Commission d’enquête sur la protection de l’enfance : l’État, "premier parent défaillant de France", appelé à prendre sa place

La recentralisation de cette politique ne résoudrait rien, mais une implication forte de l’État dans le pilotage de la protection de l’enfance, en lien avec les départements et les associations, est plus que nécessaire, pour la députée Isabelle Santiago qui vient de rendre public le rapport de la commission d’enquête sur les manquements de la protection de l’enfance. 92 préconisations y sont formulées, dont certaines mesures à mettre en œuvre immédiatement telles qu’un audit pour identifier les fragilités de chaque territoire. Insistant sur la gravité de la crise du secteur et sur les lourdes conséquences pour les enfants et jeunes concernés, les députés plaident pour un "changement de paradigme" autour de trois priorités : les interventions à domicile, des normes pour les établissements et des contrôles renforcés.   

Au terme de pas moins de soixante auditions et de sept déplacements, la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance vient de dévoiler ses conclusions et, sans surprise, le constat est "implacable". "Notre République a failli à protéger les plus vulnérables, à tirer les leçons de très nombreuses alertes", a résumé la députée socialiste Isabelle Santiago, rapporteure, ce 8 avril 2025 lors d’une conférence de presse. Le rapport a été adopté à l’unanimité des membres de la commission d’enquête. "C’est assez révélateur que l’on puisse tous, de l’extrême gauche à l’extrême droite, partager le même constat sur l’échec de cette politique publique", a souligné la députée EPR Laure Miller, présidente de la commission d’enquête, ajoutant que les députés sont tous d’accord sur "l’urgence à agir" et sur "la nécessité d’une réorganisation profonde du système".

Auditionné par la commission d’enquête, le comité de vigilance des enfants placés s’est également mobilisé ce mardi, devant l’Assemblée nationale, exigeant "des actes politiques forts" pour les 360.000 enfants et jeunes concernés. La ministre des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin avait fait le choix de présenter les orientations de son plan d’action deux jours avant la présentation de ce rapport (voir notre article). 

Un "double échec" sur la déjudiciarisation et la prévention

Le système "craque de toutes parts", selon le rapport parlementaire. "Depuis 1998, le nombre total des mesures d’aide sociale à l’enfance a augmenté de 44%, pour atteindre environ 397.000 mesures au 31 décembre 2023, alors que dans le même temps, la population des moins de 21 ans n’augmentait que de 1,6%", est-il mis en avant. "On navigue à vue et on est dans le mur", soutient la députée du Val-de-Marne, s’indignant de l’absence de "recherches pour savoir ce qu’il se passe". Plusieurs recommandations du rapport visent à disposer de davantage de données, notamment par la production de rapports d’activité annuels par les cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip). 

"La part de l’accueil familial diminue depuis quatorze ans", cela "en contradiction avec les lignes directrices de l’ONU, selon lesquelles l’accueil familial constitue la forme de placement la plus protectrice des droits et des besoins fondamentaux des enfants", peut-on lire encore. La France est ainsi au premier rang européen en termes de placements en institution. 

"Les chiffres montrent également le double échec de la volonté poursuivie depuis plusieurs années par le législateur : déjudiciariser et augmenter la prévention", est-il déploré. Les trois dernières lois, de 2007, 2016 et 2022, "ne sont que peu appliquées sur le terrain", constate Isabelle Santiago, après d’autres parlementaires comme le sénateur Bernard Bonne en 2023 (voir notre article). 

Un pilotage défaillant faute d’implication de l’État 

Comment peut-on expliquer un tel échec ? La rapporteure insiste particulièrement sur "la responsabilité de l’État" – Etat qualifié de "premier parent défaillant de France". Le "manque chronique d’implication de l’État" est souligné : "l’État est historiquement désinvesti de la protection de l’enfance", selon le rapport qui veut ainsi clore le débat sur une éventuelle recentralisation de cette politique. "On ne va pas repartir en arrière sur un système qui était déjà dysfonctionnant", tranche Isabelle Santiago, qui rappelle que les inégalités territoriales existaient déjà à l’époque des Ddass. Les inégalités territoriales actuelles résultent de "l’implication très variable des départements et des services déconcentrés de l’État", est-il souligné. Le rapport n’exonère donc pas les départements de leurs responsabilités, en affirmant que "l’étranglement financier des départements, s’il est une réalité, ne peut justifier à lui seul certains arbitrages défavorables à la protection de l’enfance". 

