Congrès des maires - Elisabeth Borne lâche un peu de lest

Intervenant ce 24 novembre en clôture du 104e Congrès des maires, la Première ministre a confirmé qu'un certain nombre de dispositifs prévus par l'exécutif vont être adaptés. La trajectoire d'évolution des dépenses locales ne sera finalement pas assortie de sanctions. Le "filet de sécurité" et l'"amortisseur électricité" vont être simplifiés. La part de TVA en remplacement de la CVAE comprendra bien un intéressement à l'accueil d'entreprises. Et la mise en œuvre du ZAN va faire l'objet de plusieurs assouplissements. Emmanuel Macron avait déjà posé certains jalons la veille dans un discours devant les maires à l'Elysée.

Le cadre et les grandes orientations avaient été énoncés la veille par Emmanuel Macron. Contrairement à ce qui avait été annoncé, celui-ci avait en effet livré mercredi soir, lors de sa réception d'un millier de maires à l'Elysée, une allocution de plus de 40 minutes. Ceci après avoir passé quatre heures dans les allées du salon des maires et des collectivités.

L'exercice d'Elisabeth Borne, ce jeudi 24 novembre après-midi en clôture du 104e Congrès des maires, a donc surtout consisté à préciser les choses et à resserrer le propos sur les points qui polarisent les préoccupations de l'Association des maires de France (AMF). Des points que la Première ministre connaît bien puisqu'elle dialogue régulièrement – elle l'a elle-même rappelé, évoquant des "appels et échanges parfois impromptus" – avec les dirigeants de l'association. Et puisque des travaux avec les élus sont déjà en cours sur certains d'entre eux.

Les sujets avaient en outre été passés en revue juste avant qu'Elisabeth Borne ne prenne la parole dans le grand auditorium de la porte de Versailles. D'abord par André Laignel, le premier vice-président délégué de l'AMF, qui a lu les huit pages de la résolution générale du congrès (à télécharger ci-dessous) adoptée à l'unanimité par le bureau de l'association. Une résolution qui décline l'intitulé choisi pour ce congrès, "Pouvoir agir", et égrène tout ce qui vient enrayer cette capacité. Ensuite par le président David Lisnard, qui a pour une bonne part repris les constats et les demandes qu'il avait posés deux jours plus tôt en ouverture du congrès (voir notre article).

De toutes parts, tant du côté des élus que de l'exécutif, un maître-mot : la "confiance". Les uns pour en demander davantage, les autres pour assurer qu'elle est déjà à l'œuvre et constitue désormais le fondement des relations Etat-collectivités... Passage en revue des principaux dossiers ayant donné lieu, non pas à des annonces vraiment nouvelles, mais au moins à des confirmations officielles.

  • "Contrats de confiance"

On savait que la chose était dans les tuyaux, le ministre Christophe Béchu notamment ayant déjà eu l'occasion de l'évoquer (voir notre article du 10 novembre) : Elisabeth Borne a confirmé que le dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement, dit "contrats de confiance", devenu l'article 40 quater du projet de loi de finances, ne sera finalement pas assorti d'un quelconque mécanisme de sanction. "Je sais combien le dispositif qui vous contraignait à modérer vos dépenses a pu paraître inutile voire vexatoire (…). Notre intention n’est pas de maintenir un mécanisme de sanction, nous ne voulons pas de nouveaux contrats de Cahors", a-t-elle déclaré. Applaudissements dans la salle.

La "trajectoire" d'évolution des dépenses des collectivités sera en revanche bien maintenue, inscrite dans la loi de programmation des finances publiques. Et désormais, "cette trajectoire sera la même pour l’État et pour les collectivités", a précisé la Première ministre. Jusqu'ici en effet, l'objectif pour les collectivités était égal à l'inflation minorée de 0,5 point, tandis que pour les dépenses de l'Etat, c'est le chiffre de 0,4% qui avait été retenu. Matignon indique qu'afin de "clarifier" les choses, c'est le chiffre de 0,4% qui vaudra aussi bien pour les collectivités que pour l'Etat, mais en modifiant le périmètre des dépenses prises en compte côté collectivités ("on va intégrer les sous-jacents"). Un point qui méritera probablement explications. Pour l'heure en tout cas, d'autres associations d'élus, en l'occurrence France urbaine et Départements de France, ont fait part de leur satisfaction sur l'abandon du dispositif de sanctions.

  • Aides face à l'inflation

"Filet de sécurité" et "amortisseur électricité" : Elisabeth Borne dit avoir entendu que ces dispositifs sont "trop complexes" et doivent être "adaptés". Concernant le filet de sécurité, les seuils seront abaissés pour le rentre "plus accessible" et les critères, "devenus trop nombreux", seront simplifiés.

