Congrès des maires – "Nous ne voulons plus être flattés au congrès et tapés au budget"
L'Association des maires de France avait prévenu : son 106e congrès serait celui de la "colère". Le débat d'orientation générale, ce 19 novembre, ne l'a pas démenti. Si les dispositions contenues dans le projet de loi de finances cristallisent l'exaspération et incitent certains maires à vouloir multiplier les actions de protestation, les racines du mécontentement sont plus anciennes : les transferts de charges, les empêchements administratifs et les normes, la recentralisation financière...
Le traditionnel "débat d'orientation générale", ce mardi 19 novembre en fin d'après-midi, n'arrivait pas en terrain vierge, loin de là. Les représentants de l'Association des maires de France (AMF) avaient de longue date prévenu que ce 106e Congrès des maires serait celui de la "colère" (voir notre article du 12 novembre). Et l'on savait l'ire déjà suscitée par le projet de loi de finances (PLF) chez toutes les associations d'élus locaux ayant tenu leur congrès cet automne.
Et puis ce mardi à la porte de Versailles, on avait eu en fin de matinée une conférence de presse consacrée à l'enjeu des finances locales ayant déjà largement dit les choses (voir notre article de ce jour)… ainsi que, peu après, un "rassemblement exceptionnel" sous forme de happening symbolique : une foule de maires réunis pour une photo de groupe, ceints d'une écharpe noire recouvrant leur écharpe tricolore en protestation aux mesures financières prévues par le gouvernement (voir photo sur X / Twitter). "Nous sommes 5.000", s'était réjoui David Lisnard, le président de l'AMF, devant le parterre d'élus. "J'avais annoncé que si on continuait année après année à être méprisés, les prochains Gilets jaunes seraient en écharpe tricolore. Aujourd'hui nos écharpes tricolores sont recouvertes de noir pour montrer que la mort des communes serait également la fin de l'Etat et la fin de la nation", avait-il lancé.
Après cela, la tonalité des interventions de David Lisnard et d'André Laignel, le premier vice-président de l'association, devant les congressistes remplissant le grand auditorium ne pouvait qu'être grave. Certes, c'est un peu le cas chaque année. Mais selon les deux élus, la situation serait désormais plus critique que jamais. "Les communes sont aujourd'hui à la croisée des chemins", a posé le premier. "Le pouvoir d'agir, titre de notre congrès d'il y a deux ans, a reculé" et "la République menacée" (intitulé du congrès de l'an dernier) serait en train de "vaciller", assure le second, répétant que "la loi de finances pour 2025 est la plus mauvaise de toute l'histoire des collectivités depuis que celles-ci disposent d'un budget".
"Ce sont les problèmes qui sont répétitifs"
Les deux élus n'ont certes pas oublié le thème choisi pour cette 106e édition : "Les communes… heureusement !" Heureusement, par exemple, a listé David Lisnard, que les communes ont récemment été là pour "intégrer la problématique des risques majeurs", ont "su organiser les élections législatives" en toute hâte ("On s'en serait bien passés", glisse-t-il), ont "fait fonctionner les services publics malgré 51 jours de vacance du pouvoir" ("un record"), ont joué la carte olympique en s'impliquant dans Terres de jeux... Et bien plus encore.
"Heureusement", aussi, que l'AMF a su se faire entendre, a-t-il énuméré, sur France Ruralités Revitalisation (FRR, ex-ZRR), sur les secrétaires de mairie, sur les sanctions concernant les agressions contre les élus… Sans oublier l'avancée finalement obtenue concernant la compétence eau et assainissement (voir notre article du 18 octobre). Muriel Fabre, la secrétaire générale de l'association, avait auparavant cité d'autres chevaux de bataille concluants de l'AMF : le dossier de la présence postale, celui du foncier (et donc aussi du ZAN – voir notre article de ce jour), l'assurabilité des communes, le statut de l'élu…
"Selon certains, l'AMF serait trop revendicative et répétitive", dit entendre David Lisnard. Or, "on le sera encore, la répétition peut être raison" et "ce sont les problèmes qui sont répétitifs", prévient-il. "On n'a pas besoin d'annonces grandiloquentes, on veut juste pouvoir travailler" et "défendre une vision de l'intérêt général", poursuit-il. Et "nous ne voulons plus être flattés au congrès et tapés au budget". Applaudissements dans la salle.
Des transferts n'ayant pas dit leur nom
Avant même le PLF pour 2025, l'Etat aurait largement "tapé dans les caisses" des communes ces dernières années via des transferts de charges n'ayant pas dit leur nom. Des transferts de charges "sournois", sans décentralisation. Et le président de l'AMF de donner en exemple la petite enfance, les AESH, l'entretien des digues, "le co-financement du ferroviaire", La Poste, la Gemapi (y compris prévention des risques majeurs, trait de côte…), les maisons France Services… ou encore la police municipale, qui représente la plus forte hausse d'effectifs de la fonction publique territoriale mais ne serait qu'une réponse aux carences de l'Etat.
