Edition spéciale Congrès des maires - Les raisons de la colère
A moins d'une semaine de l'ouverture du 106e Congrès des maires, dans quel état d'esprit les représentants de l'Association des maires de France appréhendent-ils ce rendez-vous ? Le temps n'est clairement pas au beau fixe. David Lisnard et André Laignel évoquaient début novembre les principaux objets de crispation. L'Etat central aurait tendance à "dénigrer" le rôle central du bloc local dans la plupart des politiques publiques... et tout ce que cela coûte à force de transferts de charges. Alors, lorsque le projet de loi de finances vient de surcroît demander de nouveaux efforts aux collectivités, pour eux la coupe est pleine.
"Un moment crucial" car "la situation est grave", affirme David Lisnard. "Ce congrès risque d'être le congrès de la colère", prévient André Laignel. "Le temps du combat" est venu, appuie Muriel Fabre. Le ton est donné, à l'approche du 106e Congrès des maires et des présidents d'intercommunalité de France qui se tiendra du 18 au 21 novembre à la porte de Versailles à Paris. Les trois représentants de l'Association des maires de France (AMF) s'exprimaient ainsi le 5 novembre lors d'une conférence de presse de présentation de ce grand rendez-vous annuel du monde local.
Lors du congrès de l'an dernier, l'intitulé "Communes attaquées, République menacée" avait d'emblée donné une coloration très offensive aux trois journées de débats (voir notre dossier du congrès 2023). Cette année, la bannière choisie, "Les communes… Heureusement !", aurait pu laisser présager davantage d'optimisme. Tel n'est donc pas vraiment le cas. Alors pourquoi cette formule ? Surtout pour montrer que dans un pays dans lequel pas mal de choses seraient en train de s'effriter, les communes seraient à la fois "le premier recours et le dernier espoir", selon l'expression désormais consacrée du premier vice-président délégué André Laignel. "Dans un pays en pleine archipellisation, heureusement que les communes font le job", résume de même le président David Lisnard.
"Dénigrement de l'action des communes"
Le maire LR de Cannes évoque quelques-unes des politiques publiques qui ne "tiendraient" pas sans le bloc local : l'école, la petite enfance, les routes et les ponts ("qu'on nous a refourgués en très mauvais état"), la lutte contre les risques majeurs dont les inondations (l'AMF a lancé un groupe de travail là-dessus), le logement (avec cette demande de décentralisation des politiques de l'habitat formulée "depuis des années"), le sport et la culture, le social (le congrès prévoit un temps fort avec l'Union nationale des centres communaux d'action sociale), la lutte contre l'insécurité (pour laquelle les polices municipales "sont souvent un maillon fort") et contre le trafic de stupéfiants (une table ronde y sera consacrée avec la participation du ministre délégué en charge de la sécurité du quotidien et des sénateurs auteurs du récent rapport sur le sujet, au moment même où le gouvernement lance un grand plan - voir notre article)… Sans oublier la transition énergétique, la "décarbonation", avec une évidente "montée en puissance" du bloc local (selon David Lisnard, on serait passés de 3,2 milliards d'euros d'investissements il y a quelques années à 9 milliards aujourd'hui… sachant qu'il "faudrait 20 milliards"). Ni une politique transversale telle que le handicap, qui donnera lieu lors du congrès à une séquence dédiée de sensibilisation et de bilan en vue du 20e anniversaire de la loi de 2005.
Or, en face, côté Etat central, il y aurait bien toujours ce "dénigrement de l'action des communes et des moyens dont elles disposent", tranche David Lisnard. Le constat n'est pas nouveau. Mais serait toujours plus criant. Avec pour les maires "une difficulté grandissante à agir" notamment liée aux entraves administratives, tandis que l'Etat, tel que le dit cette fois André Laignel, "se veut omnipotent… jusqu'à devenir impotent". Liée aussi, évidemment, à cette "recentralisation financière et fiscale" qui serait à l'œuvre – à des ressources inertes alors même que les dépenses contraintes, elles, ne cessent de s'alourdir.
La "punition" du PLF
"Quand on nous dit qu'il y a une augmentation de notre masse salariale alors qu'il n'y a pas de transferts de charges, c'est faux", soutient David Lisnard. Et celui-ci d'évoquer les polices municipales, la Gemapi, le "service obligatoire" de la petite enfance avec "injonction" à créer des berceaux supplémentaires et donc des postes, le périscolaire, le trait de côte et les digues fluviales… "Tout ça, ce sont des transferts de charges." André Laignel y ajoute la santé, les titres d'identité… et les revalorisations salariales. Selon le maire d'Issoudun, les communes ont dû faire face, entre 2022 et 2023, à pas moins de 4 milliards d'euros de charges nouvelles.
En matière de finances, "nous venons de vivre deux séquences", souligne André Laignel. La première, celle du précédent gouvernement, ayant été ce que l'élu qualifie de "dénonciation calomnieuse" quant à la responsabilité des collectivités dans le mauvais état des finances publiques. La seconde ? Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, dont il qualifie le volet finances locales de "punition" faite de dispositions "iniques". "Le PLF, ce ne sont pas des économies, c'est un prélèvement", abonde David Lisnard en référence au fameux "fonds de précaution" de 3 milliards. C'est d'ailleurs ce qu'avaient déclaré l'ensemble des associations d'élus du bloc local après s'être réunies fin octobre dans les locaux de l'AMF (voir notre article). David Lisnard dit "compter sur le passage du PLF au Sénat" et espérer que "le bon sens" permettra "un possible accord en commission mixte paritaire".
