Pouvoirs locaux - Contrôle de légalité : une modernisation efficace ?

Le contrôle de légalité qu'exerce le préfet sur les actes des collectivités territoriales a soulevé au cours des dernières années des interrogations sur son efficacité. L'Etat a entrepris des réformes de fond pour continuer à maintenir un contrôle digne de ce nom. Mais la forte réduction des effectifs des préfectures dans le cadre de la révision générale des politiques publiques continue à semer le doute. C'est dans ce contexte qu'un rapport de l'Etat, dont Localtis a eu copie, fait le point.

Un rapport de la direction générale des collectivités locales (DGCL), dont le Parlement vient d'obtenir la communication, dresse un bilan des évolutions que les préfectures et sous-préfectures ont connues dans l'exercice du contrôle de légalité, entre 2010 et 2012. Une période que le rapport qualifie comme "l'une des plus marquantes" pour cette mission de l'Etat, depuis qu'elle a été mise en place sous sa forme actuelle en 1982.
Engagée à la suite de la circulaire du 23 juillet 2009 sur la réorganisation du contrôle de légalité, la centralisation est achevée ou quasi achevée dans 76 préfectures, indique le rapport que Localtis s'est procuré. Dans 14 départements, cette centralisation est "partielle". Cela signifie que les sous-préfectures continuent d'exercer un contrôle dans un ou plusieurs domaines importants. Enfin dans 10 départements, la centralisation est "inachevée" : le contrôle relève encore majoritairement des sous-préfectures.
Les effets attendus de la concentration du contrôle en préfecture pour les premières préfectures l'ayant mise en place, sont au rendez-vous, qu'il s'agisse du renforcement de l'expertise, d'une homogénéisation des contrôles à l'échelle départementale, ou d'un plus grand ciblage. Cela n'a pas forcément été le cas dans les premiers mois de l'évolution des organisations. La centralisation du contrôle en préfecture "n'a pas conduit à un transfert en nombre des personnels des sous-préfectures vers les préfectures", explique le rapport. "Le renouvellement des équipes qui s'en est suivi a donc pu obérer les résultats (taux de contrôle des actes, taux de recours gracieux) dans certains départements, la formation des arrivants nécessitant plusieurs mois".
De leur côté, les résultats de la dématérialisation des actes des collectivités, au moyen de l'application Actes, dépassent les attentes. En 2012, 27,9% des actes devant être transmis ont emprunté le canal du numérique (pour un objectif fixé à 24%).

Forte réduction du nombre des agents affectés au contrôle

Les résultats des réformes sont "positifs" en dépit d'une importante réduction des effectifs, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). En 2012, le contrôle de légalité mobilisait 857 agents (683 dans les préfectures et 174 dans les sous-préfectures) contre 1.350 en 2008, soit une réduction de 36,5%. On notera qu'en plus, en 2012, les agents des sous-préfectures consacraient rarement la totalité de leur temps de travail à la sélection et au tri des actes soumis au contrôle de légalité. Par ailleurs, 292 agents des préfectures étaient affectés au contrôle budgétaire des collectivités territoriales en 2012, contre 490 quatre ans plus tôt.
Au total, les services préfectoraux ont été destinataires de 5,2 millions d'actes en 2012, de la part des quelque 56.000 entités du secteur public local soumises au contrôle de légalité. C'est à peu de choses près le chiffre constaté en 2010. Mais la tendance de fond est à une décrue sensible (8,3 millions d'actes transmis en 2004). De son côté, le nombre des actes contrôlés a sensiblement reculé. En 2010, un tiers des actes reçus ont été contrôlés. Deux ans plus tard, le contrôle n'a porté que sur un peu plus de 22% des actes reçus. Selon le rapport, "cette baisse est principalement la conséquence de la politique de plus en plus ciblée sur les actes prioritaires", c'est-à-dire les actes concernant trois domaines : la commande publique, l'urbanisme et la fonction publique territoriale. Le contrôle prioritaire n'aurait pas été délaissé. Un peu plus de 90% de ces actes étaient contrôlés en 2012, comme en 2010.

