Congrès des maires – Michel Barnier : souplesse sur le volet institutionnel, statu quo sur les finances
Le Premier ministre est intervenu ce jeudi 21 novembre en clôture du Congrès des maires. Avec plusieurs annonces, confirmations ou intentions devant permettre, comme le demandent les élus, de "libérer davantage le potentiel" des communes. Deux maîtres-mots : souplesse et simplification. Sur le projet de loi de finances en revanche, pas de changement de ligne. Hormis le fait que "fonds de précaution" ne rimera plus avec péréquation.
Assis au premier rang du grand auditorium de la porte de Versailles ce jeudi 21 novembre après-midi, entouré de plusieurs de ses ministres, Michel Barnier avait écouté l'ensemble de la séance de clôture de ce 106e congrès des maires : la lecture par André Laignel de la longue "résolution générale" adoptée le matin même à l'unanimité par le bureau de l'Association des maires de France (AMF), puis la non moins longue intervention de David Lisnard, le président de l'association. En montant à son tour à la tribune, le Premier ministre avait donc une image assez complète de l'état d'esprit qui avait prévalu durant ces trois jours de débats et des principales demandes portées par l'AMF. Il a d'ailleurs d'emblée dit partager certains de leurs constats. "Je n'ai pas été choqué par ce que vous avez dit l'un et l'autre", a-t-il du moins déclaré.
Quant aux réponses qu'il a pu y apporter, les choses pourraient se résumer ainsi : plusieurs ouvertures relativement compatibles avec les attentes de l'AMF sur le volet "organisation, gouvernance et gestion locale", mais pas ou presque pas d'annonce nouvelle sur le volet budgétaire, celui-là même qui constitue, le chef du gouvernement le sait bien, le grand point de crispation du moment. Le tout avec une sérieuse constance, pour ne pas dire ressemblance, par rapport au discours qu'il avait prononcé six jours plus tôt devant les élus départementaux (voir notre article). Et en tout cas avec la même accroche : "J'ai bien fait de venir…"
En écho direct aux propos des deux représentants de l'AMF, Michel Barnier a donné aux milliers d'élus venus l'écouter le fil rouge de sa vision en faveur des communes et des maires : "Renverser ce sentiment d'être sous tutelle, d'être devenus, malgré la décentralisation, des sous-traitants de l'Etat". Là-dessus il visait juste. David Lisnard avait en effet, comme à son accoutumée, beaucoup parlé, exemples concrets à l'appui, de cet "enchevêtrement de contraintes, de normes", qui "agacent" et empêchent d'agir. Et avait livré son plaidoyer pour "la promotion des libertés locales" par "la subsidiarité ascendante". Tout comme André Laignel, le premier vice-président délégué de l'AMF, avait fustigé "l'inflation des normes, des dotations fléchées, des appels à projets", le poids de la "technocratie", et avait appelé l'Etat à "décoloniser nos collectivités" (référence au rapport "Décoloniser la province" signé Michel Rocard en… 1966). "Plus l’État perd ses moyens d’agir, d’accompagner et de se projeter, plus les contraintes qu’il impose sont nombreuses", peut-on lire dans la résolution générale, qui clame la nécessaire "liberté d'action des communes".
Afin de "libérer davantage le potentiel" de la commune, Michel Barnier pose "trois conditions" : "davantage de liberté de faire, de choisir" ; "une vie quotidienne plus simple pour les élus" ; "des moyens d'action budgétaire". Trois axes qu'il a détaillés avec, à la clef, un certain nombre de mesures. Ou du moins d'intentions, reconnaissant lui-même que son séjour à Matignon, théoriquement de deux ans et demi, peut être écourté à tout moment.
"Plus de liberté"
Donner davantage de liberté aux collectivités implique, selon le chef du gouvernement, un "changement dans la façon de faire la loi" : il faut "adapter les lois", "territorialiser" l'action publique "là où la situation est différente", "admettre que la règle peut être adaptée" par les collectivités elles-mêmes. Ce qui implique "des lois moins bavardes", un recours à la norme "uniquement lorsque c'est nécessaire". Y compris s'agissant de la surtranspositions de directives européennes, pour lesquelles il faudra "regarder texte par texte", a-t-il dit. Le nom de Michel Barnier s'ajoutera ainsi à la longue liste des Premiers ministres ayant un jour assuré devant les maires vouloir "mettre un terme à l'inflation normative"... et "donner une substance au pouvoir réglementaire local". Il a, toutefois, évoqué quatre dispositions concrètes :
- Lois – Une circulaire sera signée "avant la fin de l'année" visant à "faire la chasse aux lois trop bavardes" (celles-ci seront "renvoyées" à leurs auteurs…) et à privilégier "les lois d'orientation, les lois-cadre".
