Congrès des maires - Comment les communes vont-elles boucler leurs budgets 2023 ?
Avec la flambée des prix, la préparation des budgets de l'an prochain s'apparente à un véritable casse-tête pour les maires. Les économies faites ici ou là ne seront sans doute pas suffisantes. Beaucoup de communes seront donc contraintes de réduire la voilure des services publics. Les investissements devraient aussi faire les frais de l'inflation. Le débat du Congrès des maires de France qui s'est tenu, ce 24 novembre, sur les finances locales a dessiné un contexte nouveau et particulièrement inquiétant.
Le budget que le conseil municipal de Trouville-sur-Mer (Calvados, 4.600 habitants) votera d'ici au 15 décembre, sera "équilibré", se félicite la maire, Sylvie de Gaetano. Dans un contexte d'inflation qui affecte les finances de l'ensemble des communes, la préparation de ce budget "a été très difficile pour nos services", selon l'élue qui exerce son premier mandat de maire. "On a demandé des diminutions sur tous les postes, nos élus ont vraiment joué le jeu aussi", témoignait-elle ce 24 novembre, lors du débat du Congrès des maires de France consacré aux finances locales.
À contrecoeur, la municipalité a fermé les portes de la piscine le 11 septembre dernier. Une décision que la maire de cette cité balnéaire vit comme "un drame". Des accords ont été passés avec des villes voisines, pour que les enfants scolarisés à Trouville puissent poursuivre l'apprentissage de la natation. Comme beaucoup d'autres, la commune a aussi décidé d'éteindre l'éclairage public durant une bonne partie de la nuit. En outre, les subventions aux associations qui étaient "élevées", vont être réduites dans le prochain budget. "On est obligé de rogner un peu sur tout", résume Sylvie de Gaetano. En parallèle, la ville va relever le prix du stationnement, pour augmenter ses recettes.
Les besoins à couvrir ne faiblissent pas
La ville très touristique bénéficie des recettes d'un casino. Une manne de 2 millions d'euros par an. Mais elle doit faire face à des charges élevées, liées notamment à l'accueil d'une population de plus de 40.000 touristes par jour au plus fort de l'été. Notamment, le "désengagement" de l'État en matière d'effectifs de police l'oblige à disposer d'une force de 12 policiers municipaux à cette saison-là.
"Nous avons tous tiré jusqu'au bout du bout pour allumer le chauffage dans les écoles, les crèches et les services municipaux. Nous sommes tous en train de regarder dans la masse salariale à quel moment on doit remplacer", a pour sa part déclaré Nadège Azzaz, maire de Châtillon (Hauts-de-Seine, 37.000 habitants). Elle a avoué sa perplexité présente : "Je ne sais pas aujourd'hui comment est-ce qu'on fait plus en termes d'économies, de mutualisation." Pourtant, les attentes des habitants ne ralentissent pas, bien au contraire. "La population rajeunit, avec des familles qui ont besoin d'avoir des places en crèche, des écoles et la culture." De plus, les ménages qui subissent de plein fouet l'inflation, se tournent vers leur commune, ce "bouclier en termes de cohésion", a souligné l'élue. La collectivité délivre des services essentiels : par exemple, le repas servi à la cantine est "le seul repas chaud de certains enfants dans la journée".
"La question du niveau de service public est posée"
"Faire plus avec moins ?",a lancé Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane. "Sur notre territoire, c'est tout simplement mission impossible." Trente fois plus étendue que la ville de Paris et dotée d'une démographie galopante, la commune située à la frontière avec le Suriname inaugure une école tous les huit mois. Sa population officielle est de près de 50.000 habitants, mais sa population réelle est plus proche de 70.000 habitants. De ce fait, la collectivité voit ses dotations sous-estimées. Pour ne rien arranger, l'inflation est aggravée pour elle par les coûts liés à son enclavement. Pour les communes très défavorisées, comme Saint-Laurent-du-Maroni, l'équation budgétaire est réellement compliquée.
