Commission européenne : pas de bal tragique lors de l’audition de Raffaele Fitto

L’audition de confirmation du commissaire désigné chargé de la politique de cohésion, l’Italien Raffaele Fitto, a comme prévu été parfois peu amène, sans pour autant tourner au drame. Le candidat s’est gardé de répliquer, se bornant à répondre sur le fond, évoquant singulièrement les défis démographique, du numérique, de l’élargissement ou encore du logement. Celui qui sera également vice-président de la Commission s’il est confirmé a souligné que la politique de cohésion prenait ainsi du galon. Il semble qu’elle soit dans le même temps appelée à rentrer dans le rang.

Comme prévu, Raffaele Fitto, vice-président exécutif désigné de la Commission européenne, chargé de la cohésion et des réformes, s’est fait quelque peu malmener lors de son audition pour confirmation par les députés de la commission REGI du Parlement européen, ce 12 novembre. Tantôt en visant son action comme ministre italien chargé des affaires européennes, plusieurs parlementaires l’accusant d’avoir à cette occasion "centralisé la gestion des fonds de la cohésion". Tantôt en visant plus généralement le parcours politique de celui qui émarge aujourd’hui dans les rangs du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. Il n’y eut toutefois pas de passe d’armes, faute d’adversaire, l’Italien étant resté d’un flegme tout bruxellois. 

Passé sur le grill

Certes, Raffaele Fitto a vivement démenti l’accusation de centralisation de la politique de cohésion italienne, en indiquant que sa réforme avait reçu "un avis favorable de la part des maires italiens" ainsi que "l’approbation des régions", ou en relevant que l’actuel vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, avait déclaré que le plan de relance italien "était l’un de ceux qui progresse de façon tout à fait positive". Il a fait en outre valoir ses galons d’élu : "16 ans de [s]a vie politique dans un conseil régional", puis "président de région", mais aussi "député européen à trois reprises, et toujours membre de la commission REGI". Il s’est gardé en revanche de répondre aux attaques sur son passé et ses positions précédentes, soulignant à maintes reprises qu’il n’était "pas ici ni pour représenter un parti politique, ni pour représenter un État membre", se réfugiant derrière "les exigences qui incombent aux membres de la Commission en vertu des traités et du code de conduite". "Être parlementaire européen c'est une chose ; être ministre, c'en est une autre : on représente son propre pays, puisque l'on prête serment sur la Constitution ; maintenant, être commissaire européen, c'est représenter l'Union européenne." Il a de même insisté sur le fait que "la charte des droits fondamentaux, les dispositions du traité et toutes les réglementations liées à l'état de droit sont autant de textes avec lesquels je marque mon plein accord". Ou encore qu’il était "tout à fait d'accord avec les lignes directrices de la présidente von der Leyen", y compris sur le pacte vert, non sans souligner que ces dernières "doivent nous permettre de nous adapter aux exigences nouvelles".

La cohésion prend du galon… mais doit rentrer dans le rang

Dans son introduction, l’Italien s’est d’abord plu à souligner que "c'est la première fois qu'un vice-président exécutif se voit confier le portefeuille de la cohésion et des réformes", signe de "l’importance qu’aura cette politique au cours des cinq années à venir". Une politique dont il souligne qu’ "elle doit rester au cœur du prochain CFP et être correctement financée", mais qui devra également "être davantage alignée sur les priorités de l'Union". Il estime ainsi que s’il "faut protéger la politique de cohésion, il ne faut pas créer de déconnexion avec la facilité pour la reprise et la résilience" (FRR). Un instrument dont il concède qu’il n’a pas impliqué les collectivités locales comme il le fallait, notamment pour "des questions de calendrier". "On le sait, la FRR a commencé un petit peu sur les chapeaux de roue." Et d’observer que "la participation des niveaux locaux et régionaux peut être améliorée", et même doit l’être : "Il est essentiel d'œuvrer pour renforcer le rôle des autorités et collectivités locales régionales."

Un instrument dont on doit toutefois "tirer les leçons" (exercice déjà réalisé par la Cour des comptes européenne). Parmi ces dernières, "le besoin d'établir un lien entre les investissements et les réformes", dont il souligne qu’il a été mis en lumière par le le 9e rapport sur la cohésion (v. notre article du 19 avril). Et de préciser : "Concentrer son attention sur les réformes, ça veut dire être en mesure de mettre en place des réformes qui permettent d'améliorer le recours que l'on fait aux ressources que nous attribuons". Il souligne encore qu’ "améliorer l'efficacité de l'utilisation de ces ressources ira de pair avec le processus de simplification", qu’il entend mettre en œuvre. "Le fardeau administratif doit être réduit", exhorte-t-il, en mettant en avant une autre première : "C’est la première fois que nous avons un commissaire chargé de la simplification". Il vise celle de la politique de cohésion elle-même, mais aussi "la simplification des liens qui existent entre les différents niveaux institutionnels". L’ambition est notamment "d’arriver à réduire les délais de réalisation de ces projets". Il précise : "Nous pouvons tout de suite commencer à travailler sur les questions de simplification et à renforcer le rôle des autorités locales. Nous devons aussi pouvoir apporter des réponses ciblées aux besoins des territoires". Il a d’ailleurs insisté tout au long de son audition sur la nécessité de faire du sur-mesure, comme le préconise, parmi d’autres le Cese (v. notre article du 19 juillet) : "Une priorité en faveur de laquelle je m'engage absolument." Il va ainsi jusqu’à ouvrir la possibilité d’introduire "des dérogations pour les régions ultra-périphériques", stratégie poussée par le Parlement européen (v. notre article du 15 juin 2023) : "C'est une éventualité à laquelle il faut travailler."