Mais les parlementaires appellent l’État à investir pleinement son rôle, dans le cadre d’une gouvernance rénovée. Ils recommandent la création d’un "comité de pilotage composé de représentants de l'État, des départements et des associations, chargé de relancer immédiatement une stratégie interministérielle de protection de l'enfance et d'en assurer le suivi et l'évaluation". Ce comité de pilotage devra s’appuyer sur un conseil scientifique et sur des données de recherche, sur les derniers rapports publiés (ce nouveau rapport, mais également le "plan Marshall" du Conseil national de la protection de l’enfance, le rapport du COJ et du CNPE sur l'insertion des jeunes majeurs et le Livre blanc du travail social pour répondre à la crise d’attractivité du secteur). Localement, la généralisation des comités départementaux de la protection de l’enfance est préconisée à compter du 1er janvier 2026.   

Autres recommandations : renforcer les moyens humains et financiers de l’État en matière de protection de l’enfance, aux niveaux central (DGCS, Drees) et local ("généraliser les délégués départementaux à la protection de l'enfance") et "renforcer l'action du préfet de département" en cas de "manquements manifestes du département". 

Les députés demandent aussi de la stabilité et de la visibilité pour cette politique, par l’élaboration d’une loi de programmation quinquennale et la création d’un fonds pluriannuel pour le financement de la protection de l'enfance. "Plus généralement, l'État ne doit plus pouvoir prendre de mesure en protection de l'enfance sans penser la compensation budgétaire afférente des charges induites pour les collectivités", plaident les députés. 

Le retour du syndrome de l’hospitalisme

Pour la rapporteure Isabelle Santiago, le "changement de paradigme" de la protection de l’enfance doit prendre en compte trois dimensions : le fait de favoriser le soutien à domicile des familles, l’instauration d’un encadrement normatif et le renforcement des contrôles. Elle appelle à ne plus tergiverser concernant la publication du décret sur les ratios minimaux d’encadrement dans les établissements d’accueil des enfants de trois à 18 ans. Quant aux pouponnières, faute de personnels en nombre suffisant, certaines sont concernées par un retour du syndrome de l’hospitalisme, alerte la députée, marquée par la visite d’une structure à Clermont-Ferrand et insistant sur "l’urgence absolue" de la situation pour les bébés concernés. Dans la future réglementation des pouponnières, "les taux d'encadrement fixés devront s'approcher d’un adulte pour trois enfants le jour d’un pour cinq la nuit", recommande le rapport. 

Au-delà des normes, le manque de professionnels est au cœur de la crise que connaît la protection de l’enfance. "Il manque 30.000 postes pour s’occuper des enfants et l’intérim s’est engouffré dans un système qui était à bout de souffle", souligne la rapporteure. Les recommandations en la matière : une formation spécialisée, des revalorisations dont la "pleine application du Ségur" mais avec une compensation de l’État ou encore des mesures destinées à faciliter la vie et le travail des assistants familiaux.  

Alors qu’une série de recommandations porte sur le renforcement des contrôles, les députés appellent également à la reconnaissance des défaillances des pouvoirs publics en matière de protection de l’enfance. Il s’agirait de créer une "commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions", une telle instance ayant été créée dans d’autres pays comme la Suisse, l’Australie et l’Irlande. 

Un référentiel national pour favoriser les interventions à domicile 

Concernant le soutien à domicile, selon une investigation de la commission d’enquête conduite auprès des départements, les délais moyens d’exécution des mesures sont bien plus longs en ce qui concerne l’assistance éducative : 116 jours pour une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), 104 jours pour une aide éducative à domicile (AED), contre 34 jours pour un placement en établissement et 21 jours pour un placement en famille d’accueil. "La priorité doit être à la prévention primaire, à des interventions graduées en fonction des besoins des familles", recommandent les députés, qui demandent qu’un référentiel national soit établi (avec notamment un nombre maximal de mesures suivies par professionnel et le développement des AEMO renforcées). 

Pour faciliter ce virage, les parlementaires recommandent à la fois de renforcer les moyens de la prévention précoce (plan périnatalité et petite enfance, moyens pour la protection maternelle et infantile, développement des centres parentaux, etc.) et de "garantir la bonne exécution des décisions d’assistance éducative". Ils demandent également le lancement immédiat d’un audit destiné à identifier les besoins et fragilités de chaque territoire, ainsi que d’un plan d’urgence "pour apporter une solution face aux décisions de justice non exécutées" - en renforçant en particulier les moyens de la justice dans les territoires les plus en difficulté.

Au total, 92 recommandations sont formulées. Il est notamment demandé de continuer à accompagner les jeunes majeurs protégés jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, si leur situation le justifie – cela concerne en particulier les jeunes porteurs d'un handicap. 

"Ce rapport ne prendra pas la poussière", veut croire Isabelle Santiago, interpelant Emmanuel Macron qui s’était engagé lors de sa campagne de 2022 à faire de la protection de l’enfance une priorité. 

 

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