Congrès des maires – Du "clientélisme" dans l'attribution des fonds européens ?
Les difficultés d'accès aux fonds européens ont glissé vers les accusations de "favoritisme" voire de "clientélisme", lors de la traditionnelle séquence Europe du Congrès des maires, mardi 19 novembre. Ce qui n'empêche pas l'AMF de demander de la "simplification" et de maintenir son message : l'accès aux fonds est "possible" et "il est encore temps de déposer des dossiers" pour la programmation actuelle.
Les absents ont toujours tort. Cela vaut aussi bien pour les régions que les membres du gouvernement lorsqu'il est question des fonds européens au congrès des maires. Fonds dont les régions détiennent la bourse en tant qu'autorités de gestion. Il y a cinq ans, la secrétaire d’État aux Affaires européennes Amélie de Montchalin s'était illustrée en appelant "à ouvrir le capot et vérifier la tuyauterie" de cette machinerie complexe (voir notre article du 22 novembre 2019). Ce qui lui avait valu une volée de bois vert des régions ainsi pointées du doigt pour rajouter de la complexité à la complexité… Au moins la secrétaire d'Etat avait-elle gratifié les maires de sa présence, ce qui est exceptionnel pour la séquence consacrée à l'Europe, comme l'a rappelé cette année Christophe Rouillon, maire de Coulaines (Sarthe), co-président de la commission Europe de l’Association des maires de France (AMF). D'habitude, les membres du gouvernement prétextent un "Conseil des ministres", ce qui n'était pas le cas ce mardi, a-t-il ironisé. Une marque de "désintérêt", a déploré l'autre co-président de la Commission, Thibaut Guignard, maire de Plœuc-L’Hermitage (Côtes-d'Armor).
Pourtant, le nouveau député européen Pierre Jouvet considère que le moment est "charnière", avec le renouvellement des instances européennes, le contexte géopolitique et les arbitrages à venir sur le cadre financier pluriannuel...
Risque de renationalisation de la politique de cohésion
"On va avoir un problème de fond : au moment où vous demandez un contrat de confiance sur ce que vous vivez sur votre territoire, on a un futur commissaire (à la politique régionale et aux réformes, ndlr) qui a été ministre des fonds de cohésion dans son pays et a renationalisé les fonds pour les redonner à l'Etat", a fustigé Nora Mebarek, députée européenne (S&D), vice-présidente de la Commission REGI au Parlement européen, quelques jours après l'audition du commissaire désigné, l'Italien Raffaele Fitto, par les députés européens (voir notre article du 13 novembre). "Il va falloir combattre face à des partis qui ne croient pas à l'Europe du quotidien", a-t-elle ajouté. "Nous ne voulons pas d'une recentralisation" qui permettrait à l'Etat de "financer son impéritie", a abondé Christophe Rouillon.
Quelques semaines après son plaidoyer adressé aux nouveaux eurodéputés (voir notre article du 8 octobre), l'Association des maires de France cherche à créer un front uni : "équipe de France des territoires" pour les uns, "conférence de l'Europe des territoires" pour les autres... Le maire de Coulaines appelle ainsi à "chasser en meute", à l'image "d'autres pays qui défendent mieux leurs intérêts". "Il faut aller défendre notre bout de gras à Bruxelles (….) Nous, on n'a pas les tracteurs, on est des gens assez raisonnables", a-t-il dit, peu amène avec la mobilisation en cours des agriculteurs contre l'accord de libre-échange avec le Mercosur.
"Beaucoup de subjectivité dans l'attribution des fonds"
Au-delà de ces enjeux de négociations, l'AMF veut redire aux élus que l'accès aux fonds européens est "possible" et qu'"il est encore temps de déposer des dossiers" pour la programmation actuelle qui s'achève en 2027. "N'ayez pas peur. Nous consommons 100% des fonds européens, on ne fait pas de renvoi", a insisté Christophe Rouillon, pour qui ces fonds sont "bien utilisés, même si ce sont toujours un peu les mêmes qui les prennent". Il y a bien une "inégalité des territoires" dans l'accès aux fonds, a-t-il concédé.
Une perche tendue à Olivier Rivière, maire de Saint-Philippe, à La Réunion, qui a maille à partir avec sa région depuis le changement de majorité en 2021. "Il y a beaucoup de subjectivité dans l'attribution des fonds", a affirmé l'ancien vice-président de la région, dénonçant un "clientélisme" de la collectivité désormais présidée par Huguette Bello. L'élu s'est plaint de retards dans le versement de subventions, voire d'annulations de crédits pourtant engagés après le renversement de majorité. "C'est une réalité dans nos territoires."
La région avait eu à se fendre d'un communiqué au mois de mai pour répondre aux accusations de l'élu parues dans Le Quotidien de La Réunion. "ll n’y a aucun caractère partisan dans la gestion de ces fonds, contrairement à ce que déclare le maire de Saint-Philippe", avait-elle déclaré, envoyant les difficultés rencontrées par la commune "à ses insuffisances propres", notamment dans le fait de n'avoir pas respecté le calendrier fixé.
"Il y a des disparités dans la distribution" des fonds, "une gestion opaque", a renchéri depuis la salle Anne Chane-Kaye-Bone, conseillère régionale de La Réunion, adjointe au maire de Saint-Benoît. L'élue a préconisé un mécanisme de "suivi dans l'attribution des fonds".
"La France n'est pas un pays où les régions sont malhonnêtes"
Thibaut Guignard a dû jouer les juges de paix, reconnaissant toutefois qu'il pouvait y avoir ça et là du "favoritisme", mais "pas véritablement d'opacité". Il y a bien des "acteurs qui sont plus initiés que d'autres" et sont "prévenus en amont", des "cercles géographiques ou politiques" qui permettent de "favoriser certains territoires". Mais "si une collectivité devait sur-bénéficier de fonds, cela se verrait", a-t-il tranché de façon pas totalement convaincante. "Cela s'appelle du délit d'initié", a soupiré Anne Chane-Kaye-Bone.
"La France n'est pas un pays où les régions sont malhonnêtes", a également tenu à nuancer Nora Mebarek, renvoyant aux collusions entre élus et mafia qui alimentent la chronique judiciaire en Italie. Dernière affaire en date : au mois de mai, le président de la région italienne de Ligurie, Giovanni Toti (ex-eurodéputé de droite), et l’ancien directeur du port de Gênes, Paolo Emilio Signorini, avaient été arrêtés puis assignés à résidence dans le cadre d'une enquête pour corruption. Mais Olivier Rivière n'est pas un parangon de vertu. Lui comme l'ancien président de la région Didier Robert ont été récemment condamnés pour concussion et prise illégale d'intérêts dans deux affaires distinctes.
Malgré cette séquence, l'AMF exhorte le gouvernement à faire pression sur Bruxelles pour simplifier les règles. Et pour Christophe Rouillon, "il n'est pas normal qu'on applique à la France les mêmes règles qu'à la Hongrie". Il a par ailleurs plaidé pour que le reliquat des 40 milliards d'euros dévolus à la France au titre du plan de relance européen puissent être fléchés vers les collectivités. "On va perdre le fonds vert, ce serait bien de récupérer les fonds non consommés."