Congrès des maires - De la constellation de l'UE à la nébuleuse des fonds européens

Alors que moins de 5% des crédits de la programmation actuelle de la politique de cohésion sont consommés, l'AMF exhorte les maires à ne pas faire de "l'autocensure". Un moyen de dépasser les barrières administratives du montage de dossiers est de se regrouper au sein des intercommunalités.

Vivre de l'Europe et la faire vivre. C'est un peu le défi émis par l'Association des maires de France (AMF) à l'occasion de son congrès, mardi 21 novembre. Malgré l'appel lancé par la Première ministre il y a quelques jours (voir notre article), aucun ministre n'était présent lors de ce forum intitulé "Mieux mobiliser les fonds européens", animé par un tandem bien rôdé : Thibaut Guignard, maire de Ploeuc-l'Hermitage (Côtes d'Armor) et Christophe Rouillon, maire de Coulaines (Sarthe), tous deux vice-présidents de la commission Europe de l'association. La raison invoquée pour justifier cette absence : l'heure trop matinale pour espérer rassembler du monde. Ce que la salle rapidement comble est venue démentir. A six mois d'élections européennes où le vote eurosceptique pourrait s'exprimer avec force, l'occasion était donnée pour les deux comparses de sonner la mobilisation générale. "Nous voulons porter haut le drapeau de l'Europe", a clamé Christophe Rouillon, évoquant une Europe "attaquée" à ses frontières, une Europe travaillée par les "populismes" qui la désignent comme le bouc émissaire de tous les problèmes, une Europe menacée par "des forces qui veulent la détruire". Finalement bien dans le ton avec l'intitulé de ce 105e congrès : "Communes attaquées, République menacée." "Il faut montrer que l'Europe est présente dans tous les territoires", a-t-il martelé. Ce que les nouvelles règles de publicité devraient favoriser. Singeant Kennedy, Daniel Cornalba, maire de l'Etang-la-Ville (Yvelines), a poursuivi dans la même veine :  "Ne vous demandez pas ce que l'Europe peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour l'Europe."

"Il va falloir mettre les bouchées doubles"

Derrière les grandes incantations, les maires étaient aussi là pour tenter de débrouiller l'écheveau des circuits financiers européens. "Il y a une autocensure des maires qui pensent que les fonds européens, ce n'est pas pour eux. Nous sommes en début de programmation, c'est encore le moment de déposer les dossiers", a voulu rassurer Christophe Rouillon. Au cours de cette programmation 2021-2027, qui a pris un peu de retard avec le Covid et la guerre en Ukraine, 17 milliards d'euros sont sur la table pour les régions françaises. Signe de l'effort de solidarité de la politique de cohésion, l'île de La Réunion est l'une des mieux servies avec 1.603 millions d'euros, juste derrière les Hauts-de-France (1.689). "Entre 25 et 30% de ces crédits sont fléchés vers les collectivités locales", a rappelé Samuel Brossard, chef du pôle Politique de cohésion européenne au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) chargé d'appuyer les autorités de gestion. L'idée que les fonds européens ne sont pas consommés est "en partie fausse. "On arrive à la fin de la programmation 2014-2020 (les deux programmations se chevauchant pour éviter les ruptures, ndlr), et le taux de consommation va être de 95 à 100% au niveau national au début de l'année prochaine", a-t-il indiqué. Pour ce qui est de la nouvelle programmation, le taux de consommation est de 4,5 à 5%. Soit le niveau des autres pays européens. "Il va falloir rattraper ces retards, mettre les bouchées doubles."

Agréger des projets au sein des intercommunalités

Seulement, pour les édiles, ces mannes restent lointaines. Le maire d'une commune de 1.500 habitants dans les Landes témoigne ainsi n'avoir jamais réussi à décrocher un euro pour un projet de rénovation énergétique. "Pour les petites communes c'est difficile." Réponse sévère de Daniel Cornalba : "La bataille que l'on perd est celle que l'on ne mène pas." "Il faut d'abord regarder les programmes opérationnels, c'est le mode d'emploi négocié entre la région et la Commission européenne et la Commission, c'est le cadre", a ajouté Christophe Rouillon, plus pédagogue, expliquant par exemple avoir réussi à financer l'isolation de locaux municipaux en recourant au "Fonds de soutien à l'initiative locale" géré par le préfet. Le représentant de l'ANCT a invité à se rapprocher du groupe d'action locale (GAL) qui gère le programme Leader ou de l'autorité de gestion du Feder (la région). "Certaines régions ont fait le choix de mettre en place des volets territoriaux des fonds Feder et de Leader, qui relèvent très majoritairement du bloc local", a-t-il indiqué. Mais un autre écueil attend les petites communes : le besoin de trésorerie, car les fonds européens fonctionnement le plus souvent sur la base d'un remboursement. Alors Daniel Cornalba suggère de se regrouper au sein des intercommunalités, car c'est le meilleur moyen "d'agréer des projets en commun", en passant par des leviers tels que les CRTE (contrat de relance et de transition écologique) ou les plans climat…

Tout le monde s'accorde à dire que les autorités françaises, notamment les régions, rajoutent de la complexité. Et que cette complexité profite aux grandes collectivités. "C'est la course à l'échalotte, ce sont les plus malins, les plus outillés qui consomment les fonds. C'est pourquoi on vous donne les clés", a reconnu Christophe Rouillon, l'AMF ayant publié un guide pratique sur "les fonds européens au service des projets communaux et intercommunaux". Quatre ans après l'engagement de l'ancienne secrétaire d’État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, à "ouvrir le capot" pour "vérifier la tuyauterie" (voir notre article), en ce même lieu, suscitant l'ire des régions, rien ne semble avoir vraiment changé.