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Finances locales - Cotisation foncière des petites entreprises : un dispositif à revoir d'urgence

Dans de nombreuses villes, les petites entreprises protestent contre les hausses, parfois vertigineuses, de la cotisation foncière dont elles doivent s'acquitter d'ici la mi-décembre. Assurant qu'il leur était difficile de prévoir les effets de la hausse de la cotisation minimum, les communautés concernées cherchent des solutions pratiques à court et long terme. La loi de finances rectificative de fin d'année pourrait apporter des réponses.

Des commerçants, des artisans et des professionnels libéraux manifestent leur colère dans de nombreuses villes en France. Certains se réunissent même devant l'hôtel de la communauté d'agglomération ou de la commune. La presse régionale et locale relate des manifestations, généralement de plusieurs dizaines voire centaines de personnes, dans de nombreuses villes comme Rodez, Pamiers, Dole, Saint-Brieuc, Montpellier, Lorient, Saint-Etienne, La Baule, Avignon ou Martigues. A l'origine de ces protestations, les avis d'imposition pour la cotisation foncière des entreprises - la CFE, l'une des deux taxes constitutives de la contribution économique territoriale, qui a remplacé la taxe professionnelle - que les entreprises concernées ont reçus ces derniers jours. Certains entrepreneurs n'en sont pas revenus : ils ont enregistré des hausses spectaculaires de leur taxe ("500%", voire "800%" selon eux).
Ces protestations ont pris, ce 19 novembre, une dimension nationale. Pas moins de trois confédérations patronales, la CGPME (petites et moyennes entreprises), l'UPA (artisans) et le Medef ont alerté le Premier ministre, qui a reçu leurs dirigeants à tour de rôle. "J'ai demandé à ce que le gouvernement regarde cela, même si c'est une décision des collectivités, des communes", a déclaré Jean-François Roubaud, président de la CGPME, à la sortie de son entretien. "Il est important que cette augmentation soit arrêtée et retirée", a-t-il ajouté. De son côté, Laurence Parisot a relevé que "le Premier ministre a bien reçu le message et a dit qu'il allait considérer cette question".
Les associations d'élus locaux ne sont pas restées insensibles aux coups de gueule des patrons et aux conséquences pour les collectivités. L'Association des maires de France (AMF) indique qu'elle fait remonter à Bercy "toutes les informations et propositions de réforme dont elle dispose". L'Assemblée des communautés de France (ADCF) fait savoir qu'elle "se mobilise" pour accompagner les communautés concernées.

Une "erreur" dès le début

Décidément, les suites de la réforme de la fiscalité directe locale n'en finissent pas de compliquer la vie des gouvernements. On se souvient de l'émotion suscitée en plein été 2010 lors de la révélation par Localtis du risque d'une envolée des montants de taxe d'habitation pour des centaines de milliers de contribuables, à taux d'imposition inchangés (lire notre article du 2 août 2010). Les taux d'abattements de taxe d'habitation étaient en cause. Le "bug" avait nécessité des ajustements lors de la discussion de la loi de finances pour 2011.
Avec la poussée de fièvre concernant la CFE, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault doit, lui aussi, mettre les mains dans les rouages fiscaux très compliqués mis en place après la suppression de la taxe professionnelle. En l'occurrence lors de la discussion de la loi de finances pour 2011. Il s'agissait pour le législateur d'instaurer au bénéfice des intercommunalités une ressource facultative leur permettant de pallier le manque à gagner fiscal engendré par la censure par le Conseil constitutionnel, fin 2009, du régime dérogatoire du calcul des bases de CFE des professions libérales. Jusqu'en 2011, la base de CFE fixée par le conseil de communauté, qui sert à fixer la cotisation, devait être comprise entre 200 et 2.000 euros. Avec la loi de finances pour 2011, la fourchette de base que les communes ou EPCI déterminent peut être différente en fonction des revenus des contribuables : lorsque le chiffre d'affaires ou les recettes hors taxes du contribuable sont inférieurs à 100.000 euros, le conseil municipal peut fixer la base de cette cotisation dans une fourchette de 203 euros à 2.030 euros. Pour les autres contribuables, la fourchette s'étend de 203 à 6.000 euros.
Le législateur a manifestement fait une erreur lorsqu'il a monté ce dispositif, estime Pascal Heymes, consultant en fiscalité locale. "L'erreur" était de "croire que seules les professions libérales étaient concernées par cette deuxième tranche de base jusqu'à 6.000 euros", indique-t-il sur son blog.

Des simulations impossibles ?