Pour André Laignel, maire d'Issoudun et premier vice-président délégué de l'AMF, les maires sont confrontés aujourd'hui à une "situation complètement nouvelle". "Depuis des décennies, quand nous faisons chaque année nos budgets, la seule question qui nous intéresse, c'est : comment vais-je améliorer les réponses aux attentes de nos concitoyens, faire en sorte que le service public soit plus présent, innovant ?" Mais, l'inflation change la donne. "Ma réflexion est à présent : "Qu'est-ce que je vais pouvoir éviter d'affaiblir, voire d'amputer ?", s'est désolé celui qui préside aussi le comité des finances locales (CFL). En effet, pour l'édile, les économies réalisées à droite et à gauche ne procureront pas de grandes marges de manoeuvre nouvelles. "À un moment, l'imagination se tarit", reconnaît-il.
Pierre Breteau, maire de Saint-Grégoire et coprésident de la commission des finances et de la fiscalité locales de l'AMF, partage ce point de vue. "Nous devons la vérité aux Français, a-t-il insisté. La question du niveau de service public est posée aujourd'hui. Cette question, nous devons l'aborder sereinement, sérieusement."
Menaces sur l'investissement public local
Les perspectives de l'investissement du bloc local sont, elles aussi, assez sombres. Celui-ci devrait encore progresser en 2022, mais en partie du fait de la hausse des prix. Pour 2023, l'AMF s'attend en revanche à une baisse des dépenses d'investissement des communes et de leurs groupements. 71% des 4.800 communes qui ont répondu récemment à l'une de ses enquêtes ont déclaré qu'elles réduiront la voilure dans ce domaine, l'an prochain. Face à l'inflation, les communes reporteront, voire abandonneront les projets qui, une fois réalisés, se traduiraient par des dépenses de fonctionnement supplémentaires trop importantes. Leurs élus préféreront jouer la prudence et mettre de côté l'épargne disponible.
Afin de "pouvoir agir" au service de leurs populations - pour reprendre les termes du slogan de ce 104e Congrès des maires de France - les communes et leurs intercommunalités ont cruellement besoin de "moyens", ont plaidé les maires en interpellant le gouvernement.
Rehausser les dotations
Principales revendications de l'AMF : une amélioration des divers dispositifs prévus pour compenser l'inflation (filet de sécurité, tarifs réglementés, amortisseur électricité) et l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation. Sur ce dernier point, les 320 millions d'euros supplémentaires inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 équivalent à une hausse de 1,47%, très inférieure au niveau de l'inflation. La revalorisation de la DGF répond à une nécessité davantage encore pour les communes dont les budgets sont dépendants des dotations, ont estimé les maires. Ces communes souvent populaires, qui peuvent accueillir un nombre élevé de locataires du parc social, ne seront guère soulagées par la revalorisation qui se profile de 7% en 2023 des valeurs locatives qui servent au calcul des impôts locaux. Car, en général, ceux-ci ont souvent un poids minoritaire dans le budget de ces communes.
L'analyse n'a toutefois pas convaincu la députée (Renaissance) Stella Dupont. "Je comprends la logique qui est la vôtre", mais la DGF "n'est pas parfaite (...) elle présente des iniquités" d'une collectivité à une autre, a-t-elle fait savoir. Un défaut qui justifierait, selon elle, de ne pas répondre à la demande de l'AMF. "Sous prétexte qu'elles n'étaient pas parfaites, on a supprimé la taxe d'habitation, puis la CVAE. Et on en a profité pour nationaliser les finances locales", a répondu avec véhémence André Laignel, sous les applaudissements des maires. Des édiles qui, par ailleurs, s'interrogent sur la pertinence du choix fait par le gouvernement d'engager près de 2 milliards d'euros de crédits d'investissement dans le cadre du fonds vert. Les communes et leurs intercommunalités auront-elles une capacité d'autofinancement suffisante pour les mobiliser ? Sévère, André Laignel a évoqué "une erreur de stratégie" de la part de l'exécutif.