Débat sur la crise sanitaire et les seniors : la pandémie va conduire à revoir le modèle des Ehpad
Un débat sans vote sur "Les seniors face à la crise" organisé par l'Assemblée a donné lieu à de multiples prises de parole sur les conséquences de la crise sanitaire pour les personnes âgées, principalement en termes d'isolement... et notamment dans les Ephad. Un consensus semble émerger quant à la sacralisation du droit de visite et, à plus long terme, à la promotion d'un nouveau modèle d'Ehpad plus ouvert sur le monde extérieur.
Dans le cadre de la semaine de contrôle de l'activité du gouvernement, l'Assemblée nationale organisait, le 23 mars, un débat sans vote sur "Les seniors face à la crise". Comme l'expliquait Arnaud Viala - député de l'Aveyron qui introduisait le débat pour le groupe LR, à l'initiative de ce débat –, "nos aînés ont souffert plus que tous les autres de la violence psychologique de l'isolement, des différentes formes de confinement et de l'éloignement de leurs proches. Ils souffrent atrocement de la solitude. Pire, ils ont peur : peur de la contamination dont chaque jour démontre qu'elle peut leur être fatale plus qu'aux gens plus jeunes, peur de leurs enfants et de leurs petits-enfants, qui pourraient les rendre malades ne serait-ce qu'en leur rendant visite, peur de tout contact, peur de vivre un tant soit peu normalement".
Tirer d'urgence les leçons de l'isolement des seniors
Cette entrée en matière donne le ton d'un débat de bonne tenue, compte tenu du contexte et de la gravité du sujet, avec quelques témoignages personnels chargés d'émotion. Comme l'ont rappelé plusieurs orateurs, les seniors – l'expression "personnes âgées" semble avoir été quasiment bannie du débat – sont en effet les principales victimes de la pandémie de Covid-19. Les personnes de 75 ans et plus représentent 75% des 90.000 victimes à ce jour, auxquelles on peut ajouter les 14% de 64-75 ans, soit près de 90% de seniors parmi les décès.
Tout en soulignant la mobilisation et les bonnes intentions des uns et des autres, Arnaud Viala a également pointé un certain nombre d'"enseignements à tirer des nombreuses conséquences de la crise pour nos aînés" : difficulté de la gouvernance bicéphale des ARS et des départements (avec plaidoyer pour un rôle accru des départements), absence d'accompagnement organisé pour les structures intermédiaires (les "innombrables résidences, foyers et structures intergénérationnelles non médicalisées que les territoires ont créées et qui rendent des services irremplaçables"), ou encore l'oubli des services à domicile dans le Ségur de la santé.
Les orateurs qui se sont succédé ont mis en évidence deux thèmes majeurs qui se dégagent très nettement des échanges : la nécessité d'une évolution du modèle des Ehpad et, plus encore, les ravages provoqués par l'isolement des personnes âgées pendant la crise sanitaire et la nécessité d'y remédier dans la perspective d'une prochaine crise.
Un nouvel Ehpad "plus ouvert et mieux lié à la vie de tous"
Philippe Vigier (Modem, Eure-et-Loir) a ainsi insisté sur la prise de conscience du syndrome de glissement, provoqué par la volonté, certes louable, d'isoler les personnes âgées pour mieux des protéger, mais qui a provoqué de nombreux décès prématurés. Il a également critiqué la complexité des formulaires à remplir pour les visites en Ehpad. Gérard Leseul (Socialiste, Seine-Maritime) a souligné le défi consistant à "protéger nos aînés des risques de cette maladie tout en maintenant une forte cohésion nationale", car nombre d'aînés "se sentent aussi stigmatisés et mis à l'écart de la société". Il a également insisté sur la nécessité de relancer l'activité associative – comme celle des clubs – dont "la dimension sociale est essentielle".