- CNEN – Le rôle du Conseil national d'évaluation des normes sera renforcé afin d'en faire un véritable "organe de vérification". Et ce, "bien en amont" de la rédaction des textes, dans un esprit de "conception partagée". On relèvera que dans sa résolution finale, l'AMF souhaite quant à elle une fusion du comité des finances locales (CFL) et du CNEN.
- Etudes d'impact – Toutes les études d'impact devront comprendre un volet spécifique dédié à l'impact sur les collectivités.
- Stock – Quand on parle de normes, on parle aussi souvent très vite de "flux" et de "stock". Michel Barnier ne l'a pas oublié et entend mener "avec le Conseil d'Etat" une "évaluation et simplification du stock des normes", par exemple dans les domaines de l'environnement et de l'urbanisme. "Ce travail débutera dès la fin de l'année", a-t-il assuré.
Le Premier ministre a ensuite souhaité fournir "quatre exemples" de "domaines dans lesquels cette liberté des communes pourrait mieux s'exercer". Des exemples qui, certes, n'étaient guère des surprises.
- Eau et assainissement – Il a confirmé son annonce faite début octobre, celle de la fin de l'obligation du transfert de la compétence eau et assainissement à l'intercommunalité. Tout en redisant qu'il ne s'agit pas de revenir sur les transferts déjà engagés. Et en incitant à la prudence des communes qui voudraient assurer seules cette compétence. "Nous attendons maintenant la traduction législative" de cette décision, avait auparavant dit David Lisnard.
- ZAN (voir notre dossier)– Comme il l'avait fait savoir la veille au Sénat lors de la séance des questions au gouvernement, Michel Barnier a redit que, sans "abandonner l'objectif" posé par la loi Climat et résilience, la façon d'atteindre cet objectif sera "adaptée", que ce soit "pour la construction de logements ou pour l'économie". Deux étapes sont envisagées : tout d'abord, adapter "tout ce qui est possible par voie réglementaire". Entre autres pour faire en sorte que "le pavillonnaire ne soit plus considéré comme de la surface artificialisée". "Dans un second temps, en lien avec le Sénat" et donc sur la base de la proposition de loi Cambier-Blanc, la loi "sera modifiée". Il s'agira notamment d'"inverser la pyramide" afin de "partir du terrain", et de privilégier les "trajectoires" aux "dates couperet" : "chaque territoire doit définir un rythme crédible". Objectif : que le futur cadre législatif "soit applicable dès début 2025".
- Prévention des risques – Le 3e plan national d'adaptation au changement climatique (présenté fin octobre – voir notre article) acterait le fait que "les maires sont les mieux placés, avec les préfets, en matière de prévention" (on relèvera que deux jours plus tôt justement, dans le cadre du Salon des maires, la ministre Agnès Pannier Runacher avait lancé un "guichet unique" pour aider les collectivités dans leurs démarches). Michel Barnier a par ailleurs évoqué sa volonté d'avancer sur la problématique de l'assurance et réassurance des collectivités face aux risques majeurs.
- "Sécurité au quotidien" – "Les maires doivent être associés aux plans départementaux de restauration de la sécurité du quotidien" (évoqués fin octobre par Bruno Retailleau). Michel Barnier a en outre souligné qu'il faudra "travailler à la rénovation du cadre juridique des polices municipales" et que cela constituera l'un des éléments du "Beauvau des polices municipales" précisément relancé le matin même dans le cadre du congrès des maires (voir notre article de ce jour).
"Une vie d'élu plus simple"
- Statut de l'élu – "Afin de protéger le rôle que vous jouez, nous allons remettre en chantier le statut de l'élu", a confirmé Michel Barnier devant les maires. Ceci, comme l'avait laissé entendre l'intéressée la veille au congrès (voir notre article), "sur la base de la proposition de loi Gatel". Ce texte sera discuté par l'Assemblée nationale en février prochain, a-t-il précisé ; et sera enrichi par des "dispositions complémentaires" issus des travaux Spillebout-Jumel. Le tout devant "consacrer le statut de l'élu, qui figurera en tête du Code général des collectivités territoriales".
Le Premier ministre a par ailleurs évoqué deux questions. D'une part, la possibilité de "réfléchir à une extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1.000 habitants", se disant "prêt à des évolutions" là-dessus. D'autre part, il se dit là encore "ouvert", comme il l'avait déjà fait savoir aux élus départementaux, à "une réflexion pluraliste" sur le cumul des mandats, dans l'hypothèse où cela permettrait de "rapprocher les élus nationaux" du terrain.
