Société de l'information - Conseil national du numérique : un énième "comité des sages" ?
L'internet n'est pas le "far web". En conséquence, "le Conseil national du numérique (CNN) a pour vocation d'être, non pas un régulateur, mais un lieu d'expertises où les pouvoirs publics peuvent entendre la voix des acteurs du numérique", essentiellement dans leurs dimensions économique et internationale : telle est, sans surprise, le principal enseignement du rapport remis par Pierre Kosciusko-Morizet, ce 25 février, à Eric Besson, ministre de l'Industrie.
Missionné le 20 janvier dernier, le créateur du site PriceMinister.com et président de l'Association de l'économie numérique (Acsel) a rendu ses conclusions au pas de charge, le président de la République voulant une création effective du CNN d'ici le printemps. Pourtant, le projet ne date pas d'hier. Dès fin mai 2008, à l'issue des Assises nationales du numérique, le plan France Numérique 2012 prévoyait la mise en place de cette instance. Le CNN était appelé à regrouper les attributions du Comité de la télématique anonyme (CTA), du Conseil supérieur de la télématique (CST), du Forum des droits sur l'internet (FDI), du Conseil consultatif de l'internet (CCI), du Conseil stratégique des technologies de l'information (CSTI) et du Comité de coordination de sciences et technologies de l'information et de la communication (CCSTIC), suite aux recommandations de la Commission Attali. Les discussions engagées durant deux ans, sous l'égide de Nathalie Kosciusko-Morizet (la sœur de Pierre), alors première secrétaire d'Etat à l'Economie numérique du gouvernement Fillon, avec les acteurs n'ont cependant pas permis la création du CNN "en raison d'une divergence des acteurs", notamment du Forum des droits sur l'Internet, quant "aux missions, à la composition et au mode de financement de la structure".
La consultation publique, sur laquelle Pierre Kosciusko-Morizet appuie le présent rapport, a recueilli moins d'une centaine de contributions, et parmi celles-ci, une seulement émanant d'une association représentative des collectivités territoriales (celle de l'Assemblée des départements de France). En revanche, la plupart des grandes fédérations professionnelles ont bien répondu présentes.
Le CNN devrait bien comprendre des acteurs provenant de toute la chaîne construisant le numérique (utilisateur, opérateur, équipementier, intermédiaire, fournisseur de contenus, acteur du commerce électronique…) mais aussi des membres du Parlement, sénateurs et députés de tous bords politiques. La dimension territoriale de certains sujets numériques nationaux pourrait ainsi probablement passer par la voix de ces parlementaires, lesquels exercent souvent des mandats locaux.
Ni médiation, ni charte de bonne conduite
Côté fonctionnement, les premiers membres seraient nommés pour un mandat de deux ans, renouvelable une seule fois. "Etre membre du Conseil national du numérique sera une fonction importante et nécessitera un fort investissement personnel, humain et en temps", prévient Pierre Kosciusko-Morizet, qui souligne ne pas être candidat. Le secrétariat permanent de l'instance serait assuré par 3 ou 4 personnes rattachées, financièrement, au budget des services du Premier ministre.
En fin d'année, le CNN devrait adresser ses recommandations aux pouvoirs publics - Premier ministre et Parlement - sous forme de propositions en faveur du développement de la politique numérique dans une vision prospective. Puis il pourrait évaluer, d'année en année, la portée de ses avis. Le Conseil devrait être systématiquement consulté par le gouvernement sur tout projet de texte (avant-projet de loi, projet de texte réglementaire, etc.) relatif au secteur, "le plus en amont possible". Il pourrait s'autosaisir sur tous les sujets TIC ou être saisi par tous les parlementaires, les fédérations professionnelles ou toute autre structure. Deux missions sont cependant écartées de son périmètre : la médiation des différends pouvant naître sur l'internet et l'élaboration et le contrôle des chartes de bonne conduite ou de tout engagement de nature déontologique.
Depuis l'explosion de l'internet grand public en 1996, de nombreux rapports avaient préconisé la création de cette structure baptisée successivement, et en fonction des sensibilités : Comité des services en ligne, Conseil de l'Internet, structure de droit privé d'autorégulation inspirée du Bureau de vérification de la publicité (BVP), Agence de régulation de l'Internet, Forum des droits sur l'internet, Conseil consultatif de l'internet, commission administrative, Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne, forum numérique pour la co-régulation de l'internet, Commission nationale de déontologie du numérique… Il semble que le gouvernement s'achemine vers un énième "comité des sages" qui s'ajoutera aux instances de régulation déjà existantes : Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de régulation des communications électroniques et postales, Commission nationale à l'informatique et aux libertés, Autorité de régulation des jeux en ligne, Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, etc. La commission Attali n'y retrouvera pas ses petits !