Programme Leader : un front nuageux qui peine à se dégager
Leader France organisait ces 16 et 17 octobre son congrès à Briançon. Si les forces vives des GAL aspirent à en finir au plus vite avec une programmation 2014-20 "particulièrement complexe", l’horizon ne semble pas dégagé pour autant. Certaines régions sont soupçonnées de vouloir les court-circuiter et la moindre visibilité du programme n’est pas sans inquiéter à l’approche des européennes, alors qu’il constituerait "l’un des derniers bastions d’une Europe du quotidien" jugée par ailleurs "en régression".
Après la pluie, le beau temps ? Réunis à Briançon pour le congrès de Leader France, sur les terres du député et ancien ministre de la Cohésion des territoires Joël Giraud, désormais fidèle à l’événement, les forces vives des groupes d’action locale aspirent à la sérénité.
2014-2020, "horribilis annos"
Le traumatisme de la programmation 2014-2020 (prolongée jusqu’en 2022), "particulièrement complexe", selon les termes du président de Leader France, Thibaut Guignard, est encore dans toutes les têtes. Non sans logique, puisqu’elle se conjugue encore au présent. "Les engagements seront clos fin 2024, et les paiements fin 2025", précise l’élu. Et il reste à faire, puisque "pour l’heure seulement 85% des crédits sont engagés, et 49% payés. La France est 21e sur 27 en termes d’avancement", se désole-t-il. S’il se fait plutôt confiant dans la capacité de la France à consommer l’ensemble de l’enveloppe avant l’échéance, il déplore l’importance des délais de paiement, qui "mettent en difficulté les porteurs de projet". "Même avec une nette amélioration en 2023, on n’atteint pas 50% de paiements alors que tout devait être terminé en 2020 ! Cela pose la question de l’efficacité du modèle de gestion à la française", conclut-il. Thibaut Guignard appelle d’ailleurs à "un travail prospectif sur 2023-2027, pour capitaliser sur les difficultés rencontrées". Également à la tête du réseau européen Elard depuis le 1er janvier (voir l’encadré de notre article du 15 novembre 2022), il prévoit de son côté "le lancement d’une étude européenne a posteriori pour voir où cela a bien fonctionné et voir quel était le mode de gestion retenu". Lui a déjà sa petite idée. "On voit bien qu’entre la Commission et les GAL, c’est l’autorité de gestion qui pose problème, quelle qu’elle soit, partout dans l’Union." Il se prend à rêver d’une gestion directe, comme pour Erasmus+, "un dispositif souple, avec 80% d’avance". Ou comme pour le dispositif Wifi4EU (voir notre article du 17 juin 2019) : "En un clic et avec trois devis, on pouvait obtenir jusqu’à 15.000€. On a trouvé cela limite scandaleux vu la complexité qu’on impose à Leader", confesse-t-il.
Ciel voilé pour 2023-2027
Pour la nouvelle programmation, il faudra encore composer avec une gestion partagée. Mais il y a des motifs d’espoirs. Les régions sont désormais rodées et les difficultés informatiques normalement aplanies, relève Isabelle Boudineau, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine. "Le conventionnement avance bien", observe Thibaut Guignard. Pour autant, de nouveaux nuages menacent. "Certaines régions s’attaquent à la complexité administrative en apportant de mauvaises réponses à de bonnes questions", estime l’élu. Dans le viseur, "la départementalisation conduite par la région Aura" (voir notre article du 13 octobre), mais aussi la tentation des régions Bourgogne-Franche-Comté ou Occitanie de "vouloir mettre à l’écart les GAL pendant la phase d’instruction pour discuter directement avec les porteurs de projets. Ce n’est pas affiché comme tel, mais on le perçoit dans la répartition des tâches proposée", indique Thibaut Guignard. "Laissera-t-on l’Occitanie tout gérer ?", s’alarmait une participante dans la salle, dénonçant implicitement la tentation d’un "jacobinisme régional" (voir notre article du 19 octobre 2020). "Ce n’est pas des drapeaux de l’Europe que l’on plante un peu partout, mais des drapeaux de la région", raille-t-elle.
En Nouvelle-Aquitaine, Isabelle Boudineau l’assure : "On fait le pari de l’intelligence territoriale. Les GAL choisissent leur stratégie et leurs projets". Plus encore, "on a fait le pari d’une approche multifonds – associant Leader, Feder et un peu de Feampa –, rendue possible par la nouvelle politique de la Commission". Si l’élue souligne que "toutes les régions ne se sont pas saisies de cette opportunité", elle prévient : "C’est un véritable pari. Si les projets ne démarrent pas, on sera tous perdants !"
Leader, un bastion de "l’Europe du quotidien"…
Pour les intervenants, l’enjeu de cette nouvelle programmation Leader dépasse toutefois la seule question budgétaire. Face à la montée redoutée de l’euroscepticisme dans les territoires ruraux, "il faut réaffirmer la place de l’Europe", estime Murielle Fabre, vice-présidente de l’eurométropole de Strasbourg et secrétaire générale de l’Association des maires de France. L'enjeu est d’autant plus grand que Leader constitue pour Joël Giraud "l’un des derniers bastions de l’Europe du quotidien et de la proximité", dont il déplore par ailleurs la régression. "Les dispositifs transfrontaliers de proximité disparaissent au profit des grandes infrastructures", regrette-t-il, en prenant l’exemple du Lyon-Turin. L’on rappelle l’urgence, alors que les élections européennes se profilent. "La presse va commencer à s’affoler à l’approche du scrutin en donnant de grandes leçons sur l’Europe, qu’elle ignore pourtant superbement entre deux élections", grince Thibaut Guignard. Et de prendre l’exemple du séminaire Leader qu’il a organisé sous présidence française de l’UE dans sa ville de Plœuc-L’Hermitage (voir notre article du 10 mars 2022) : "Trois ministres, 21 États membres représentés, plus de 300 participants dans une commune bretonne de 4.000 habitants, et pas le moindre entrefilet dans Ouest France."
… qui tend à disparaître des radars
L’élu breton se montre d’autant plus inquiet que "si certains États membres voient Leader comme une porte d’entrée de l’UE, en France on a plutôt tendance à le faire disparaître des radars". Il précise : "Dans certains pays, Leader finance 80% d’un projet. On sait que c’est l’Europe qui a payé. En France, on perd cette visibilité avec la dilution des cofinanceurs." Il pointe cette fois non pas la responsabilité des régions, "qui jouent le jeu", mais celle des GAL, "qui pourraient financer moins de projets, mais en les finançant mieux", ou celle des élus locaux, qui ont tendance à chercher des financeurs tous azimuts, alors que "cela complique la tâche en mairie. Sans compter que plus on a de cofinanceurs, plus la subvention européenne arrive tard". Aussi Thibaut Guignard invite-t-il les présidents de GAL à assurer le service après-vente, comme l’association elle-même s’y est d’ailleurs employée (voir notre article du 27 janvier) : "Vous représentez l’Europe ! Organisez des conférences de presse, parlez des projets financés sur 2014-2020, des thématiques retenues pour la nouvelle programmation, dites que vous avez de nouveau obtenu de l’argent de l’Union européenne !", exhorte-t-il. Avant d’ajouter : "En revanche, ne parlez pas des difficultés administratives, qui ne sont que des difficultés françaises. Ça, ça doit rester entre nous."