Une politique menacée par trop de "souplesse" ?

Il souhaite plus généralement que cette politique de cohésion fasse "preuve de davantage de souplesse. On ne peut pas se montrer rigide. Le défi, c’est justement de parvenir à se doter d'une politique de cohésion qui permette d'avoir une vision à long terme, mais qui nous permette aussi de nous adapter aux changements d'une manière générale", notamment "pour répondre aux nouvelles crises". Ce qu’elle a su déjà faire avec le covid, comme l’a souligné la Cour des comptes européenne (v. notre article du 3 février 2023). Une orientation qui ne fait pas l’unanimité, la crainte étant grande que la politique de cohésion ne fasse désormais régulièrement les frais de ces à-coups conjoncturels. Une crainte d’ailleurs alimentée par un article du Financial Times publié la veille indiquant que "des dizaines de milliards" des fonds de la cohésion, qui peinent à être utilisés (environ 5% selon le quotidien), pourraient être réorientés vers la défense et la sécurité. "Les fonds de cohésion représentant une enveloppe importante, la tentation est toujours grande de puiser dans cette manne", nous prévenait naguère Christophe Moreux, de l’Afccre. Si Raffaele Fitto s’est refusé à commenter un article de presse, il a néanmoins réfuté la thèse, soutenant que "les fonds de cohésion ne peuvent pas être consacrés à l'armement". Une interdiction rappelée par le Financial Times… tout en observant que "l'investissement dans les produits dits à double usage, tels que les drones, est autorisé".

FRR : pas de report de l’échéance à ce stade

Autres fonds qui peinent à être dépensés, comme l’a récemment constaté la Cour des comptes européenne, ceux de la facilité pour la reprise et la résilience – ils doivent l’être avant 2026. Le vice-président désigné a indiqué qu’une révision du règlement pour reporter cette échéance, réclamée dernièrement par le Comité des régions, "ne sera pas facile à utiliser". D’autant plus que Raffaele Fitto ne semble pas vouloir l’activer : "La question n’est pas de savoir s’il y aura une prolongation ou pas (…). Nous devons travailler avec les instruments à notre disposition afin de pouvoir apporter des solutions d’ici 2026".

Le "défi majeur" du développement démographique, singulièrement dans les territoires ruraux

Sur le fond, il met singulièrement en exergue le développement démographique de l’Europe, qualifié de "défi majeur", particulièrement dans les zones rurales "que les plus jeunes sont obligés de quitter". Pour y remédier, il érige la transition numérique au rang de "priorité absolue" pour que les jeunes de ces territoires puissent être "connectés avec le reste du monde, dans le monde et pas à côté du monde". Il insiste également sur le besoin de "renforcer la capacité administrative" de ces territoires et d’y "garantir les services essentiels", en jugeant par ailleurs souhaitables des "investissements concrets" dans les domaines liés au vieillissement de la population. Autre priorité, les infrastructures de transport, en indiquant par ailleurs que la "Commission planifie déjà des recommandations sur la lutte contre la pauvreté dans les transports".

Le "rôle central" des communautés urbaines

Soulignant le "rôle central" que les communautés urbaines doivent selon lui jouer pour "aider les régions qui traversent une passe difficile au plan économique", il renouvelle sa promesse (voir notre article du 28 octobre) "d’un programme politique pour les villes qui se concentrera sur les questions essentielles telles que le logement, l’action climatique, la digitalisation, la mobilité, l’inclusion sociale et l’égalité". Il entend encore "voir comment renforcer le rôle des villes dans les programmes nationaux" et "la dimension urbaine dans le prochain budget européen".

Le logement (auquel est dédié pour la première fois un commissaire à part entière) a d’ailleurs été un sujet particulièrement évoqué par les députés. En la matière, l’objectif de la Commission, "c'est de doubler ces ressources", a souligné Raffaele Fitto. Il estime toutefois qu’il existe "deux dynamiques différentes en ce domaine, celle des villes et celle des zones rurales". Dans les premières, il met en exergue "les prix qui ne sont pas abordables" et estime que le "Bauhaus européen, qui fait partie de [s]a lettre de mission, pourrait peut-être être un moyen de régénérer certaines zones urbaines pour offrir du logement", tout en soulignant qu'il "ne s'agit pas ici d'avoir des plans d'intervention séparés. Il faut s'écarter de la vision en silo".

Le défi de l'élargissement

Autre défi évoqué, celui de l’élargissement. S’il considère qu’avec les pays candidats "on peut déjà faire beaucoup en utilisant les programmes existants", il souligne qu’avec l’arrivée de ces nouveaux entrants, "il faudra forcément faire des choix, notamment financiers", sans s’aventurer plus avant. D’ici là, il souligne qu’un soutien maximal de l’UE doit être apporté aux régions frontalières orientales de l’UE, particulièrement touchées par la guerre en Ukraine.

Confirmation ou infirmation ?

Reste désormais à savoir ce qu’il adviendra de sa candidature. Le sort de l’Italien devait être scellé au cours d’une réunion qui devait se tenir juste après l’audition, mais qui a finalement été reportée, sine die à cette heure. Il est a priori étroitement lié à celui de l’espagnole Teresa Ribera (S&D), vice-présidente désignée chargée "d’une transition propre, juste et compétitive", activement soutenue par les détracteurs de Fitto. Et vice-versa.

 

 

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