Commande publique - Contrat de mobilier urbain : quelle qualification juridique ?
La question de la qualification juridique du contrat de mobilier urbain a été tranchée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 15 mai 2013. Les enjeux de cette décision sont importants dans la mesure où le régime juridique applicable à la convention, notamment celui de la passation, découle de sa qualification contractuelle : pour la Haute Juridiction, le contrat de mobilier urbain est une convention d'occupation du domaine public, et non un marché public ou une délégation de service public (DSP). Par conséquent, l'absence de publicité et de mise en concurrence ne saurait rendre irrégulière la convention.
Dans les faits, une convention avait été conclue le 18 octobre 2005 entre la ville de Paris et la société JC Decaux pour l'installation et l'exploitation de mâts et de colonnes porte-affiches (colonnes Morris). Cette convention prévoyait une affectation culturelle de ces mobiliers par le biais d'affichages de programmes de théâtres, cirques et films d'art.
Saisi par une société évincée, le tribunal administratif de Paris a annulé la délibération du Conseil de Paris autorisant son maire à signer la convention avec la société JC Decaux. Cette dernière devait être regardée comme une DSP, pour laquelle la ville n'avait pas respecté la procédure de publicité et de mise en concurrence prévues aux articles L.1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), ont estimé les juges de première instance.
La ville de Paris conteste alors ce jugement devant la Cour d'appel de Paris. Laquelle, contrairement au tribunal, écarte la qualification de DSP pour retenir celle de marché public. Saisi du pourvoi de la ville de Paris, le Conseil d'Etat a enfin validé l'interprétation de celle-ci, qui soutenait pour sa part qu'il s'agissait d'une convention d'occupation du domaine public.
La décision du Conseil d'Etat se veut pédagogique en détaillant les raisons pour lesquelles la convention litigieuse ne peut être qualifiée de marché public ou de DSP, "clarifiant ainsi le droit en matière de mobilier urbain", estime la Ville de Paris dans un communiqué de presse du 16 mai 2013.
Dans un premier temps, la Haute Juridiction considère que la convention n'est pas un marché public. En effet, la convention en cause n'a pas été conclue pour répondre aux besoins de la ville en matière de travaux, fournitures ou services conformément à l'article 1er du Code des marchés publics (CMP), qui définit le marché public. Au contraire, elle a été conclue pour répondre à un intérêt général s'attachant à la promotion des activités culturelles de la ville dans le respect de dispositions légales qui prévoient que les colonnes et mâts porte-affiches sont exclusivement destinés à recevoir l'annonce de spectacles ou de manifestations culturelles, économiques, sociales ou sportives (loi du 29 décembre 1979). Aucune prestation n'a donc été réalisée par la société. De plus, même si ce motif suffit à écarter la qualification de marché public, souligne la Haute Cour, la convention "ne peut être regardée comme comportant un prix payé par la ville à son cocontractant". Il s'agit bien d'une redevance d'occupation du domaine public proportionnelle au chiffre d'affaires de la société au titre de l'exploitation publicitaire. Aucun abandon de redevance domaniale ni des recettes publicitaires n'ont été effectués par la ville au profit de la société.
Le Conseil d'Etat a ensuite jugé que la convention n'était pas une DSP. La ville de Paris n'a pas entendu créer un service public de l'information culturelle mais seulement permettre une promotion de la vie culturelle de Paris. Pour la Haute Cour, il s'agit ainsi d'une convention d'occupation du domaine public ayant pour seul objet l'occupation d'une dépendance domaniale, bien que l'occupant soit un opérateur sur un marché concurrentiel. Dans le cadre d'une convention d'occupation du domaine public, il n'existe aucune obligation de mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence même si l'autorité gestionnaire du domaine a la possibilité de le faire "afin de susciter des offres concurrentes".
L'Apasp
Référence: Conseil d'Etat, 15 mai 2013,n°364593 ; Communiqué de presse de la Mairie de Paris du 16 mai 2013; Conseil d'Etat, 4 novembre 2005, n°247298
Tout contrat de mobilier urbain n'est pas une convention d'occupation du domaine public.
Dans un arrêt d'assemblée du 4 novembre 2005, le Conseil d'Etat avait qualifié un contrat de mobilier urbain de marché public. Il s'agissait d'une convention passée entre la ville de Villetaneuse et la société JC Decaux pour la fourniture, l'installation et l'entretien sur le domaine public d'éléments de mobiliers urbains.
Contrairement à l'arrêt du 15 mai 2013, le Conseil d'Etat avait jugé que l'objet du contrat entrait dans le champ d'application de l'article 1er du CMP. En l'occurrence, tous les éléments constituant un marché public étaient présents : des besoins exprimés et définis par la ville, des prestations réalisées par la société privée pour y répondre, ainsi qu'une rémunération pour contrepartie. Par ailleurs, la décision avait innové en précisant que le critère onéreux, nécessaire à la qualification de marché public, n'est pas obligatoirement constitué par le versement d'un prix. En effet, en contrepartie des prestations, la ville avait autorisé la société à exploiter à titre exclusif une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l'avait exonérée de redevance pour occupation du domaine public. Autrement dit, il y avait abandon des recettes publicitaires et de la redevance domaniale par la ville au profit de la société.
Comme l'avait souligné l'avocat de la ville de Paris en séance publique le 24 avril 2013, une des conditions permettant de qualifier la convention litigieuse en marché public faisait défaut, par rapport à ce qu'avait décidé l'Assemblée du contentieux en novembre 2005. Ce raisonnement a été suivi par la Haute Juridiction le 15 mai 2013, qui a considéré notamment que l'objet de la convention ne rentrait pas dans le champ d'application de l'article 1er du CMP, étant donné l'absence de prestations.