Comme la loi permettait de porter la cotisation minimale au plafond dès la première année, certaines communautés l'ont fait. 0r, "pour mesurer les implications de la mise en place de ce dispositif, les collectivités concernées n'ont disposé d'aucune simulation de l'administration fiscale", assure l'ADCF dans sa lettre hebdomadaire du 16 novembre 2012. "Par ailleurs, en l'absence de bases de données sur les chiffres d'affaires par catégorie de contribuables dans leur communauté, elles n'ont pas, non plus, été en mesure d'expérimenter les effets de leur décision sur leur territoire", indique l'association. Corroborant cette analyse, des présidents de communautés d'agglomération (Jean-Pierre Moure à Montpellier ou Yves Métaireau pour Cap Atlantique) ont témoigné des obstacles auxquels se sont heurtées leurs structures pour définir les conséquences de leurs décisions.
Ne pas avoir fait de simulations, c'est justement le reproche que le dirigeant de l'UPA, Jean Lardin, a fait à l'encontre des communautés à la sortie de son entretien avec le Premier ministre, ce 19 novembre. L'argument ne serait pas juste, estiment donc les communautés. Mais si l'on en croit Pascal Heymes, il ne serait pas totalement faux. Evoquant le cas particulier d'une communauté d'agglomération qui a pris en 2011 la décision de relever au plafond la base minimum de cotisation, il affirme que celle-ci "ne savait effectivement pas précisément le nombre de contribuables concernés par tranche (plus ou moins de 100.000 euros de chiffre d'affaires)". Mais elle "pouvait connaître, très précisément, à partir des fichiers des redevables transmis chaque année par les services fiscaux, le nombre et le secteur d'activité des contribuables qui étaient déjà à la cotisation minimale en 2010", analyse-t-il. Une donnée qui aurait dû conduire la communauté à la prudence et donc probablement à ne pas voter au plafond la base minimum, conclut-il.

Prendre en compte aussi les bénéfices des entreprises

Au-delà de ce débat, il est en tout cas un point qui pourrait mettre tout le monde d'accord : le dispositif mis en place dans la loi de finances pour 2011, qui repose sur le chiffre d'affaires, est bien inadapté. "La notion de chiffre d'affaires est liée à un volume d'activité, mais elle n'est pas représentative de la capacité contributive d'un contribuable. C'est le cas pour les activités commerciales qui peuvent avoir un chiffre d'affaires gonflé par un volume important de ventes mais qui n'est pas forcément représentatif de leur marge", pointe l'ADCF.
"Des aménagements pourraient conduire à définir un niveau d'imposition plafond ou de dégrèvement basé sur une assiette en relation avec les bénéfices de l'entreprise, son niveau de marge. De même, les collectivités devraient pouvoir disposer d'une faculté de moduler le dispositif d'imposition en cas d'anomalie importante", poursuit l'association. Des possibilités de modulation locale de la cotisation minimum de CFE existent déjà au profit des professionnels exerçant leur activité à temps partiel et pour ceux dont "le montant hors taxes des recettes ou du chiffre d'affaires est inférieur à 10.000 euros", selon une circulaire du 20 août 2012. On notera aussi que les auto-entrepreneurs ayant démarré leur activité en 2009 sont à nouveau exonérés de CFE en 2012, selon une récente décision gouvernementale (notre article du 12 novembre 2012).
Visiblement, tout cela est insuffisant. Les présidents de communautés ont été nombreux à saisir ces derniers jours les parlementaires pour les presser de réformer le dispositif. "Des modifications pourraient être apportées rapidement dans le cadre de la loi de finances rectificative", qui sera débattue en décembre au Parlement, estime l'ADCF.

Etalement des paiements

Les communautés qui auraient pris des délibérations en 2012 sur la cotisation minimum de CFE, en vue d'une application fiscale en 2013, ont encore la possibilité de revenir sur leur délibération d'ici le 31 décembre 2012. Pour celles qui ont pris une décision l'année dernière et qui veulent répondre à l'inquiétude des contribuables pour le montant de CFE de 2012, il n'existe a priori à ce jour qu'une solution : étudier avec l'administration fiscale un étalement des paiements.
Certaines communautés ont déjà annoncé qu'elles allaient revenir pour 2013 à l'ancienne base de la CFE. D'autres promettent un retour en arrière pour l'imposition au titre de 2012. A la communauté d'agglomération de Montpellier, ce sont 10 à 15 millions d'euros qui manqueront au budget en 2013 et qu'il faudra donc probablement trouver ailleurs. A la communauté Cap Atlantique (70.000 habitants autour de La Baule), ce sera 500.000 euros.
Lors du Congrès des maires de France, qui débute ce 20 novembre à Paris, la Direction générale des finances publiques devrait faire le point et annoncer ce qu'elle compte proposer.