Pour Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble, Seine-Maritime), "les politiques de soins destinées aux 'vieux' durant la pandémie les ont malmenés psychologiquement en les isolant". Comme d'autres orateurs, elle estime que, malgré le dévouement des équipes durant la pandémie, "cette crise devra nous faire réfléchir rapidement à un nouveau modèle d'Ehpad. Ce n'est pas que leurs équipes aient failli, mais les limites de ce mode d'hébergement ont été vite pointées". Le nouvel Ehpad devra donc être "plus ouvert et mieux lié à la vie de tous".
Valérie Six (UDI et Indépendants, Nord) a insisté, elle aussi, sur cette question de l'isolement, tout en se félicitant des 10.000 missions de service civique, pour accompagner 300.000 personnes isolées d'ici les trois prochaines années. Présidente, par ailleurs, de la mission d'information sur l'emploi des seniors, elle s'inquiète aussi "du gel des embauches, et des licenciements, entraînés par la crise pour toute la population mais plus particulièrement pour les salariés seniors".
Isolement : "sanctuariser le droit de visite des familles"
Évoquant le rapport de Jérôme Guedj (voir notre article 17 juillet 2020), Jean Lassalle (Libertés et Territoires, Pyrénées-Atlantiques) juge que les seniors "ont parfois le sentiment d'être un peu livrés à eux-mêmes et abandonnés ; ils pensent que peu est fait pour réduire leur isolement". Il pointe "l'échec de la politique sociale pendant la crise sanitaire, tout en saluant les seuls acteurs présents sur le terrain pour apporter le soutien nécessaire aux personnes âgées isolées, à savoir les collectivités locales" et appelle à l'élaboration d'un plan de mobilisation nationale contre l'isolement. Seule intervention entièrement critique : celle de Jean-Hugues Ratenon (LFI, La Réunion), qui dénonce le "démantèlement du service public", l'"obligation de chiffre et non de plus-value humaine" dans les Ehpad, mais aussi la "politique du 'tout dématérialisé' [qui] avait compliqué la vie de ces gens sans aucune mesure d'accompagnement ni de soutien social". Il a aussi dressé le calendrier des reports successifs du projet de loi Autonomie. Elsa Faucillon (PCF, Hauts-de-Seine) estime que la crise sanitaire est aussi "une leçon qui devrait nous conduire à opérer des bifurcations majeures dans les politiques publiques". Elle juge nécessaire d'accélérer le rythme des mesures d'assouplissement dans les Ehpad et, à plus long terme, considère que "le modèle actuel des Ehpad doit être repensé et les métiers, majoritairement exercés par des femmes, doivent être revalorisés pour être plus attractifs, mais aussi tout simplement en témoignage de notre reconnaissance".
Stéphanie Atger (LREM, Essonne) s'est félicitée que le gouvernement n'ait pas repris les propositions suggérant de ne proroger les règles restrictives de déplacement que pour les seuls aînés. Elle a également évoqué les violences intrafamiliales et institutionnelles envers les seniors et souligné la nécessité d'une meilleure écoute et d'une meilleure prise en compte de la notion de consentement. Bernard Perrut (LR, Rhône) a clos les interventions en évoquant à nouveau l'isolement, mais sous sa forme la plus tragique, celle "des vies qui se sont achevées dans une grande solitude", autrement dit des décès sans contact, ni présence des proches. Il partage donc, avec d'autres députés du groupe LR, "l'objectif de sanctuariser le droit de visite des familles dans les établissements médicaux publics et privés et dans les Ehpad – un droit à la fois pour le patient et pour sa famille".
La loi Grand Âge et autonomie fait – encore – son retour
Dans son intervention en réponse aux orateurs, Brigitte Bourguignon a reconnu "que la crise sanitaire a profondément rebattu les cartes de l'action publique à destination des personnes âgées en perte d'autonomie". Dans une formulation qui n'éclaire pas vraiment sur le calendrier en la matière, la ministre déléguée chargée de l'autonomie a aussitôt annoncé "sans équivoque possible, que la réforme relative au grand âge et à l'autonomie est désormais sur les rails, irrémédiablement engagée. La crise sanitaire, loin de la stopper, l'a accélérée".