Baisse du nombre des recours gracieux

L'Etat s'est fixé comme objectif d'examiner pour 75% des actes prioritaires et pour 25% des actes considérés comme non prioritaires. Un contrôle demeure en effet sur ces derniers "pour des raisons constitutionnelles et d'engagement de la responsabilité de l'Etat". L'objectif a été "globalement atteint" sur ce point. Cependant, "la plupart [des préfectures] subordonne [le contrôle non prioritaire] au temps disponible éventuellement restant à l'issue du contrôle prioritaire". De plus, "une dizaine de préfectures indiquent ne pas l'effectuer faute d'effectif et de temps suffisants".
Pour cause d'ignorance des règles, ou dans un souci de sécurité juridique, des collectivités territoriales soumettent au contrôle de légalité des actes qui n'ont pas lieu d'être transmis. Ceux-ci pourraient représenter 5% de l'ensemble des actes transmis aux préfets, mais jusqu'à 35% "dans quelques départements". Selon le rapport, "la persistance de ce comportement consomme un temps précieux en traitement administratif pour les services des préfectures".
Les préfets ont été à l'origine de 29.507 recours gracieux en 2012, contre 40.493 en 2010, dans le but de signaler aux responsables des collectivités des irrégularités de forme ou de fond. Le nombre des recours gracieux ne semble rester stable que dans le domaine de la commande publique (environ 10.000 en 2012, comme en 2010). En 2012, les préfets ont déposé 804 déférés, contre 2.403 en 1994. Cette évolution témoigne de la prise en compte par les collectivités, en amont de leurs actes, du risque de leur éventuelle annulation, explique le rapport. Qui en conclut que "l'action contentieuse n'a pas été délaissée par les services préfectoraux". En cas de recours gracieux, les collectivités retirent leur acte dans 54% des cas. Les petites collectivités sont plus promptes à suivre les observations des préfets. Parallèlement, "la pratique des lettres d'observations ne valant pas recours gracieux se développe", indique le rapport. Sans conséquence juridique sur le plan contentieux, celles-ci attirent l'attention des collectivités sur certaines irrégularités de moindre importance, des faiblesses ou des risques juridiques.

Une mission de conseil appréciée

Simultanément à leur mission de contrôle, les préfectures exercent une mission de conseil auprès des collectivités, dont le poids est croissant. Il prend le plus souvent la forme de réponses à des sollicitations au téléphone sur des points techniques. Concernant cette activité de conseil, "les retours de la part des élus, en particulier des communes de petite taille, sont généralement positifs". Mais sa montée en charge "devrait amener les préfectures à "délimiter de façon raisonnable la délivrance de cette 'prestation de service' afin de ne pas l'accomplir au détriment du contrôle prioritaire. De plus, le rapport suggère que les centres de gestion apportent un conseil de premier niveau sur les questions relatives à la gestion des personnels. Les préfectures n'ayant alors à répondre qu'aux questions "les plus complexes" dans ce domaine.
Sur le plan des ressources humaines, le rapport précise que les agents chargés du contrôle de légalité bénéficient en moyenne de trois jours de formation par an. Mais il existe de fortes variations d'un département à un autre. "L'affectation d'agents de catégories A et B est vivement souhaitée par les préfectures, compte tenu de la technicité des matières", est-il par ailleurs indiqué.
Dans un rapport en janvier 2012, le sénateur (radical de gauche) Jacques Mézard, a jugé que le contrôle de légalité est devenu une "passoire" (lire notre article du 6 février 2012). "Des manquements importants au droit sont (…) passés entre les mailles du contrôle de légalité, leur repérage ayant échappé aux services préfectoraux", déplorait-il. Il mettait par ailleurs en exergue l'importance pour les petites communes de pouvoir bénéficier de conseils auprès des services préfectoraux. Le sénateur dénonçait les massives réductions d'effectifs des dernières années et l'insuffisance des agents de catégorie A dans les services dédiés au contrôle de légalité (19% seulement).

Thomas Beurey / Projets publics

Faire évoluer "Actes" vers une grande base de données pour le public ?
Le rapport de la DGCL suggère quelques aménagements pour améliorer le contrôle de légalité:
- supprimer l'obligation de transmission au préfet pour certains actes non essentiels (par exemple, la reprise de concessions funéraires abandonnées et le remplacement temporaire de fonctionnaires en congés maladie) ;
- étudier la possibilité pour les services déconcentrés (par exemple la direction des territoires) de recevoir directement les actes des collectivités, lorsque le contrôle est délégué par le préfet.
Une troisième piste constituerait une petite révolution, bien au-delà du contrôle de légalité. Dans le cadre de l'ouverture des données au plus grand nombre, il s'agit de transformer l'outil de télétransmission Actes en base de données des décisions des collectivités accessibles au public. T.B. / Projets publics