Salon des maires - Les collectivités dénoncent la "fracture électrique"
"L'ouverture du marché de l'électricité coïncide avec une dégradation du niveau de performance du service public, au détriment de l'égalité de traitement et de l'universalité de desserte." C'est le constat que fait la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) dans un livre blanc présenté le 24 novembre au Salon des maires. Les collectivités dénoncent la "baisse drastique" des investissements d'EDF dans les réseaux de distribution, "durant une large décennie (1995-2007)" afin de financer son développement international. La conséquence selon elles est "une spectaculaire dégradation de la qualité de l'électricité distribuée" aujourd'hui par ERDF, filiale d'EDF, qui se traduit notamment par une hausse du temps de coupure moyen par abonné et par an qui frôle les deux heures - 119 minutes exactement en 2010, avec des interruptions allant de 30 minutes en Ile-de-France à treize heures dans le Loir-et-Cher. Ces fortes disparités territoriales sont la marque d'une "véritable fracture électrique", dénonce la FNCCR qui note que la durée moyenne de coupure est actuellement 21,4% plus élevée que sur l'ensemble de la période 2005-2010. Aux coupures s'ajoutent aussi des chutes de tension ou microcoupures devenues plus fréquentes, pointe-t-elle. ERDF a contesté ces accusations en affirmant dans un communiqué avoir "stabilisé en 2010" le temps de coupure moyen, qui "devrait encore s'améliorer en 2011", grâce à un effort d'investissement de 2,8 milliards d'euros dans la modernisation du réseau, "soit près de deux fois plus qu'en 2005". "Depuis le début de l'année, le temps de coupure moyen d'électricité par client est en amélioration de 27% passant ainsi de 62,2 minutes en 2010 à 45,1 minutes en 2011", a assuré la filiale d'EDF.
Paris mieux servi que la Dordogne
Si ERDF a recommencé à investir dans les réseaux, reconnaît la FNCCR, "il faudra 8 à 10 ans d'efforts soutenus (3,7 milliards d'euros prévus en 2012) pour observer un redressement significatif de la qualité". La FNCCR juge aussi qu'avec la chute des investissements, la "péréquation interne opérée par ERDF dans le cadre de son monopole a cessé de produire les résultats escomptés" et elle est même "devenue fictive". "Malgré l'augmentation des contributions des collectivités locales et des pétitionnaires (raccordements...), la qualité du service rendu a diminué (...) dans des proportions différentes selon que l'on habite en milieu urbain ou rural", souligne-t-elle. En clair, si chaque habitant paye encore l'électricité au même tarif, il ne bénéficie pas du même service et "le kilowattheure de qualité est moins cher à Paris qu'en Dordogne", illustre la Fédération. Elle estime aussi qu'"ERDF abuse désormais de sa position monopolistique au détriment des autorités concédantes et des régies" et cite plusieurs exemples à l'appui : un projet de contrat de concession proposé à un syndicat d'énergie du sud de la France, jugé par trop favorable à la filiale d'EDF, des "carences graves" dans la gestion du contrat de concession de la ville de Paris pointées par la chambre régionale des comptes ou encore le fait que le médiateur de l'énergie ait observé que certains "dysfonctionnements" affectant les consommateurs ne donnent pas lieu à réparation.
Les collectivités concédantes pointent aussi deux sujets d'inquiétude pour les mois à venir. Le premier est d'ordre financier et concerne le Turpe (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité) payé par les consommateurs et calculé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour des périodes de 4 ans. Selon la FNCCR, il "se conjugue difficilement avec des objectifs de qualité à long terme" et "n'est pas dimensionné pour permettre des investissements qui iraient au-delà du simple renouvellement du réseau". Or, constate-t-elle, le déploiement en 2012 des nouveaux compteurs électriques Linky, non financé à ce jour, pourrait réduire significativement la part dévolue au redressement de la qualité dans le Turpe, d'autant qu'ERDF refuse de recourir à l'emprunt.
ERDF ou ELD : pouvoir choisir son opérateur public
Autre motif de préoccupation : la présentation par la Commission européenne le 13 décembre prochain d'un projet de directive qui pourrait conduire à la mise en concurrence des concessions de distribution - et fourniture - d'énergie. Le texte fragiliserait le monopole légal d'ERDF. Mais la FNCCR ne se dit pas favorable à la mise en concurrence des concessions de distribution d'électricité. Elle préconise simplement qu'en "dernier recours, après que toutes les procédures et négociations auprès de ERDF auront eu lieu, les collectivités concédantes aient le libre choix de leur opérateur public". Elle propose ainsi un "principe de réciprocité". En clair, une collectivité qui dispose d'une entreprise locale de distribution (ELD) d'électricité - il en existe 160 dans 2.500 communes - peut aujourd'hui choisir de confier le service public à ERDF si elle n'est pas satisfaite de celui de l'ELD. A l'inverse, il faudrait permettre aux collectivités, lorsqu'il est avéré qu'ERDF ne répond pas à un service public de qualité, de recourir à un opérateur public local. Un scénario de cette nature "devra intégrer l'évolution des salariés d'ERDF éventuellement concernés dont l'implication, le professionnalisme et l'attachement au service public sont reconnus", souligne la FNCCR qui plaide aussi pour l'instauration de "garde-fous" (agrément national valant garantie de performance du ou des opérateurs publics locaux potentiels, emprise territoriale significative assurant une "péréquation régionale" et évitant "un repli sur soi des zones structurellement profitables" tout en préservant les outils de péréquation nationaux). Dans cette perspective, poursuit la FNCCR, le volume du fonds de péréquation de l'électricité (FPE), qui mutualise les charges de fonctionnement d'ERDF et des ELD, "croîtrait sensiblement pour intégrer de manière transparente des mécanismes de solidarité entre réseaux aujourd'hui gérés en interne par ERDF".
Le livre blanc de la FNCCR propose aussi de renforcer les prérogatives des autorités concédantes et d'accroître le contrôle des collectivités car ce pouvoir est aujourd'hui "trop souvent contourné", estime-t-il. Les niveaux minimum de qualité doivent ainsi "être revus à la hausse" et les autorités organisatrices de la distribution être habilitées à recouvrer les pénalités "conformément à une loi de 2005 dont le décret d'application n'a toujours pas été publié sur ce point". Enfin, la FNCCR souhaite que les collectivités puissent créer et gérer directement des services publics locaux facultatifs de fourniture d'électricité qui coexisteraient avec des offres de marché. "S'il est indispensable de préserver pour les petits consommateurs les services publics locaux de fourniture d'électricité aux tarifs réglementés de vente, il convient aussi de ne pas laisser les consommateurs ayant souscrit des puissances plus importantes sans recours face à des opérateurs privés en concurrence qui sont loin d'avoir fait la preuve du rapport qualité-prix de leurs offres", argumente-t-elle.