Dans son compte-rendu du conseil des ministres du 13 janvier dernier, Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, avait pourtant indiqué que le projet de loi Grand Âge "reste à l'agenda de ce quinquennat dès lors que la situation sanitaire nous permettra de le reprendre. Les Français comprendront bien que notre boussole, c'est la gestion de la crise sanitaire" (voir notre article du 19 janvier 2021). Et le projet de loi ne figure pas davantage dans la présentation des six réformes prioritaires présentées par Olivier Véran et Brigitte Bourguignon lors du conseil des ministres du 17 février dernier (voir notre article du même jour).
La ministre chargée de l'Autonomie a ensuite détaillé la politique du gouvernement en faveur des personnes âgées à l'occasion de la crise sanitaire. Elle a ainsi passé en revue plusieurs dispositifs : vaccination en Ehpad – "Nous avons quasiment terminé la vaccination des 600.000 résidents des Ehpad" –, mobilisation de la réserve civique, numéro vert d'écoute, assouplissement des règles sanitaires en Ehpad, prime Covid aux services d'aide à domicile, négociation en cours sur la revalorisation des salaires, mesures du Ségur de la santé en faveur de l'investissement dans les Ehpad (2,1 milliards sur cinq ans), remboursement à 100% des soins auditifs, optiques et dentaires... Sans oublier bien sûr la création de la cinquième branche dédiée à l'autonomie, même si celle-ci ne prendra pas effet avant 2023.
Un équilibre à trouver entre gestion de crise et respect des droits de la personne
Les questions-réponses qui ont suivi cette première séquence ont permis d'apporter des précisions ou informations complémentaires. Sur la question centrale de l'isolement, et tout en refusant de "jeter la pierre aux directions de ces établissements, qui ont fait de leur mieux pour protéger leurs résidents", Brigitte Bourguignon a ainsi confirmé que "les retours d'expérience auxquels nous avons procédé au sein des Ehpad et ailleurs ont tous fait état de cet isolement, qui a certes été nécessaire d'un point de vue sanitaire au début de la crise, dans l'inconnu auquel nous étions confrontés, mais qui a également donné lieu à des situations dramatiques". L'idée d'une sacralisation du droit de visite dans la loi "peut être intéressante, notamment lorsque nous devrons traverser d'autres crises, sachant cependant qu'il nous faudra toujours respecter des protocoles sanitaires".
Face au reproche que "le protocole instauré après la période de vaccination n'a pas semblé être à la hauteur", Brigitte Bourguignon a expliqué que "nous ne pouvons pas aller trop vite" mais dit "espérer assez vite le retour à une situation encore bien plus normale".
De façon plus large, et après avoir rappelé que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a été saisi à plusieurs reprises sur les questions liées au confinement, la ministre a estimé qu'"il faut toujours et avant tout conserver un équilibre entre gestion de crise et respect des droits de la personne en tout lieu – y compris [...] en soins palliatifs et lors de la fin de vie".
Sur les Ehpad, Brigitte Bourguignon a indiqué travailler à "en faire des lieux plus ouverts", notamment à travers l'utilisation des crédits d'investissement du Ségur de la santé (voir notre article du 17 mars 2021), mais aussi via la formation initiale et continue des différents métiers concernés. Pour lutter contre la désaffection des professionnels des secteurs du médical et du médicosocial vis-à-vis des territoires ruraux, elle estime nécessaire d'"élaborer des projets territoriaux de santé. La crise sanitaire a permis à beaucoup de professionnels de travailler ensemble, parfois même de découvrir qu'ils pouvaient le faire ; peut-être en naîtra-t-il une motivation, une autre façon de faire, dans des territoires qui auraient bien besoin de cette dynamique". Mais, pour l'instant, le constat est sans appel : "C'est l'hémorragie."