Même chose pour l'amortisseur électricité, dont la nouvelle version sera présentée "dans les prochains jours" par la ministre Agnès Pannier-Runacher. "Cet après-midi encore, plusieurs d'entre vous sont venus vers moi pour me dire que malgré tout, de passer de 60 euros le mégawatt à 300, ce ne sera pas soutenable" (sachant qu'actuellement, le dispositif ne doit s'appliquer qu'à partir de 325 euros par MWh), avait dit mercredi Emmanuel Macron.

Globalement, le fait de "bouger les curseurs" doit permettre de "bien utiliser la totalité des 2,5 milliards" dédiés à ces deux dispositifs, commente-t-on à Matignon.

  • Suppression de la CVAE

Bien que l'AMF continue de demander au gouvernement de renoncer à la suppression de la CVAE sur deux ans (et continue de proposer que l'on supprime plutôt la C3S, comme l'ont redit David Lisnard et André Laignel), Elisabeth Borne n'a évidemment pas bougé là-dessus. Elle a en revanche insisté sur le fait que "la dynamique" de la part de TVA qui viendra en compensation "sera répartie dès 2023 en tenant compte du développement de l’activité économique", sachant que "les communes doivent être intéressées à l’accueil d’entreprises sur leur territoire". "Nous établirons ensemble la clef de répartition des recettes supplémentaires", a-t-elle dit. "On travaille sur le décret avec l'AMF", ajoute son entourage.

  • Fonds vert

Sur le fonds vert de 2 milliards d'euros, pas de précision nouvelle par rapport à ce qu'ont pu dire ces derniers temps les ministres Christophe Béchu et Caroline Cayeux et au sujet duquel une circulaire est attendue. Elisabeth Borne a uniquement redit qu'il sera "territorialisé" et ne reposera pas sur des appels à projets, rappelant en outre qu'il sera complété par "près de 1 milliard d’euros de nouveaux prêts de la Caisse des Dépôts".

  • Planification écologique

La Première ministre avait présenté il y a un mois, sous la bannière "France nation verte", la méthode du gouvernement sur la planification écologique, avec un ensemble de 22 chantiers (voir notre article). Elle a simplement dit ce jeudi compter sur l'"audace", les innovations et les idées des maires. Emmanuel Macron était revenu plus longuement sur le sujet pour expliquer la nécessité d'une "planification nationale" qui sera "déclinée dans les prochaines semaines et les prochains mois" par thématiques ("l’énergie, les transports, la production, l'habitat, l’industrie", a-t-il cité) puis déclinée "territorialement", "par des contrats". "Les régions joueront un rôle central, mais les maires sont à la fin les acteurs clés de ces contrats", a-t-il souligné. Il en avait été beaucoup question lors de la première table ronde du congrès (voir notre article).

Dans ce cadre, le chef de l'Etat a mis l'accent sur un chantier en particulier (sur lequel il s'était exprimé quelques jours plus tôt lors des "24 heures du bâtiment" – voir notre article) : la nécessité de "planifier, dans le cadre de la rénovation des bâtiments publics, un grand plan de rénovation des écoles" permettant d'"enclencher des travaux qui parfois sont attendus depuis tant et tant d'années parce que malgré toutes les dotations, le reste à charge reste trop important".

  • ZAN

Emmanuel Macron comme Elisabeth Borne sont tous deux revenus sur le bien-fondé du principe de "zéro artificialisation nette", bien placé au "hit parade" des sujets d'inquiétude des élus, tel que l'a reconnu le chef de l'Etat. Le congrès en avait largement témoigné (voir notamment notre article de mercredi). Au-delà du principe et de l'objectif, la mise en œuvre va faire l'objet d'adaptations. "Il y a des endroits où on n’a pas utilisé le foncier, où il ne faut pas empêcher les projets, il y a des endroits où il y a des friches, il y a des endroits où on est quasiment à saturation", a établi Emmanuel Macron. Il faut donc une approche "territorialisée et différenciée" et un "travail" sera engagé en ce sens "dans les prochains mois", en considérant "à quelle maille" on peut "trouver des péréquations intelligentes".

La Première ministre a pour sa part évoqué "les maires des communes dont la population augmente, et qui doivent construire de nouveaux logements", "les maires ruraux, pour lesquels maintenir des constructions est indispensable pour faire vivre leurs villages", les maires de montagne, "les maires du littoral qui sont confrontés à l’érosion du trait de côte, [lequel] impose des aménagements considérables évidemment consommateurs de foncier"… Elle a ensuite précisé les évolutions prévues.

Première confirmation : "les projets d’envergure nationale, comme les lignes à grande vitesse ou les grands projets d’infrastructure, ne seront pas décomptés à l’échelle de chaque région mais bien à l’échelle nationale", avec une liste de ces projets qui sera établie au premier trimestre 2023. En outre, le décret relatif à la nomenclature va bien être "adapté" pour "qu’il soit plus lisible et opérationnel" et pour "tenir compte des projets de renaturation". On saura aussi qu'"en cas de blocage à l’échelle d’un territoire, des contrats entre l’État et le bloc communal seront conclus pour trouver des solutions".

