Energie - Coût réel de l'électricité : un rapport sénatorial sous tension

La commission d'enquête sénatoriale sur le coût réel de l'électricité a finalement décidé de rendre public ses travaux le 18 juillet en dépit des désaccords sur la conclusion de son rapporteur. Mais le diagnostic est partagé : la facture d'électricité est appelée à s'alourdir.

C'est un sujet électrique à tous les sens du terme. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur le coût réel de l'électricité a été adopté le 9 juillet "dans des conditions assez particulières", a annoncé son président, le sénateur UMP de l'Eure Ladislas Poniatowski, lors d'une conférence de presse le 18 juillet. La conclusion du rapporteur écologiste de la commission, Jean Desessard, n'ayant pas pu réunir de majorité pour devenir la conclusion générale, le rapport aurait pu ne pas être publié. Cela aurait été "dommageable", a souligné Ladislas Poniatowski car les travaux menés ont été "très fructueux", avec depuis début mars 2012, 51 personnes entendues par la commission et 56 auditionnées par le rapporteur. En lieu et place des conclusions de la commission ont donc été publiées une conclusion de Jean Desessard et des contributions de chacun des groupes politiques.
Dans le prolongement du rapport de la Cour des comptes sur le coût de la filière électronucléaire du 31 janvier 2012, le rapport sénatorial, présenté en deux tomes, dresse un état des lieux complet du système électrique français et entend constituer une "base de référence solide" en vue du débat sur les questions énergétiques annoncé pour l'automne. Il commence par un constat partagé, celui de "la fin d'une phase d'électricité bon marché". D'ici 2020, la facture moyenne d'électricité d'un ménage français va s'alourdir de 50% et atteindre 1.307 euros par an contre 874 euros en 2011, à cause des investissements élevés du renouvelable et de ceux croissants du nucléaire, estime-t-il. "Se pose aujourd'hui la question d'énormes investissements, on peut parler de 400 milliards d'euros à horizon de 20 ans", a précisé Jean Desessard.
Sur l'augmentation de 433 euros attendue sur la facture (qui est hors TVA), 28% viendront de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui inclut notamment les tarifs d'achats subventionnés des énergies renouvelables, 37% des réseaux électriques et 35% de la production d'électricité elle-même.

Incertitudes sur les coûts du nucléaire

Il ressort des évaluations des sénateurs que les coûts de l'électricité nucléaire française sont encore sous-évalués : en incluant les travaux de maintenance post-Fukushima, la commission les évalue à 54,2 euros par mégawattheure. C'est plus que l'évaluation du rapport de référence publié par la Cour des comptes au début de l'année (49,5 euros) et plus que le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), c'est-à-dire le prix officiel du courant nucléaire, qui est de 42 euros depuis le 1er janvier. Le rapport sénatorial, comme celui de la Cour des comptes, relève aussi des "incertitudes" supplémentaires notamment sur le démantèlement, plus les coûts d'assurances pour un accident ou des frais de recherche publiques. Des coûts qui porteraient le total à 75 euros le mégawattheure, même si la commission s'est refusée à effectuer officiellement cette addition "parce qu'on n'a pas voulu rajouter des incertitudes aux incertitudes", selon Jean Desessard.
Côté énergies renouvelables, les sénateurs relèvent que l'éolien terrestre est "d'ores et déjà une filière mature et compétitive", avec un prix de 82 euros du mégawattheure. L'éolien en mer reste encore beaucoup plus cher - plus de 220 euros - tandis que le photovoltaïque culmine toujours entre 229 à 371 euros, même si on est redescendu de sommets de 580 euros du fait du tour de vis sur les tarifs d'achat.
La France, qui s'est engagée à atteindre 23% d'électricité renouvelable en 2020 (contre 13% l'an passé), reste l'un des pays les moins chers d'Europe pour l'électricité. Mais les sénateurs soulignent que la consommation étant plus élevée, la facture moyenne des ménages se retrouve gonflée par rapport à nos voisins (852 euros par an en 2005 contre 438 euros en moyenne dans l'Union européenne). Parmi les pistes avancées pour alléger les factures : les économies d'énergie, le stockage d'électricité et les réseaux intelligents.

Le rôle des acteurs locaux

Le rapport évoque aussi le rôle "essentiel" que peuvent jouer les collectivités dans la préparation de la transition énergétique. Il cite l'exemple de communes "pionnières" comme Montdidier, dans la Somme (6.205 habitants), qui a réussi en quatre ans, de 2004 à 2008, à stabiliser la consommation des clients domestiques de sa régie communale d'électricité et à réduire celle de ses propres équipements (baisse de 10% du coût de l'éclairage public sur 10 ans, économie de 985 MWh par an grâce à la réhabilitation thermique des écoles maternelles et élémentaires de la ville). Le rapport rend compte également des propositions des personnes auditionnées en faveur d'une réappropriation des politiques de l'électricité par les acteurs locaux. Maryse Arditi, pilote du réseau énergie de France Nature Environnement (FNE), a ainsi suggéré de "confier des pouvoirs réglementaires aux communes ou aux grandes intercommunalités sur un certain nombre de sujets. Barcelone ou Genève ont pu décider de refuser la construction de tout nouvel immeuble qui ne serait pas doté d'un chauffe-eau solaire thermique classique, bien évidemment, pas photovoltaïque. Aucune collectivité en France n'a le droit d'agir ainsi". Le Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler) a proposé de "redonner aux collectivités leur liberté en matière de gestion des réseaux de distribution d'électricité et de gaz en leur permettant de quitter les monopoles confiés à ERDF et GRDF, en particulier pour créer une entreprise locale de distribution". Jean Desessard avance, pour sa part, la possibilité de permettre aux collectivités, dans certains cas, de créer de nouvelles entreprises locales de distribution, en limitant cette possibilité à des structures à capital majoritairement ou entièrement public".
Les contributions des groupes politiques font état de divergences marquées sur la question du nucléaire. Le groupe écologiste affirme ainsi que le rapport prouve que le modèle électrique français est "à bout de souffle" tandis que le groupe UMP estime qu'il "confirme le caractère compétitif de l'électricité nucléaire". Quant au groupe socialiste (majoritaire), il considère qu'il s'agit d'une "contribution au grand débat national à venir sur l'énergie", "essentiel en ce qu'il contribue à renforcer la transparence sur un sujet particulièrement sensible", même "s'il ne partage pas la totalité du propos développé par le rapporteur". Le groupe CRC (communiste, républicain et citoyen) a également écrit une contribution. Sa représentante dans la commission, Mireille Schurch (Allier), est la seule à avoir voté contre le rapport, jugé "tout entier consacré à la justification de l'augmentation du coût de l'électricité ".