infernale de recentralisation", il faut redonner [aux élus locaux] de la capacité d'action, c'est-à-dire de la responsabilité", a plaidé David Lisnard. Il a prôné une plus grande autonomie fiscale et de nouveaux transferts de compétences en direction des collectivités. Hormis le pouvoir de police de l'environnement que l'Etat conserverait, les autres compétences utiles de la Dreal pourraient être ainsi, selon lui, transférées à la collectivité départementale. Il a par ailleurs préconisé l'affectation aux collectivités locales d'un pouvoir d'interprétation et d'application réglementaire.
Indemnité du maire : "pas moins de 3.000 balles par mois"
L'édile est aussi partisan d'une plus grande souplesse dans l'exécution des compétences du bloc communal. Une commune devrait, selon lui, avoir la capacité de reprendre à son compte le ramassage des ordures ménagères ou l'éclairage public lorsque ces compétences ont été transférées à l'intercommunalité. Compte tenu du "degré de maturité" auquel l'intercommunalité "est arrivée", "ce n'est pas détricoter", a-t-il estimé. Le président de l'AMF s'est par ailleurs prononcé en faveur d'un "droit de veto" permettant au maire de s'opposer à l'implantation d'un équipement dans sa commune.
Le maire de Cannes a appelé à une meilleure reconnaissance de ses pairs, y compris sur le plan indemnitaire. Selon lui, "aucun maire ne devrait gagner moins qu'un cadre moyen, voire un 'cadre sup', quelle que soit la taille de la commune". En clair, a-t-il prôné avec franc-parler, "tu dois pas avoir un maire qui gagne moins de 3.000 balles par mois". Autant dire une substantielle indemnité, en comparaison des 1.050 euros par mois que touchent quelque 30.000 maires. Le président de l'AMF a souhaité, de plus, que l'indemnité du maire soit "automatique", autrement dit qu'elle n'ait pas à faire l'objet d'une délibération du conseil municipal en début de mandat.