Enfin, Elisabeth Borne a assuré vouloir "garantir que toutes les communes rurales puissent bénéficier d’une possibilité de construction, en particulier lorsqu’elles ont peu construit par le passé". Son entourage utilise le terme de "garantie rurale" (comme a pu le faire Christophe Béchu), met l'accent sur la prise en compte de la "trajectoire" de chaque territoire et des "efforts déjà accomplis", et évoque la possibilité de "dérogations" dès lors qu'un projet sera jugé "d'intérêt majeur". Enfin, à plus long terme, la Première ministre se dit prête à envisager de "faire évoluer la fiscalité locale pour mieux l’adapter aux exigences de sobriété foncière".

  • Cohésion des territoires

Outre la prolongation du programme Action cœur de ville (ACV) annoncé en début de semaine par Caroline Cayeux (voir notre article), Elisabeth Borne a confirmé qu'un travail sera mené par Dominique Faure sur les zones de revitalisation rurale (ZRR) afin de "poursuivre et améliorer ce dispositif" en vue du projet de loi de finances pour 2024 (voir notre article de mercredi sur la table ronde consacrée à la ruralité).

S'agissant des quartiers politique de la ville, elle a confirmé la tenue prochaine (ce devrait être le 16 décembre) d'un Comité interministériel à la ville (CIV) afin de "poser les premiers jalons du plan Quartier 2030" et de "présenter les principales pistes de la réforme des contrats de ville et du zonage des quartiers prioritaires" (voir aussi notre article de ce jour sur les précisions apportées par l'association Ville et Banlieue).

  • Vie de l'élu

Un sujet avait été très présent lors du congrès : les violences à l'égard des élus. Elisabeth Borne a rappelé que la Lopmi qui vient d'être examinée à l'Assemblée nationale prévoit "le renforcement des sanctions pénales" pour les auteurs de ces violences. Elle a en outre souligné que le gouvernement soutient la proposition de loi devant permettre aux associations d'élus de se constituer partie civile (voir notre article).

Sur un tout autre sujet, celui de la prise illégale d'intérêt, elle s'est dite consciente des difficultés et "situations ubuesques" liées à sa nouvelle définition et a indiqué que le travail mené avec les ministères de la Justice et de la Cohésion des territoires "devra aboutir rapidement".

  • Jeux olympiques

La cheffe du gouvernement a entendu les plaintes qui se sont exprimées ces dernières semaines quant au "maintien des manifestations culturelles et des grands événements" pendant les Jeux de Paris 2024 (voir notre article du 2 novembre). "Avec l’AMF, nous examinerons le calendrier et construirons une solution équilibrée. Un travail a été initié par les ministres de l’Intérieur, des Sports et de la Culture pour trouver les ajustements nécessaires, il va se poursuivre jusqu’à la fin du mois", a-t-elle fait savoir.

  • Décentralisation

Et la décentralisation dans tout ça ? Celle que l'AMF appelle ardemment de ses vœux, au nom des "libertés locales" et de la subsidiarité... et qu'Emmanuel Macron avait remis à l'agenda début octobre en évoquant un prochain "nouveau chapitre" (voir notre article). Il en a bien été question. Elisabeth Borne a déclaré qu'il faudra commencer par "faire un bilan complet" des "effets des lois Maptam et Notre" et "aller au bout de l’application de la loi 3DS" (on en est très loin). Pour la suite, elle a énoncé "quatre principes" : transferts de compétences, "ressources dynamiques et adaptées", "capacités de différenciation", "responsabilités".

Le président de la République compte commencer à travailler sur cette "réforme institutionnelle" à partir du premier semestre 2023, a-t-il fait savoir. Comme il l'avait déjà fait lors du congrès de l'an dernier, il a mis en garde contre les visions édulcorées de la décentralisation. "La décentralisation, c'est le mot qu'on emploie depuis des décennies quand on veut séduire les élus locaux pour régler des problèmes. Or l'expérience montre que la décentralisation n'a jamais réglé aucun problème", a-t-il lancé, citant en exemple la petite enfance, le handicap et les transports. Selon Emmanuel Macron, il s'est jusqu'ici agi, non pas de "vraies décentralisations", mais de simples partages partiels de compétences. "La décentralisation, ça marche si on a la compétence, la responsabilité, le pouvoir normatif et le financement", a-t-il poursuivi, en prévenant : "La responsabilité intégrale", c'est ne pouvoir "se défausser" sur personne d'autre, c'est ne pas se "retourner vers l'Etat" quand une politique ne produit pas les résultats attendus.