Et à tout cela s'ajoute la fameuse multiplication des normes générant un "gâchis de temps, d'argent et de nerfs", souligne David Lisnard, relevant que le volume du Code général des collectivités territoriales "a été multiplié par trois en vingt ans" et illustrant son propos par une kyrielle d'"absurdités technocratiques" qu'il compte, dit-il, réunir dans un "livre noir". Les projets bloqués pendant des années faute d'autorisations des Dreal y figureront apparemment en bonne place.
C'est bien dans ce contexte de charges accrues et imposées que l'actuel gouvernement demande aujourd'hui aux collectivités de "contribuer à l'effort, comme si on était des gamins", lance le maire de Cannes, tout en insistant sur le fait que les maires "ne défendent pas la dépense inconsidérée" et sont déjà nombreux à avoir pris des mesures en matière, notamment, de maîtrise de la masse salariale.
Effet domino
Cette contribution à "l'effort" de réduction de la dépense publique prévue par le PLF, on la connaît : 5 milliards d'euros, dont 3 milliards reposant sur un prélèvement de 2% sur les recettes de fonctionnement des 450 plus grandes collectivités, auxquels s'ajoutent un gel de la TVA et une réduction de l'assiette et du taux du FCTVA. Mais comme il a déjà eu l'occasion de le dire, André Laignel compte les choses autrement et parle d'un "mensonge d'Etat" : selon lui, l'effort demandé serait en réalité de 11 milliards (-1,5 milliard de fonds vert, -500 millions sur la mission outre-mer, etc.).
Le maire d'Issoudun et président du Comité des finances locales (CFL) souligne en outre que le "fonds de précaution" de 3 milliards touchera en réalité "toutes les communes", si ce n'est à travers leurs intercommunalités, du moins "par ricochet" du fait d'un moindre soutien des départements et régions (un effet domino largement évoqué la semaine dernière par les départements eux-mêmes lors de leurs Assises). Or, rappelle-t-il encore et encore, "la dette des collectivités est mineure" : 200 milliards, contre 3.200 milliards pour l'Etat. Et la principale conséquence, à dix-huit mois de la fin du mandat municipal, sera bien le renoncement à nombre de projets d'investissement… et donc, in fine, un "risque d'entrer en récession".
Et André Laignel de souligner qu'à la "recentralisation administrative" qu'il fustige (pêle-mêle : ZAN, urbanisme, "fléchages" à outrance, "supracommunalité"…) s'est ajoutée une "recentralisation financière" (suppression de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation, de la CVAE) ayant conduit à ce que les communes n'aient plus, au-delà du foncier bâti, "aucune ressource fiscale". Celles-ci seraient donc pieds et poings liés. Tout comme David Lisnard, il s'interroge d'ailleurs : ne serait-il pas temps d'"interpeller vigoureusement le Conseil constitutionnel" dans la mesure où "l'article 72 sur la libre administration des collectivités n'est plus respecté par l'Etat" ? Le président de l'AMF sait que la jurisprudence n'est pas favorable aux collectivités (elle ne l'avait pas été, par exemple, pour les contrats de Cahors) mais pense que la "faille juridique" peut être trouvée.
"Mobilisation durable"
Au-delà de l'abandon des mesures financières contenues dans le PLF, David Lisnard indique vouloir "proposer des mesures simples au gouvernement" : que l'Etat "se recentre sur ses missions propres", que l'Etat déconcentré se rassemble en un "guichet unique autour des préfets", que soient supprimées la plupart des autorisations préalables, que la durée des autorisations d'urbanisme soit allongée, que le Parlement s'oblige à "défaire des lois", que soit initiée une réelle "capacité d'adaptation" pour les territoires, que soit instauré "un moratoire immédiat sur les nouvelles normes", que l'on arrête "tout transfert de charges obligatoires", que soit privilégié le principe de "subsidiarité ascendante"… Simples, vraiment ?
En attendant, l'AMF compte bien, dit André Laignel, faire de ce congrès "le début d'une mobilisation durable" : "Nous devons préparer les prochaines étapes de cette mobilisation". Les échanges avec la salle ont d'ailleurs montré que certains maires voudraient monter d'un cran. "Il faut qu'on ait des actions fortes, nous sommes trop mous ; fermons nos mairies pendant quinze jours et là les gens réagiront", a par exemple clamé le maire de Limonest (métropole de Lyon). Mentionnant le fait que le maire de Verdun, Samuel Hazard, a récemment lancé un appel à la démission générale, le maire d'un petit village de Meurthe-et-Moselle a pour sa part émis une autre idée : "Et si on votait nos budgets en déséquilibre ? En demandant à l'Etat de combler. Ne serait-ce pas un élément de négociation ?" David Lisnard a toutefois préféré rester prudent : "Oui, il faut trouver des solutions de protestation", mais auxquelles de nombreux maires seront réellement prêts à participer, faute de quoi cela risquerait de se révéler contreproductif.