- Débloquer les projets – Michel Barnier a acté le lancement de "France simplification" (un service de la Direction interministérielle de la transformation publique) et a indiqué avoir, comme prévu dans sa circulaire du 28 octobre (voir notre article), fait remonter, via les préfets, 50 projets locaux "bloqués", le plus souvent pour des raisons de procédures. Il s'agit de "les regarder méthodiquement" afin, donc, de les "débloquer". Une dynamique appelée à se poursuivre, a-t-il dit, citant de premiers exemples. La DITP a, dans la foulée, diffusé un communiqué détaillant le dispositif et présentant elle aussi ces premiers cas d'école.
- Préfet – Dans le même esprit, le Premier ministre entend "assouplir le pouvoir dérogatoire du préfet" et "créer un régime de dérogation juridique". Il a par ailleurs préparé, avec Michel Cadot, un décret devant paraître "dans quelques jours" visant à "renforcer le pouvoir des préfets de département".
- Dotations – Il est prévu de "fusionner les dotations de soutien à l'investissement dans un fonds territoires", de créer un "guichet unique" permettant aux élus de n'avoir plus qu'un seul dossier à déposer pour leurs projets, d'"harmonier les calendriers pour les demandes de subventions" et de sanctuariser la DETR.
Les moyens budgétaires
Michel Barnier a certes parlé de "marges de manœuvres renforcées" au niveau financier et déclaré : "Je sais vos inquiétudes". Sauf qu'il avait en préambule évoqué "l'extrême urgence" liée à la "situation budgétaire du pays" liée à une dette de 3.280 milliards d'euros générant 60 milliards d'intérêts, soit 870 euros par Français. Pas question donc de renoncer au fameux "effort". L'enjeu étant uniquement de le rendre "le plus juste possible". Les éléments de langage du gouvernement sont connus : un projet de loi de finances préparé "en deux semaines" et donc "pas parfait", "des points à revoir" et "des discussions qui se poursuivent au Sénat", avec des "amendements complémentaires en vue".
Sur le volet finances locales de ce PLF, seuls trois points ont été évoqués par le Premier ministre, dont au moins deux déjà connus parce qu'annoncés la semaine dernière lors des Assises des départements :
- Le fait que la disposition concernant le FCTVA ne sera pas rétroactive.
- Le lissage sur quatre ans et non plus sur trois de la hausse des cotisations employeurs à la CNRACL.
- Enfin, concernant le fonds de précaution prévu à l'article 64 du PLF, comme l'avait plus ou moins laissé entendre le ministre du Budget la veille au Sénat, Michel Barnier a fait savoir que ce fonds "ne sera pas utilisé pour de la péréquation". Nombre d'élus s'interrogeaient quant au devenir des sommes prélevées sur les plus grandes collectivités : à qui et comment ces sommes seraient-elles redistribuées sur les années suivantes ? (par tiers les trois années suivantes, du moins tel que cela a jusqu'ici été prévu) Les mécanismes proposés avaient été jugés illisibles et injustes, le gouvernement mettant pour sa part en avant une "logique de solidarité". La logique a donc visiblement changé : "Nous allons inscrire le fait que les sommes prélevées seront restituées à la collectivité contributrice", a déclaré Michel Barnier. Ce fonds prendrait donc finalement en quelque sorte la simple forme d'une épargne forcée ?
L'AMF n'a pas immédiatement réagi aux propos de Michel Barnier. Parmi les présidents d'associations d'élus du bloc local - qui, la veille, avaient avec David Lisnard présenté une motion commune (voir notre article) contre les dispositions du PLF -, Sébastien Martin, le président d'Intercommunalités de France, a de son côté regretté qu'il n'y ait "rien de nouveau sur les sujets financiers". "L'ouverture exprimée par Michel Barnier sur les sujets liés à la simplification ou au statut de l'élu ne changent rien au montant de la facture pour les collectivités", juge-t-il, déclarant en outre : "La ressource en eau et la lutte contre l'artificialisation des sols ne sont pas une monnaie d'échange."
Au-delà même du PLF, du côté de l'AMF, on constatera certainement que si les orientations de Michel Barnier sont globalement plutôt congruentes, une bonne part des vœux formulés par la résolution générale du congrès vont devoir attendre encore un peu. Parmi ces vœux, on citera :
- Tenir "une concertation nationale sur la répartition des compétences et des financements entre l’État et les collectivités" ;
- Suspendre les "normes supplémentaires sur les équipements municipaux" (Michel Barnier ne va pas aussi loin) ;
- "Disposer d’une véritable autonomie fiscale" et réfléchir à une "contribution territoriale universelle sans augmenter le niveau global des prélèvements obligatoires" ;
- Instaurer "un document, spécifique et obligatoire annexé à la loi de finance, permettant une vision exhaustive des ressources et des flux financiers sur une année :
- Supprimer définitivement le déféré préfectoral ;
- Lutter contre toute "dérive intercommunale" ;
- Consacrer la commune dans la Constitution.