"Le gouvernement a beaucoup communiqué sur les 5 milliards d'efforts attendus de la part des collectivités et sur le fait que les 3 milliards nous seront remboursés", déclare André Laignel. Or, tient-il à rectifier, "le PLF, ce sont en réalité 11 milliards" demandés aux collectivités à la fois en termes de baisse de ressources et de charges nouvelles. Le maire assure avoir tout listé pour arriver à ce total. Et ajoute que "55% des communes vont voir leur dotation globale de fonctionnement baisser en euros constants" (en euros courants, la baisse concernerait "sans doute 80% des communes"). Autant de données qui, dit-il, "mettent en danger les services publics locaux". Alors même que "l'intelligence économique serait de donner aux collectivités les moyens d'être des agents contracycliques".
Des "enjeux majeurs"
"Nous sommes dans un état de sidération devant le manque de connaissance du rôle des communes et de leurs élus" notamment en tant qu'"amortisseur social", complète Muriel Fabre, la secrétaire générale de l'AMF. Qui, au-delà des finances, met en avant quelques-uns des "enjeux majeurs" de ce 106e congrès. Tout d'abord celui du foncier, central si l'on veut "libérer l'acte de construire". La mise en œuvre du ZAN fera d'ailleurs l'objet de la première plénière d'ouverture du congrès, le mardi 19 novembre, en présence de la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, Catherine Vautrin (ce sera sa seule intervention au congrès).
Autre axe mis en avant par Muriel Fabre : "la ruralité". Qu'il s'agisse du nouveau zonage France Ruralités Revitalisation (FRR), du maillage postal (récemment interrogé par une possible coupe dans le fonds postal de péréquation territoriale, à laquelle l'Etat a finalement renoncé – voir notre article)… ou encore des secrétaires généraux de mairie ("il reste encore des points d'achoppement", informe l'élue, notamment sur "la prise en compte des catégories C1"). La ministre déléguée en charge de la ruralité, Françoise Gatel, figure incontournable des congrès de l'AMF mais jusqu'ici en tant qu'élue locale et sénatrice, sera naturellement présente lors de la traditionnelle plénière consacrée aux communes rurales. Elle interviendra aussi lors du forum sur le statut de l'élu. Un sujet qui lui est cher puisqu'elle avait porté la proposition de loi… sur laquelle elle vient d'annoncer le soutien du gouvernement (voir notre article).
Parmi les sujets incontournables : les ressources humaines. Notamment dans le contexte actuel de "déficit d'attractivité et de fidélisation" dont pâtit la fonction publique territoriale. Un "forum interactif" (nouveau format) y sera consacré. Avec la participation de Guillaume Kasbarian. Lequel, sans doute parce qu'il est non seulement ministre de la Fonction publique mais aussi de la Simplification et de la transformation de l’action publique, interviendra aussi lors d'un point info consacré à l'intelligence artificielle (IA).
Clôture par le Premier ministre
Autres membres du gouvernement Barnier attendus : Valérie Létard sur le logement, Marc Ferracci (ministre de l'Industrie) sur la couverture numérique, François Durovray sur le ferroviaire, Fabrice Loher (ministre délégué chargé de la mer) sur le recul du trait de côte, Anne Genetet (sous réserve) sur l'école… et Laurent Saint-Martin, ainsi qu'une nouvelle fois François Durovray, pour le grand débat finances. La clôture du congrès sera assurée par le Premier ministre, Michel Barnier – comme le veut désormais la coutume sachant qu'Emmanuel Macron, depuis l'édition 2022 du congrès, ne tient plus ce discours de clôture. On ne sait pas encore si le chef de l'Etat réunira la veille un certain nombre de maires à l'Elysée comme ce fut le cas l'an dernier.
Qui dit congrès dit aussi salon. Cette année, le Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) qui se tient en parallèle, également à la porte de Versailles, attend 60.000 visiteurs. Ses organisateurs mettent l'accent sur trois thématiques : "l'adaptation des territoires", "l'inclusion" et "le rôle de l'IA". A noter également, l'installation d'espaces immersifs "Vis ta ville" : un chantier, une gare, une mairie connectée... Ce sera en outre la deuxième édition du Salon des sports en tant que partie spécifique du SMCL avec entre autres, le 21 novembre, une "journée des métiers du sport". Et une nouveauté : un autre espace dédié, le "Salon de la biodiversité et du génie écologique".
A J-6 du congrès, Localtis a réuni pour cette édition spéciale cinq interviews de maires. A commencer par David Lisnard et André Laignel. Mais aussi Charlotte Libert, maire de Vincennes et présidente du groupe de travail Logement de l'AMF, sur les questions de construction de logements et de parcours résidentiels. Ainsi que Patrick Molinoz, maire de Venarey-Les Laumes, vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté et coprésident commission numérique de l'AMF, sur les enjeux liés à l'intelligence artificielle (IA). Enfin, cap sur l'outre-mer (à qui est comme chaque année consacrée la première journée du congrès, le 18 novembre) avec Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane).
Vous pourrez bientôt retrouver ces interviews dans le "Localtis Mag", un "hors-série" papier qui sera diffusé à l'occasion du congrès.
Enfin, sachez que Localtis disposera d'un "corner" dans les espaces du congrès (face à la salle "Liberté"). Nous serions ravis d'y croiser quelques-uns de nos lecteurs !